Ces dernières années les droits individuels des femmes, en particulier celui à l’avortement, n’ont cessé de reculer. Les attaques se sont accentuées dans tous les pays, en même temps que le mouvement féministe se fragmentait et perdait en influence, alors que les secteurs les plus réactionnaires, eux, renforçaient leurs positions.
Aux États-Unis, la décision de la Cour suprême établissant qu’aucun État ne peut interdire la réalisation d’un avortement constitue une victoire pour les femmes. Mais cela ne peut occulter les obstacles au droit à l’avortement, qui se sont multipliés sous l’influence de la droite chrétienne intégriste.
En Europe aussi s’exprime la puissance du lobby « pro-vie », avec à sa tête le pape François. En décembre 2013, le Parlement européen a rejeté le rapport Estrela, qui comportait une série de recommandations sur la santé, l’accès aux méthodes contraceptives, l’avortement, la procréation médicalement assistée, l’éducation sexuelle et la liberté de conscience. Ce texte proposait également que l’avortement devienne un thème de compétence de l’Union européenne – ce qui pouvait ouvrir la voie à son autorisation dans tous les États membres.
C’est dans ce cadre que Rajoy (Premier ministre de l’État espagnol) a cru pouvoir utiliser la question de l’avortement pour tenter de renforcer son gouvernement, en consolidant le soutien de secteurs de droite qui commençaient à s’éloigner du fait de résultats économiques et sociaux tout sauf brillants. Mais comme dans l’histoire de l’apprenti-sorcier, Rajoy n’a réussi qu’à déclencher un tourbillon qui pourrait s’avérer incontrôlable. Des présidents de région membres de sa formation, le Parti populaire (PP), ont pris position contre la « réforme » supprimant le droit à l’avortement, tandis que des parlementaires du PP réclament le droit de voter selon leur conscience. On voit même se prononcer contre des secteurs de l’Église, les réseaux chrétiens et les coordinations de base. Selon un sondage, l’opposition au projet de loi est partagée par 86 % de la population !
C’est le PSOE (parti socialiste) qui, surfant sur la vague avec une campagne qui combine le droit des femmes à avorter et la défense d’une liberté démocratique, profite aujourd’hui de cette dégringolade. Tentant de se gagner les faveurs des « Indignés », il souligne que « tous les partis ne sont pas les mêmes » : le PP veut liquider les droits démocratiques quand le PSOE, lui, les défend : « Jeune espagnol, vote PSOE en 2015 ! » Une tactique qui commence à porter ses fruits puisque les derniers sondages le donnaient gagnant.
Dans le même temps, les femmes de l’État espagnol se mobilisent. L’initiative du « train de la liberté », des trains et des bus partant de différentes villes pour embarquer sur leur parcours les participantes à la manifestation du 1er février à Madrid, semble rencontrer un écho important.
Quant aux manifestations de solidarité, elles s’étendent à toute l’Europe, en commençant à insuffler une nouvelle vie au mouvement féministe. Nous en aurons bien besoin ici aussi, où les réactionnaires et les intégristes restent très agressifs, tandis que le gouvernement, tout en se présentant comme un grand défenseur du droit à l’avortement, rend son application plus difficile avec ses politiques d’austérité à l’hôpital, ponctuées de fermetures de centres d’IVG.
De la victoire des femmes en Espagne dépendra, dans une large mesure, la possibilité pour les femmes européennes des générations à venir de continuer à décider si et quand elles veulent être mères.
Virginia de la Siega
dans la revue L'Anticapitaliste n° 51 (février 2014)