Les révolutionnaires dans les syndicats

Nous publions les deux parties de l'introduction au débat du deuxième stage national du courant A&R, autour du thème : « Militer dans la classe ouvrière : quelle intervention des révolutionnaires dans les syndicats ? »

La position traditionnelle des communistes révolutionnaires est de militer dans les syndicats, malgré leur nature réformiste, et parfois carrément réactionnaire, et malgré les trahisons passées. Une position justifiée par le fait qu’aux yeux des travailleurs, ils sont l’organisation ouvrière de base, celle qui défend leurs intérêts au quotidien vis-à-vis de l’exploitation capitaliste, celle aussi qui regroupe en principe tous les travailleurs par-delà la diversité des opinions philosophiques, politiques ou religieuses, bref, l’organisation de classe par excellence.

Le syndicat est la première organisation de masse des travailleurs, c'est le premier cadre qui unifie les salariés face au patron. Il est perçu comme un outil de défense au quotidien des droits des travailleurs. A cause de la nature du système capitaliste, les salariés sont en constante opposition, en concurrence. Divisés et isolés, les travailleurs se tournent plus spontanément vers les syndicats quand ils veulent défendre leurs droits sans pour autant y adhérer ou les construire.

Aujourd'hui, on parle de « crise du syndicalisme »... mais est-ce la crise pour tout le monde ?... Comme quand on parle du crise « du capitalisme »... ça n'empêche pas les bourgeois de prospérer. Pour le syndicalisme, on ne peut pas dire que ce soit vraiment la crise pour la bureaucratie syndicale... Par contre, c'est incontestablement la crise pour le syndicalisme « lutte de classe » ! Quel rôle avons-nous à jouer en tant que militants révolutionnaires aujourd'hui dans les syndicats, tels qu'ils sont aujourd'hui... pétris de contradictions, à la fois vecteurs de collaboration de classe et principaux outils de luttes à une échelle de masse ?

Pour beaucoup d'entre nous (sauf si des conditions particulières nous en empêchent), nous formons même souvent le noyau le plus actif d'un syndicat sur notre lieu de travail, voire nous y assumons des responsabilités, certes à divers niveaux. Secrétaire de section, secrétaire d'une UL, membre d'une UD, représentant de son syndicat dans une fédération : nous sommes nombreux à avoir des mandats électifs ou des heures de décharge dans la fonction publique... Nous sommes dans ces cas-là connus pour notre engagement politique par ailleurs (cela est à la fois un atout et un obstacle, selon les moments et les situations).

Nous y militons, avec une conscience claire de la nature contradictoire des organisations syndicales, car ce sont des organisations ouvrières, qui se donnent explicitement pour but la défense des intérêts des salariés et d'eux seuls, qui ne regroupent que ceux-ci, et qui du coup tracent une frontière nette entre les classes, non seulement par les buts qu'elles se fixent mais par leur organisation elle-même. Ce sont actuellement les seules vraies organisations de masse dans la classe ouvrière, d'une échelle qui n'a rien à voir avec la petitesse des groupes politiques révolutionnaires, implantées sur la quasi-totalité du territoire et des lieux de travail, ou en tout cas reconnues comme étant les représentantes « naturelles » des salariés, qu'ils soient syndiqués ou non. Mais depuis près d'un siècle et demi qu'elles existent dans les principaux pays capitalistes, ces organisations indiscutablement ouvrières, par leur origine, leurs adhérents, la place qu'elles occupent dans la conscience sociale, mènent de fait une politique de plus en plus ouvertement contradictoire avec leur raison d'être affichée. De par les liens qu'elles ont tissés avec la classe dominante et son Etat, ces organisations, dont le caractère bureaucratique ne cesse de se confirmer, sont devenues au fil du temps un des principaux freins à l'explosion sociale.

Cette caractérisation des organisations syndicales et les tâches qui en découlent pour les militants révolutionnaires ne datent pas d'aujourd'hui, puisque c'est dans un texte daté de 1940 – Les syndicats à l'époque de la décadence impérialiste – que Trotsky a analysé le « destin » de ces organisations et a tracé des orientations militantes pour les révolutionnaires.
  • Sur l'analyse : « Il y a un aspect commun dans le développement ou, plus exactement, dans la dégénérescence des organisations syndicales modernes dans le monde entier : c'est leur rapprochement et leur intégration au pouvoir d’État. Ce processus est également caractéristique pour les syndicats neutres, sociaux-démocrates, communistes et anarchistes. Ce fait seul indique que la tendance à s'intégrer à l’État n'est pas inhérente à telle ou telle doctrine, mais résulte des conditions sociales communes pour tous les syndicats (…). Aux yeux de la bureaucratie du mouvement syndical, la tâche essentielle consiste à « libérer » l’État de l'emprise capitaliste en affaiblissant sa dépendance envers les trusts et en l'attirant à lui. Cette attitude est en complète harmonie avec la position sociale de l'aristocratie et de la bureaucratie ouvrières qui combattent pour obtenir quelques miettes dans le partage des surprofits du capitalisme impérialiste ».
  • Nécessité du travail dans les syndicats : « (…) En dépit de la dégénérescence continuelle des syndicats et de leur intégration progressive à l’État impérialiste, le travail au sein des syndicats non seulement n'a rien perdu de son importance, mais reste comme auparavant, et devient dans un certain sens même révolutionnaire. L'enjeu de ce travail reste essentiellement la lutte pour influencer la classe ouvrière. Chaque organisation, chaque parti, chaque fraction qui prend une position ultimatiste à l'égard des syndicats, c'est-à-dire qui en fait tourne le dos à la classe ouvrière, simplement parce que ses organisations ne lui plaisent pas, est condamné à périr. Et il faut dire qu'elle mérite son sort ».
Être dans les syndicats permet d'exercer une activité essentielle d’organisation et de défense des travailleurs. Il y a aujourd’hui relativement peu d’adhérents dans les différentes organisations syndicales en France. Mais en grande partie, c'est une minorité qui a encore conscience de la nécessité de s’organiser, qui a la volonté de continuer à se défendre au jour le jour contre toutes les exactions patronales : cela peut aller de la régularité de la fiche de paie à la défense d'un salarié menacé. C'est une minorité qui maintient une certaine idée de la solidarité prolétarienne, par exemple vis-à-vis des jeunes générations, qui argumente sur la nécessité et la possibilité de se défendre collectivement et de retisser les liens entre les travailleurs, de leur ouvrir d’autres perspectives que celles tracées par l’individualisme ambiant.

Ce travail de pur syndicaliste (malheureusement abandonné par trop de syndicalistes eux-mêmes), quotidien, souvent ingrat, fait partie de la préparation pour le moment où la classe ouvrière sera à nouveau à l’offensive, à condition que ce travail soit fait avec la préoccupation d’associer systématiquement les travailleurs concernés, en rappelant toujours qu’ils ont besoin d’organisation et de militants, pas de sauveur, de tribun, de césar… ni de bureaucrates.

Le danger que soulignent les adversaires résolus de tout travail dans les syndicats est bien réel : celui d’être aspiré, qu’on le veuille ou non, dans l’appareil, d’en copier les mœurs et au final la politique. Un danger d’autant plus réel que dans la période actuelle, contrairement à d’autres, en raison du manque de forces militantes dont souffrent les syndicats, on peut voir s’ouvrir rapidement la possibilité de « grimper » dans l’appareil. Des postes de permanents sont rapidement proposés à celles et ceux qui veulent bien les prendre...

Certes, il n’y a pas de recettes pour que les militants révolutionnaires évitent les pièges qui leur sont tendus à chaque étape de leur activité syndicale, mais il y a tout de même quelques principes qui permettent grosso modo de s’y retrouver.

D’abord s'affranchir de l’illusion selon laquelle, par leur présence, les militants révolutionnaires pourraient changer la politique, voire la nature des organisations syndicales. En tout cas, en l’absence d’un afflux massif de travailleurs qui auraient la volonté consciente de prendre en main le contrôle de leur organisation.

Ensuite, être prêt à risquer ses « positions » dans le syndicat à chaque fois que surgit au grand jour l’opposition entre les travailleurs et l’appareil, en particulier au cours des luttes. Trop de militants révolutionnaires, dont il n’y a pas lieu de douter de la sincérité, ont basculé du mauvais côté pour n’avoir pas su voir cette opposition ou pour avoir tenté de la minimiser pour ne pas rompre avec les appareils, au lieu de s’appuyer sur les travailleurs, de leur proposer une autre forme d’organisation (comité de grève par exemple), de les préparer à s’opposer aux bureaucrates qui s’apprêtaient, eux, à saborder leur lutte.

Enfin, il faut garder à l’esprit que si le syndicat est une forme d’organisation ouvrière qui a joué historiquement un rôle majeur pour la constitution du prolétariat en tant que classe consciente de ses intérêts propres, ses limites mêmes nécessitent qu’existent d’autres organisations ouvrières qui défendent au sein du prolétariat les intérêts à long terme de celui-ci, une politique révolutionnaire. L’histoire de la lutte de classe n’ayant certainement pas dit son dernier mot, il ne faut pas oublier non plus qu'aux moments intenses de cette lutte surgiront très probablement d’autres organisations plus représentatives de la classe ouvrière.

Il est sans doute nécessaire de faire une petite présentation du paysage syndical en France actuellement, avant de voir plus concrètement quelles expériences nous pouvons y mener en tant que militants révolutionnaires... Il est très compliqué de faire cela en quelques minutes, mais voici donc quelques grands traits pour préciser un peu comment se pose la réalité syndicale pour des militants révolutionnaires aujourd'hui dans ce pays (en métropole... la réalité dans les colonies est de fait très différente, que ce soit aux Antilles, en Corse ou en Kanaky, il faudrait un topo à part !).

Il est très difficile d'obtenir des chiffres précis du nombre de syndiqués en France... Sur 27 millions de salariés (dont 47 % de femmes, un tiers dans la fonction publique), 2 à 3 millions sont intérimaires, apprentis ou en CDD, les chômeurs sont près de 5,5 millions... Les chiffres du ministère du travail donnent environ 2 millions de syndiqués ; quand on additionne les chiffres données par les syndicats, on a entre 2,5 et 3 millions... De fait, on peut retenir environ 8 % de la population active, ce qui est un des pourcentages les plus faibles des pays européens, mais évidemment, c'est difficile de comparer avec certains pays d'Europe où la syndicalisation est obligatoire pour bénéficier de certaines prestations sociales comme les allocations chômage.

Ce taux n'est évidemment pas homogène : 5 % dans le privé contre 15 % dans le public environ... et bien sûr, grosses différences selon la taille des entreprises ou le statut du salarié (étude de la Dares en 2004) : le taux de syndicalisation dans les entreprises de moins de 50 salariés est de 3,5 %, et il n'est que de 2,4 % chez les salariés en CDD ou en intérim (contre 9,5 % chez les salariés en CDI et à temps complet). Le taux de syndicalisation extrêmement bas des salariés de moins de 30 ans (moins de 2 %) témoigne autant de la précarisation de l'emploi chez les jeunes que de l'incapacité des syndicats à y répondre.

Les effectifs respectifs des principaux syndicats aujourd'hui, selon les chiffres annoncés par ceux-ci : la CFDT a environ 800 000 adhérents, la CGT 600 000, FO 600 000, l'UNSA 360 000, la FSU 170 000, Solidaires 100 000. On peut distinguer des évolutions divergentes entre d'un côté la CGT, FO et la CFDT (qui ont tendance à baisser), et de l'autre l'UNSA, Solidaires et la FSU (qui ont tendance à augmenter... mais de fait, lentement !).

En une soixantaine d'années grosso modo, le taux de syndicalisation a été divisé par quatre en France. La plus forte décrue a eu lieu dans la décennie des années 1980 (le taux de syndicalisation y a été divisé par 2). Dans les années 90-2000 la baisse s'est poursuivie à un rythme ralenti mais continu, et ce recul s'est accompagné d'un grand émiettement du mouvement syndical. La création des nouveaux syndicats comme Solidaires ou la FSU n'a pas permis d'enrayer globalement le recul de la syndicalisation... Ces syndicats, résultats de scissions, de divisions syndicales supplémentaires produites plutôt sur la « gauche » des appareils syndicaux anciens, ont drainé essentiellement des adhérents de syndicats déjà existants, ou bien en ont recruté des nouveaux mais sans pouvoir compenser la perte d'effectifs des autres syndicats, notamment celle de la CGT, qui est le syndicat qui a le plus perdu en proportion et en valeur absolue.

Les explications objectives avancées par les dirigeants syndicaux – le chômage, la précarité, les effectifs en constante décroissance des grands centres industriels, la dispersion des travailleurs dans les PME, etc. – sont bien réelles. Mais elles masquent leurs responsabilités politiques dans la situation. Depuis longtemps, leur orientation ne permet pas aux travailleurs de lutter efficacement, d’améliorer leur situation par des victoires. Sur les vingt dernières années, par exemple, il n’y a quasiment pas eu d’acquis syndicaux. Comment les travailleurs, surtout ceux qui n’ont jamais été syndiqués, verraient-ils un intérêt ou une nécessité de joindre l’organisation syndicale ?

La classe ouvrière change mais ne diminue pas... bien au contraire ! Organiser les nouvelles couches du prolétariat dans des entreprises, souvent plus petites en nombre de salariés, n’est certainement pas chose facile. Mais pas impossible quand même : ici ou là, des militants syndicalistes savent le faire, avec quelques petits succès, y compris dans des endroits réputés « difficiles » comme le commerce ou la restauration rapide. A une échelle large, cela exigerait un énorme effort militant des organisations syndicales... Mais de fait, l’histoire du mouvement ouvrier montre que les afflux en masse dans les organisations syndicales se sont produits lorsqu'une perspective de changement de leur sort était ouverte aux travailleurs : par la montée des luttes ou par la combativité d’un courant s’attelant à organiser les couches de prolétaires qui ne l’étaient pas encore.

Mais comment s’étonner que les syndicats ne se préoccupent guère d’organiser les nouvelles couches du prolétariat, puisqu’ils ne se sont même pas préoccupés de conserver les syndiqués dans leurs soi-disant bastions ! Car dans ceux-ci, il y a eu une désyndicalisation massive, comme les chiffres le prouvent. Et pas seulement parce que certaines usines ont disparu, ou que leurs effectifs ont baissé : les effectifs syndiqués se sont réduits dans des proportions bien plus considérables encore.

Car ce qui a contribué à vider les syndicats, c'est la bureaucratie elle-même, c'est sa politique qui tourne le dos aux intérêts des travailleurs, quand elle ne les trahit pas ouvertement et simplement. Combien de salariés refusent de se syndiquer parce qu'ils n'adhèrent pas à l'idée que le syndicat est démocratique et les représente vraiment ? Comment convaincre les travailleurs combatifs, qui veulent la démocratie dans les luttes, de rejoindre et de construire un syndicat qui ne la défend pas ?

Dans le même temps, la présence institutionnelle des organisations s'est renforcée... L'écart entre le nombre de salariés syndiqués et le nombre de salariés représentés n'a jamais été aussi important. En 2004, plus de la moitié des salariés déclaraient qu'un syndicat est présent dans leur entreprise ou leur administration, et la plupart des organismes de protection sociale sont gérés de manière paritaire. La notion de « partenaires sociaux » est maniée désormais comme une évidence... Ce « partenariat » vise à lier les mains des travailleurs : paritarisme, négociations à froid, tout est bon pour faire entrer dans la tête des salariés que tout est négociable !

Institutionnalisation, c'est aussi un financement des syndicats de plus en plus dépendant du patronat et de l’État. Les cotisations sont devenues minoritaires dans le financement. Entre 40 et 65 % des budgets des grandes confédérations sont hors cotisations !

Cette trajectoire pourrait conduire à un syndicalisme totalement déconnecté des salariés, totalement intégré à l'appareil d’État, assumant juste un rôle de « courroie de transmission » des intérêts patronaux dans la classe ouvrière... Mais il y a des limites à l'intégration, car les syndicats tirent leur légitimité de leur fonction de représentation des travailleurs, même déformée, et des liens qu'ils ont avec eux, aussi distendus soient-ils. Pour le patronat, le comble d'un syndicat trop intégré, c'est qu'il ne remplisse plus sa mission d'encadrement des travailleurs, en laissant la place à des structures d'auto-organisation incontrôlables !

Mais, et c'est encore un des éléments contradictoires de la réalité syndicale, nombre de syndicats, de sections syndicales, voire d'unions locales, restent des outils d'organisation et de résistance face au patronat, des outils pour la lutte. Cela se reflète d'ailleurs dans le comportement de la bourgeoisie, qui conjugue deux attitudes, en apparence contradictoires mais en fait complémentaires : faire des syndicats des interlocuteurs privilégiés, avec le « dialogue social », et ne jamais les laisser devenir des outils en capacité de remettre en cause l'ordre établi. La répression contre les militants syndicalistes est ainsi toujours un axe central de la politique patronale. Il y a chaque année plus de 15 000 demandes de licenciement de salariés protégés : la politique de criminalisation du mouvement syndical est massive aujourd'hui, elle vise d'abord les militants « lutte de classe », mais elle cherche aussi à dissuader d'agir l'ensemble du prolétariat (la révocation de Yann, à la Poste, en est le cas le plus emblématique).

Marie-Hélène Duverger

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Je vais revenir sur ce qui fonde pour nous, militants révolutionnaires, à la fois la nécessité incontournable du travail au sein des syndicats, mais en même temps, celle de discuter entre nous du type d’intervention que nous pouvons y mener.

Je vais le faire en partant de l’expérience réelle produite par les choix d’intervention de notre Comité Renault Cléon :
  • d’une part, dans l’animation et la direction du syndicat CGT Renault Cléon, grosse usine d’usinage et d’assemblage de moteurs et de boîtes de vitesse, avec 3 400 salariés à statut et plus de 800 intérimaires. C’est la seule usine de Renault où le syndicat CGT recueille, avec plus de 1500 voix, plus de 50 % des voix exprimées aux élections professionnelles, tous collèges confondus. Ce résultat est très appréciable, dans la mesure où ce syndicat, dirigé par une équipe NPA-LO-Action communiste, est confronté à chaque élection professionnelle aux tentatives de dénigrement de la part de la CGC et de la CFDT, qui le désignent dans leurs tracts comme étant la « CGT-NPA-LO » ;
  • d’autre part, dans l’animation et la direction de l’Union locale CGT de l’agglomération elbeuvienne, dans le périmètre de laquelle se trouve Renault Cléon, et cela sur la base des points d’appui et de la crédibilité acquise au travers de notre intervention dans l’usine.
La première raison qui rend nécessaire l’intervention de nos militants au sein des syndicats, c’est d’abord qu’en dehors des grands moments de mobilisations ou d’explosions sociales, la nécessité de s’organiser au sein d’un syndicat, c’est le besoin qui apparaît assez spontanément chez les travailleurs qui ne veulent pas ou qui ne veulent plus se faire écraser par leur patron.

Pour tout travailleur ou groupe de travailleurs qui se pose la question de résister et de s’opposer à la toute puissance et à l’arbitraire de son employeur, la syndicalisation, c’est ce qui apparaît comme le moyen le plus efficace, le premier cadre qui va lui permettre de s’opposer au patron, en installant cette résistance dans un cadre collectif, avec en plus un minimum de protection légale face à la répression patronale.

La dernière section syndicale de notre UL CGT, nous l’avons constituée à la demande d’un groupe de 6 jeunes travailleurs d’une entreprise employant 270 salariés. Ces jeunes sont venus à l’UL nous dire qu’ils en avaient marre de subir et de se faire avoir par la politique de leur patron, et qu’ils voulaient se syndiquer et constituer une section syndicale pour pouvoir présenter des candidats indépendants du patronat, à l’occasion des élections professionnelles qui allaient bientôt avoir lieu.

C’est à partir de cette motivation élémentaire que notre UL CGT a pu créer des sections syndicales dans des enseignes de la grande distribution, dans des zones commerciales situées à proximité de l’usine de Cléon : chez Carrefour, Darty, Leroy Merlin, mais aussi chez Leclerc et chez McDonald’s, ou encore chez Carrefour Market.

Ces nouvelles bases syndicales ont été le produit d’une rencontre entre ce besoin élémentaire de s’organiser, de résister et de s’opposer au patron, et une Union Locale qui a compris qu’il y avait là une opportunité pour se construire et reconstruire du rapport de force sur l’agglomération en prenant des initiatives interprofessionnelles. Une UL dans laquelle, par ailleurs, les militants du NPA ont acquis un vrai poids, une écoute des militants parce qu’ils ont fait la démonstration de leur capacité à animer et à organiser.

Et lorsque nous nous investissons dans l’intervention syndicale, nous le faisons d’abord avec ce premier objectif : organiser le plus largement et le plus massivement possible les travailleurs, pour eux-mêmes, à ce niveau élémentaire, afin de leur donner – même en dehors des périodes de grandes mobilisations – des moyens de s’opposer au quotidien au pouvoir qui se veut sans partage du patron. Le patron est celui qui décide de tout, de mon droit au travail ou pas, de ma place dans son organisation du travail, de mes conditions de travail, des conditions dans lesquelles il rémunère ma force de travail.

Ne pas répondre à ce besoin élémentaire d’organisation des travailleurs face au patron en faisant l’impasse sur la nécessité de contribuer à la construction de telles sections syndicales, c’est évidemment se couper de ce premier niveau de radicalisation des travailleurs, mais c’est aussi se priver sur le plus long terme des moyens de les influencer et de les gagner à notre politique.

Ce qu’il y a de nouveau par rapport aux années 80 ou aux décennies antérieures, c’est qu’à cause de l’affaiblissement des syndicats et des vieilles directions du mouvement ouvrier au sein de ces syndicats, là où nous avons des militants, nous allons devoir nous investir dans des sections que nous devrons souvent construire ou reconstruire. Des sections qu’il va nous falloir animer parce que les équipes d’animation ont disparu, qu’il va nous falloir diriger parce que les équipes de direction n’existent plus ou ont perdu la capacité à diriger.

A partir de là, il est important d’avoir une discussion sur ce que nous voulons faire dans les sections syndicales ou dans toutes les structures syndicales dans lesquelles nous nous investissons, dans lesquelles nous intervenons, que nous animons et parfois dirigeons. Il est important de discuter les objectifs que nous nous donnons pour que cet investissement soit utile aux combats de notre classe.

Notre orientation dans le syndicat, même lorsque nous nous retrouvons élus dans des institutions dites représentatives du personnel, qu’il s’agisse des DP, des membres du CE ou des CHSCT, c’est de veiller à ce que les militants refusent de s’enfermer dans ce statut de « représentants du personnel », de ceux qui s’expriment ou agissent « à la place de », de façon substitutiste par rapport au mouvement réel des travailleurs, surtout lorsqu’un conflit éclate sur le lieu de travail.

Par choix, nous refusons de caler notre activité sur le calendrier de ces institutions, avec leurs réunions à échéance régulière avec les représentants de la direction, même si évidemment, nous ne les boycottons pas.

Mais nous menons l’essentiel de notre activité syndicale en cherchant à faire de toute situation conflictuelle, même petite, une occasion de bagarre, dans laquelle nous cherchons à susciter tout ce qui contribue à l’intervention directe et la plus massive possible des travailleurs, avec l’objectif que toute avancée pour les travailleurs, aussi petite soit-elle, soit alors vécue comme leur propre victoire : c’est en effet le moyen pour recréer du rapport de force et pour que les travailleurs découvrent et prennent confiance de leurs propres forces. Pour la plupart d’entre eux, il ne s’agit pas de reprendre, mais bien de prendre confiance dans leurs propres forces.

Tout cela parce que c’est aussi le seul moyen de récréer une conscience de classe, la conscience d’intérêts qui sont communs à tous ceux qui s’engagent dans une bagarre, mais des intérêts qui ne sont en revanche pas conciliables avec les intérêts de ceux qui s’opposent alors clairement à eux, au sein de l’entreprise ou au gouvernement lorsqu’il s’agit de s’opposer à une décision gouvernementale qui les attaque directement.

Et malgré des rapports de force très dégradés et le haut niveau auquel il faudrait souvent porter l’affrontement pour gagner telle ou telle bagarre, chaque fois que nous impulsons une lutte, quelle qu’elle soit, nous la construisons sincèrement avec la ferme intention de la gagner. Parce qu’à un moment donné, il faudra bien qu’on se donne tous les moyens pour gagner à nouveau, tout en expliquant pas à pas, au fils de chaque expérience concrète et réelle de lutte, les obstacles, petits ou énormes, auxquels les travailleurs vont se heurter sur leur chemin et qu’il faudra trouver les moyens de surmonter pour gagner.

C’est ce que nos militants ont fait à l’occasion de la négociation de l’accord de compétitivité chez Renault, fin 2012 - début 2013. Une négociation que la direction a délibérément étalée dans la durée, avec 6 réunions préparatoires et 12 réunions hebdomadaires de négociation : il s’agissait pour elle de rendre plus difficile la mobilisation contre un projet qu’elle distillait morceau par morceau, semaine après semaine, et qui a pourtant donné lieu à 8 arrêts de travail touchant simultanément toutes les usines Renault entre le 12 décembre 2012 et le 8 février 2013.

Des débrayages qui ont permis aux travailleurs de Cléon de renouer avec des arrêts de travail rassemblant jusqu’à 1/3 du personnel, avec la pratique des assemblées générales où tous les travailleurs pouvaient prendre la parole, des piquets de grève et des blocages complets de l’usine pris en charge par les travailleurs eux-mêmes, même quand l’impulsion venait des militants du syndicat qui poussaient à ça.

Et de ce point de vue, il n’est pas indifférent que des militants révolutionnaires aient une capacité d’initiative qui résulte précisément de leur investissement dans les syndicats.

C’est par exemple ce qui avait permis de faire du Mondial de l’auto 2012 une véritable échéance de convergence des luttes, qui avait alors rassemblé des travailleurs de PSA, Renault, Arcelor Mittal, Faurecia, Sanofi, Les 3 Suisses, Fralib.

Et la convergence qui s’était bâtie à cette occasion – malgré l’opposition de la Fédération de la métallurgie CGT qui l’avait clairement combattue, puis boycottée – n’avait été rendue possible que parce que des militants du NPA, investis dans leurs syndicats, avaient mené et gagné la bagarre dans les coordinations syndicales CGT de leurs groupes autos respectifs, ceux de Mulhouse pour le groupe PSA, ceux de Cléon pour le groupe Renault.

Au travers de ces expériences de lutte, nous voulons que les travailleurs renouent avec l’appétit de l’action directe, de l’affrontement nécessaire, avec la nécessité de la grève active, en nous efforçant de la faire prendre en charge par eux-mêmes, comme seul moyen de faire avancer leur cause.

A Renault Cléon, nous avons souvent un petit problème avec nos camarades de LO qui vont fréquemment au-devant des travailleurs en leur expliquant qu’on sait qu’on ne peut pas gagner, mais qu’il faut faire grève quand même, parce que l’important, c’est de montrer qu’on est debout.

C’est évidemment ne pas comprendre que pour pouvoir entraîner les travailleurs en masse dans une lutte, ils ont besoin d’estimer qu’ils s’engagent dans une lutte qu’ils peuvent gagner, même si on ne ment pas sur la réalité des obstacles qu’il faudra se coltiner, en essayant de les surmonter. Et c’est précisément parce qu’une de ces luttes sera un jour suffisamment puissante pour permettre à notre classe de renouer avec des victoires, que toutes les luttes méritent d’être impulsées et menées jusqu’au bout.

En tant que militants dans les syndicats, nous refusons de négocier quoi que ce soit qui concerne les travailleurs sans d’abord chercher à construire un rapport de force avec eux, parce que nous ne sommes pas les « partenaires sociaux » dont parlent toutes les directions, qu’il s’agisse des directions syndicales ou directions d’entreprise, et que nous refusons de nous inscrire dans la dialogue social qui est exclusivement celui de la négociation des reculs sociaux.

Sur l’orientation que nous défendons dans les syndicats, nous refusons la coupure :
  • au syndicat, les questions revendicatives ;
  • au parti, les questions politiques.
Nous n’avons pas d’un côté, une politique, une orientation pour le parti, et d’un autre côté, une politique, une orientation pour le syndicat.

Le parti que nous voulons construire au sein des entreprises, c’est un parti:
  • qui donne des objectifs de lutte immédiats ;
  • qui propose des mots d’ordre ;
  • qui cherche à impulser l’auto-organisation dans les luttes ;
  • qui cherche à impulser la coordination des mobilisations pour poser la question d’un mouvement généralisé, d’une grève générale, d’un nouveau mai 68 qui aille jusqu’au bout ;
  • qui s’appuie sur l’expérience pratique des travailleurs pour démontrer que la satisfaction de leurs revendications élémentaires suppose une remise en cause des rapports de production et de propriété.
Mais dans la façon dont nous menons les batailles politiques et les débats d’orientation dans le syndicat, nous veillons à le faire en prenant en compte sa vocation à organiser tous les travailleurs à partir de leurs besoins immédiats. Nous prenons en compte le fait que les travailleurs qui adhèrent ne le font pas sur la base d’une adhésion à un programme, et à cause de cela, nous veillons à préserver à la fois l’unité et l’indépendance du syndicat par rapport aux partis, qu’il s’agisse du nôtre ou des autres partis.

C’est pour cela que nous faisons en sorte que chaque prise de position soit faite à partir d’un débat démocratique dans le syndicat, mais un débat qui s’appuie sur la pratique réelle que nous cherchons à impulser dans le syndicat et sur l’expérience pratique qui en découle pour ses militants.

Et pour nous, tout cet investissement dans le travail syndical, ce n’est absolument pas contradictoire avec la nécessité de constituer des groupes politiques sur les lieux de travail, qui interviennent avec leurs bulletins. Dans l’usine de Cléon, pratiquement tout notre recrutement au parti résulte des batailles politiques menées au sein du principal syndicat de l’usine pour en faire un outil utile aux travailleurs

Si nous sommes d’accord sur tout cela, une autre question se pose : dans cette intervention dans les syndicats, devons-nous nous cantonner exclusivement à la section syndicale de notre lieu de travail, au plus près des travailleurs ? Ou devons-nous également mener des batailles politiques pour être intégrés à des directions d’UL, d’UD ou de fédérations syndicales ? Et d’abord, y a-t-il une quelconque utilité à un tel investissement ?

A partir de notre expérience chez Renault ou en Seine-Maritime, la réponse que nous faisons à cette dernière question, c’est oui, mais à condition que l’intégration dans de telles structures (UL, UD, Fédé) se fasse à partir d’un minimum de points d’appui réels dans des bases syndicales combatives, afin de ne pas se retrouver « hors sol » dans une direction, privé de toute possibilité de faire des démonstrations pratiques ; et à la condition de le faire sur la base d’un mandat clair, sur le type de syndicalisme et d’orientation que nous défendons, avec l’objectif d’y aller pour gagner de nouvelles structures à l’utilité de l’orientation que nous défendons pour notre classe.

Et à la condition, bien évidemment de ne pas nous lier les mains, dans ces structures, lorsqu’elles refusent d’agir, en renonçant nous-mêmes à prendre des initiatives en toute autonomie dès que l’occasion ou la nécessité se présente, et cela sous prétexte de préserver nos positions syndicales.

Et enfin, à la condition de mettre en débat dans le parti les orientations que nous défendons dans ces structures.

Pour prendre quelques exemples, en Seine-Maritime, nous avons des camarades du NPA ou proches du NPA dans les Commissions exécutives de l’UD CGT 76 ou de l’UL d’Elbeuf.

Quand a éclaté le scandale de l’affaire Lepaon, qui a abouti à sa démission, ces points d’appui au sein de l’UD 76 ont permis que le débat sur cette affaire débouche sur une adresse au CCN de la CGT, qui a circulé dans tous les syndicats de la Seine-Maritime, reliant la nécessité de débattre des mœurs internes dans la CGT à celle d’un débat plus général sur les questions d’orientation face au gouvernement ou sur la stratégie de lutte de la CGT. Et cela dans la perspective du prochain congrès confédéral, en avril prochain.

A l’occasion du 9 avril – première journée de grève et de manifestation interprofessionnelle contre la politique du gouvernement – ces points d’appui ont permis que soit voté, par le Congrès de l’UD 76 qui se tenait au même moment, un appel à tous les syndiqués et syndicats CGT de Seine-Maritime pour que soit donné un prolongement rapide à cette journée. Une bataille qui correspondait aux attentes des militants combatifs, en raison du bilan positif qu’ils avaient tiré de la journée.

En opposition à l’orientation du « syndicalisme rassemblé », mode CGT, celle qui rassemble y compris les syndicats qui refusent de s’opposer à la politique du gouvernement, ces points d’appui nous servent à briser le sectarisme syndical et à gagner les équipes combatives à un syndicalisme qui cherche à rassembler les forces syndicales qui partagent notre volonté l’affrontement avec la politique du gouvernement.

Cette intégration à des instances syndicales de direction interprofessionnelles nous permet également d’accéder à l’animation de tâches comme la formation.

Une tâche qui nous met en contact avec de nouvelles générations de militants qui, à la différence des générations antérieures, découvrent tout de l’histoire et de la pratique du syndicalisme, et qui les découvrent au travers de ce que pourront leur en dire des militants révolutionnaires. Et nous pensons évidemment que c’est un vrai plus pour préparer les affrontements à venir.

Au-delà de ces tâches quotidiennes, un parti révolutionnaire implanté devrait également être en capacité d’intervenir dans la crise d’orientation actuelle de la CGT, confédération syndicale qui a conservé une capacité de mobilisation dans notre classe sociale

La situation est marquée par le refus de toutes les grandes confédérations syndicales de porter une orientation d’opposition réelle à la politique du gouvernement, malgré la gravité des attaques portées contre le monde du travail et les classes populaires. Cette situation suscite une crise au sein la CGT, comme l’ont révélé de façon spectaculaire l’affaire Lepaon ou plusieurs congrès fédéraux (comme dans la Santé ou le Transport) ou encore les prises de position d’Union départementales, comme celles des Hauts-de-Seine ou de la Seine-Maritime, notamment après le 9 avril. Il est évident que le congrès confédéral CGT d’avril prochain va constituer, pour une fois, un enjeu d’importance pour le monde du travail et l’avenir de ses luttes ; face à cet enjeu, des militants révolutionnaires implantés dans le monde du travail devraient prendre des initiatives pour fédérer les structures à la recherche d’une orientation qui s’affronte à la politique du gouvernement.

Régis Louail

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