Grève au centre hospitalier du Rouvray (76) : « La santé, c’est de l’humain, pas des chiffres ! »

La grève démarrée le 30 août est pour l’heure suspendue depuis le 27 septembre. En effet, ce jour-là, après près d’un mois de grève des personnels de l’hôpital, la direction a annoncé qu’elle renonçait pour l’instant à mettre en place le « pool de remplacement » qu’elle avait annoncé durant l’été, et qui avait été l’étincelle mettant le feu aux poudres d’une colère accumulée depuis des années par le personnel soignant de l’hôpital psychiatrique. 

Cette annonce faisait suite à une première victoire acquise par les grévistes suite au CHSCT extraordinaire du 16 septembre : ils avaient obtenu la nomination du cabinet d’expertises de leur choix pour mener un vrai travail de recensement des postes manquants, et ainsi leur permettre d’exiger auprès du Ministère, via l’Agence régionale de Santé, les créations de postes nécessaires à un retour à des conditions de travail dignes pour le personnel et à des conditions de soin humaines pour les patients.

La psychiatrie n’est pas une marchandise 

Le centre hospitalier (CH) du Rouvray, situé aux confins de deux communes de la Seine-Maritime – Sotteville-lès-Rouen et Saint-Étienne-du-Rouvray – est l’un des plus gros hôpitaux psychiatriques de France. Il couvre une population de 600 000 habitants, plus de 5 000 patients y sont admis chaque année : c’est le troisième centre psychiatrique de France en nombre de patients. C’est aussi une référence pour les personnes malades psychologiquement, car il a toujours pratiqué un accueil psychiatrique basé sur le dialogue avec les patients et l’ouverture sur le monde extérieur, avec ce que cela suppose comme moyens humains pour le faire : ce parti pris est en totale contradiction avec toutes les contre-réformes imposées par les gouvernements successifs depuis des années, consistant à rendre la santé « rentable », comme s’il s’agissait d’une marchandise. 

Aujourd’hui, le CH du Rouvray a régressé au 27ème rang en nombre de soignants, avec 1 800 salariés répartis sur plusieurs sites, soignant les enfants et les adultes, dont des détenus, et avec également une « unité pour malades difficiles », complètement fermée, construite durant la présidence de Sarkozy, malgré l’opposition des personnels et des associations de défense des droits de l’homme locales. Il a subi de plein fouet la politique de régression sociale touchant l’ensemble de la santé publique. Aujourd’hui, avec la tarification à l’acte, la direction ne parle plus de patients mais de « lits », et elle rend les soignants interchangeables d’un service à l’autre, alors même que le soin psychiatrique demande du temps et du lien tissé auprès du patient. Certains patients attendent parfois plusieurs semaines avant de rencontrer un médecin. Le personnel est en grande souffrance et le taux d’absentéisme est donc très élevé, car ne pas venir au travail devient un moyen de se protéger. L’hôpital psy est en train de redevenir l’asile des siècles passés : le lieu où l’on enferme, sans soins adaptés, les laissés pour compte de la société capitaliste. C’est pour l’ensemble de ces raisons que l’annonce par la direction de la création d’un « pool de remplacement » de 35 soignants, en déshabillant les effectifs de plusieurs services, a jeté dans la bagarre une frange significative du personnel.

Une grève auto-organisée et ouverte sur l’extérieur 

Lancée par un collectif de jeunes soignants non-syndiqués, la grève a reçu très vite le soutien du syndicat CGT de l’hôpital, qui est une section certes vieillissante mais très combative, un peu atypique dans la santé ; cette section est connue pour ses prises de position radicales et ses liens avec l’interprofessionnel, et aussi pour sa capacité à savoir s’affranchir des directives de la fédération CGT Santé, notamment lors de l’expérience de coordination des luttes dans le secteur de la santé en 2015 (« Convergence des hôpitaux en lutte contre l’austérité »). Le syndicat CFTC a rejoint la grève au bout d’une quinzaine de jours car sa base, composée de jeunes, l’y a obligé. Quant à la CFDT, majoritaire sur le site, elle a pris ouvertement parti contre les grévistes, dénonçant même le piquet de grève dans ses tracts, et elle a été jusqu’au bout l’alliée fidèle de la direction, notamment lors du CHSCT extraordinaire du 16 septembre. 

Des assemblées générales quotidiennes ont eu lieu, pouvant rassembler jusqu’à une grosse centaine de grévistes, et un piquet de grève s’est installé jour et nuit à l’entrée de l’hôpital… au grand dam de la direction, scandalisée par les tentes montées par les grévistes, qui étaient déterminés à mener une grève active et ouverte aux soutiens extérieurs. En effet, de nombreux autres salariés, militants syndicalistes, mais aussi de gauche et d’extrême gauche, de « Nuit debout » Rouen, sont venus apporter leur soutien sur le piquet et ont contribué à la popularisation de la grève. Lors de barrages filtrants avec diffusions de tracts à l’entrée, les grévistes ont aussi recueilli le soutien des familles des patients. L’énergie des grévistes, le mélange générationnel en leur sein, et leur radicalité exprimant le rejet d’une société qui broie les êtres humains au nom du profit, sont autant de signes qui montrent que l’ambiance dans le monde du travail a bien changé, avec la lutte sociale d’ensemble menée dans le pays pendant plus de quatre mois contre la loi Travail ! La grève n’est que suspendue, les grévistes le rappellent sans cesse : une fois le rapport d’expertise publié, c’est pour la création de tous les postes manquants que le combat devra reprendre.

Marie-Hélène Duverger

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