L’autre 8 mai 1945 : les massacres de la France coloniale en Algérie

Le jour même de la fin de la Deuxième Guerre mondiale en Europe est aussi celui où se fait entendre le désir de liberté et d’indépendance du peuple algérien, au cours des manifestations de Sétif, Guelma et Kherrata, dans le Constantinois...

La répression de ces manifestations insurrectionnelles va durer plusieurs semaines et relever de la barbarie puisque le nombre de morts/es, jamais établi exactement, est évalué entre 20 000 et 45 000. Cette barbarie sera niée pendant des décennies. Et aujourd’hui encore, les archives les plus compromettantes restent inaccessibles, aucun de ces massacres n’est mentionné dans les manuels scolaires, aucune responsabilité de l’État français n’est reconnue officiellement. Faisons nôtre cette histoire écrite avec le sang du peuple algérien !

Retour sur les causes de la révolte

En Algérie comme dans la plupart des pays colonisés, c’est la Deuxième Guerre mondiale qui est le point de départ de l’ébranlement du système colonial. Débutée en 1830, la colonisation de l’Algérie avait fait des Algériens des étrangers dans leur propre pays : soumission au code de l’indigénat, tribus entières déportées, expropriations au bénéfice des colons, travail forcé, privation des droits démocratiques les plus élémentaires. En 1939, les reportages d’Albert Camus décrivent l’extrême misère qui règne alors en Kabylie où l’on voit « des enfants en loques disputer à des chiens le contenu d’une poubelle », ou manger des racines. C’est sur ce fond de misère et d’oppression que s’enracinent les idées nationalistes défendues par le Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj, enlevé en avril 1945 par les autorités puis déporté au Gabon, et par les Amis du manifeste et de la liberté de Ferhat Abbas.

L’espoir d’un changement est conforté pendant la guerre par les quelques déclarations promettant un autre statut pour les peuples des colonies, au moment où ils sont embrigadés dans les armées des pays colonisateurs. Sur 150 000 combattants algériens recrutés par l’armée française, 12 000 n’en reviendront pas. Pour ceux qui survivent, rien ne doit plus être comme avant !

Lors des manifestations du 1er Mai 1945, le PPA défile avec ses slogans : « Libérez Messali Hadj et les détenus politiques », « À bas le colonialisme », « Vive l’Algérie indépendante »... Pour la première fois, le drapeau algérien est brandi. Et une semaine plus tard, le 8 mai, à Sétif, Guelma et dans tout le Constantinois, de nouvelles manifestations du PPA ont lieu, séparées des manifestations des pieds-noirs célébrant l’armistice. À Guelma, les paysans encerclent la ville. À Sétif, l’intervention policière pour retirer le drapeau algérien de la manifestation et le meurtre d’un manifestant sont le point de départ d’une émeute qui fait une vingtaine de victimes européennes. À Kherrata, le village est investi par les manifestants, une dizaine de colons sont tués. Au total, les manifestations font une centaine de victimes parmi les Français d’Algérie, témoignant de la haine qui s’est accumulée contre eux.

Un crime d’État... cautionné par les partis de gauche français

Le 11 mai, de Gaulle, chef du gouvernement provisoire, ordonne l’intervention de l’armée, de la marine et de l’aviation. 2 000 hommes sont dépêchés sur place, des troupes spécialisées dans la répression coloniale : la légion étrangère, les goumiers marocains, les tirailleurs sénégalais. La répression, menée par l’armée et la milice pied-noir du sous-préfet de Guelma Achiary (futur dirigeant de l’OAS), est d’une incroyable violence. Deux navires militaires tirent plus de 800 coups de canon, 4 tonnes de bombes sont larguées, 120 000 cartouches tirées. Des automitrailleuses tirent sur les populations. Des villages sont incendiés.

Pendant deux mois, l’est de l’Algérie connaît un déchaînement de folie meurtrière. De nombreux corps ne peuvent être enterrés, et seront jetés dans les puits, dans les gorges de Kherrata... Des miliciens utilisent les fours à chaux pour faire disparaître des cadavres. De nombreux nationalistes sont arrêtés, dont le leader Ferhat Abbas. La répression prend fin officiellement le 22 mai. L’armée organise des cérémonies de soumission où tous les hommes doivent se prosterner devant le drapeau français et répéter en chœur : « Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien ».

Le peuple algérien n’a pas eu longtemps à attendre pour voir le vrai visage de la prétendue « libération » de mai 1945, avec son nouveau gouvernement « démocratique » où siègent, sous la présidence de De Gaulle, des ministres socialistes et communistes, comme Charles Tillon à l’aviation. Et par solidarité gouvernementale, la presse communiste présentera ces manifestations comme le fait « d’éléments troubles », de « soi-disant nationalistes », de « provocateurs hitlériens ».

Le silence lourd d’un lendemain de massacre règne alors sur l’Algérie. Cependant tout cela se révélera impuissant à empêcher le peuple algérien de conquérir finalement son indépendance, dont ces manifestations du 8 mai 1945 marquent le premier acte.

Marie-Hélène Duverger
dans l'hebdo L'Anticapitaliste n° 288 (07/05/15)

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