Les violences de l’état d’urgence

Triste ironie du sort, c’est la même semaine que la cour d’assise de Bobigny et le tribunal correctionnel d’Amiens rendaient des jugements pour le moins révoltants.

La première statuait le 15 janvier sur la mort, en avril 2012, d’Amine Bentounsi, abattu par un policier à Noisy-le-Sec. Celui-ci comparaissait pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et plaidait la « légitime défense », alors même que sa victime a été abattue d’une balle... dans le dos !

Le second jugeait, le 12 janvier, huit ouvriers de Goodyear, accusés d’avoir retenus deux cadres pendant trente-deux heures en janvier 2014, alors que plus d’un millier de licenciements étaient annoncés par l’entreprise. Ils comparaissaient pour « séquestration et violences en réunion et voies de fait », sur ordre du parquet puisque que l’entreprise et les cadres avaient retiré leurs plaintes suite au protocole de fin de conflit.

L’acquittement du meurtrier d’ Amine Bentounsi s’ajoute à la longue liste des crimes policiers impunis, huit mois après la relaxe des policiers de Clichy-sous-Bois. La justice envoie un message clair : la police a le droit de tuer et rien ne sera fait pour l’en empêcher.

La répression syndicale n’est pas plus surprenante. Les travailleurs d’Air France, pour ne citer qu’un exemple récent et emblématique, en savent quelque chose. Mais la condamnation des Good-year à neuf mois de prison ferme est un événement sans précédent.

Le ministère de la justice a le pouvoir de faire cesser les poursuites contre les Goodyear... Comme pour les syndicalistes, militants et militantes du mouvement BDS, de Notre-Dame-des-Landes ou de Sivens... Comme il pouvait faire annuler les assignations à résidence de près de trente militants et militantes écologistes pendant la COP21 ou lever les 317 gardes à vue de manifestants et manifestantes à Paris pendant le sommet.

Voilà pour le bilan de Taubira qui a prétendu, quatre ans durant, incarner l’aile la moins sécuritaire du gouvernement. Voilà aussi pour le premier bilan de l’état d’urgence. Il a fallu moins de deux semaines pour montrer, à qui en doutait, que son utilisation a peu à voir avec la lutte antiterroriste. La liste des « bavures » et autres abus depuis sa mise en place s’allonge chaque jour.

Les sondages annoncent que « l’opinion publique » est majoritairement favorable aux mesures liberticides mises en place depuis le 13 novembre. Il serait sans doute utile de nous interroger sur les méthodes des instituts de sondage, notamment sur leur manière de formuler les questions. Il reste que l’opposition à l’état d’urgence est certainement pour le moment minoritaire. Elle l’était aussi aux États-Unis après le 11 septembre 2001 face au Patriot Act.

Dans d’autres contextes, pourtant, comme lors des attentats de Madrid en mars 2004, la réaction populaire a pu se tourner contre le gouvernement et ses politiques guerrières et sécuritaires. La différence entre l’État espagnol de 2004 et la France de 2015 est que le premier avait connu un important mouvement anti-guerre l’année précédente.

Or, un début de contestation existe. La pétition de soutien aux Goodyear a dépassé les 100 000 signatures en moins d’une semaine. À l’heure où nous écrivons ces lignes, elle approche des 150 000 et des comités locaux se mettent en place. Des réunions publiques sur l’état d’urgence, unitaires ou à l’initiative du NPA, dans des quartiers ou des facs ont été des succès. Le 30 janvier, les manifestations contre l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité se sont tenues dans les principales villes de France et ont rassemblé plus de 40 000 personnes.

Notre tâche est désormais de réussir les prochaines échéances militantes et d’unifier les batailles contre la criminalisation du mouvement social, contre les violences policières, contre l’état d’urgence, les lois racistes et la guerre. C’est ainsi que nous aiderons à changer le climat politique, en contrecarrant l’actuelle dynamique sécuritaire et réactionnaire. 

Jean-Baptiste Pelé
dans la revue L'Anticapitaliste n° 73 (février 2016)

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