Le 6ème congrès de l’Union syndicale Solidaires s’est tenu à Dunkerque la première semaine de juin 2014. 347 congressistes dont un tiers de femmes, représentant 38 structures nationales et 53 unions départementales, ont participé à ses travaux. C’est l’occasion de faire le point sur la réalité militante et les orientations politiques de cette organisation syndicale à l’histoire particulière dans le mouvement ouvrier français.
Marquée par la proximité politique de beaucoup de ses dirigeants historiques ou de ses animateurs locaux avec des organisations d’extrême gauche, notamment le NPA (et avant la LCR) et Alternative libertaire, Solidaires véhicule l’image d’un syndicalisme différent des autres confédérations, plus radical et interventionniste dans tous les domaines de la vie sociale, moins bureaucratisé, plus démocratique et mettant au cœur de son positionnement la nature de classe du combat pour l’émancipation des salariés.
Solidaires compte 99 000 adhérents dans 55 structures nationales (syndicats de branche ou d’entreprise) et quelques milliers « d’adhérents directs » pour totaliser 110 000 adhérents (la CGT en revendique environ 600 000, la CFDT environ 800 000, la FSU 170 000). Depuis 2003, Solidaires est passé de 38 à 55 structures nationales et s’est renforcé d’environ 3000 adhérents chaque année. Il y a eu une nette ouverture sur le secteur privé avec un développement dans le commerce, la restauration, l’industrie, les convoyeurs de fonds. Solidaires n’est plus seulement un syndicat de la fonction publique. Ainsi, dans l’industrie, plus de 30 syndicats départementaux ou régionaux ont été créés depuis 2011. Plus de
85 % des contestations au tribunal de « représentant de section syndicale » ont été gagnées par Solidaires Industrie. Dans le commerce, l’implantation de Sud Commerce a été suivie de luttes emblématiques dans ce secteur frappé par la précarité et les bas salaires (chez Apple, à la Fnac, chez KFC ou Pizza Hut).
Cependant, il y a encore de très grands déséquilibres numériques : quatre structures de plus de 10 000 adhérents comptabilisent plus de la moitié des adhérents de Solidaires : Sud Santé Sociaux, Solidaires Finances publiques, Sud PTT et Sud Rail. A la Poste, Sud est la deuxième organisation, à la SNCF, la troisième. Mais il y a 20 structures nationales de moins de 200 adhérents, comptant au total moins de 3000 adhérents en 2012.
Solidaires est la 6ème organisation dans la fonction publique d’État et la 4ème dans la fonction publique hospitalière. Les élections de décembre 2014 dans les trois versants de la fonction publique seront très importantes pour le maintien ou la reconnaissance de la représentativité de Solidaires, d’autant que celles de 2011 ne lui avaient pas été favorables.
A Dunkerque, une équipe de sociologues qui suit Solidaires depuis ses deux congrès précédents a rendu public le résultat du dépouillement des enquêtes du congrès de 2011. Ils sont intéressants dans ce qu’ils révèlent des évolutions des militants les plus impliqués. Le taux de féminisation s’accroit légèrement mais il y a un réel vieillissement des délégués. Les fonctionnaires représentent encore plus de la moitié des congressistes. Il y a également une baisse du nombre de primo-participants à un congrès national et une diminution du nombre de syndiqués ayant appartenu à une autre organisation syndicale auparavant. C’est la preuve d’un recrutement de plus en plus direct et la fin d’une génération issue d’autres organisations syndicales, notamment de la CFDT.
Si une majorité des syndiqués appartiennent à une association (60 %), seulement 20 % sont membres d’un parti politique. Le militantisme à Solidaires n’est pas (ou de moins en moins) le pendant d’un engagement partisan, notamment à l’extrême gauche. C’est à la fois lié au fait qu’au fur et à mesure que le syndicat grossit, il recrute au-delà des cercles déjà militants, mais aussi parce que le militantisme à Solidaires, dans la tradition du syndicalisme révolutionnaire, se vit comme un engagement politique à part entière. La raison principale d’adhésion à Solidaires est la construction d’un outil syndical de lutte. Par contre, la recherche de l’unité d’action avec les autres syndicats motive de moins en moins…
Un congrès œcuménique
Les modalités de préparation et d’organisation du congrès national de Solidaires n’ont pas grand chose à envier à une usine à gaz. Cinq textes d’orientation étaient soumis au débat, avec, au total, plus de 500 pages de textes et d’amendements ! Il est clair que très peu de militants peuvent s’emparer dans leurs structures de base de ces débats et que les commissions d’amendements deviennent vite une affaire de « spécialistes » mandatés par les grosses fédérations. Ce qui peut être assez déroutant, du coup, c’est la manière dont se règlent les désaccords, pourtant volumineux en terme de lignes écrites, lors des travaux du congrès : la règle du consensus, historique à Solidaires, entraîne la disparition de la quasi totalité des amendements faisant désaccord avant les séances de vote. Et là, les règles sont faites pour qu’il soit très difficile à un amendement d’être adopté car il faut alors une majorité des deux tiers des structures nationales.
Pourtant, des désaccords importants subsistent, notamment sur une question essentielle pour le mouvement ouvrier aujourd’hui : le financement de la protection sociale. Il y a un vieil antagonisme entre certaines fédérations, comme Solidaires Finances publiques, d’un côté, Sud Santé Sociaux et Sud Protection sociale, de l’autre, les premières étant partisanes d’une fiscalisation d’une partie du financement de la Sécu, alors que les autres défendent le principe du salaire socialisé et du financement uniquement par les cotisations. Cette année, c’est sur l’idée de faire financer la politique familiale de la Sécurité Sociale par le budget de l’Etat que les discussions ont porté... avant que Solidaires Finances publiques ne remballe ses amendement avant les votes.
Mais en réalité, année après année, les positions fondamentalement réformistes de cette fédération gagnent du terrain. La règle du « consensus » et le droit de veto des structures nationales (dont certains syndicats ont demandé une nouvelle fois en vain la suppression) rendent impossible qu’elles soient adoptées par l’ensemble de Solidaires mais jusqu’à quand ?
De même, le débat autour des revendications à propos de l’euro a été soigneusement évité car jugé trop conflictuel par le secrétariat national. Il faut laisser « le temps au temps ». Une seule question conflictuelle aura finalement été tranchée par le congrès, c’est l’affirmation de la position abolitionniste de Solidaires à propos de la prostitution.
Quelques votes ont eu lieu : un pour revendiquer un écart salarial de 1 à 4, alors que les textes actuels de Solidaires disent entre 1 et 10, l’autre pour revendiquer un SMIC à 1700 euros nets. Les deux ont été rejetés. De même que la proposition, portée par Sud PTT, de changer le nom de Solidaires en «Solidaires-Sud».
Un congrès tout en équilibre... précaire
Le rapport d’activité sur les trois dernières années a suscité très peu de débats. Défendu à la tribune par Annick Coupé, il a permis au secrétariat national sortant de se livrer à un exercice d’équilibriste. Dénonçant à la fois le syndicalisme « rassemblé » porté par la CGT, dont Solidaires a fait les frais lorsqu’elle s’est retrouvée exclue de l’intersyndicale interprofessionnelle en février dernier sur la demande de la CFDT, et vantant l’unité d’action avec la CGT et la FSU... Il a été compliqué de trouver des exemples d’unité syndicale avec ces organisations ayant débouché sur des mobilisations un tant soit peu significatives. Par rapport à la FSU, interpellée par la Fédération Sud Éducation, Annick Coupé a assuré que c’était « effectivement compliqué », et pour cause ! La mise en place des nouveaux rythmes scolaires a été effectivement fatale à « l’unité syndicale » dans l’Éducation nationale, la FSU ayant accompagné la mise en œuvre de la réforme et s’étant employée à briser toutes les tentatives de bagarres locales. De même, il peut s’avérer « compliqué » de qualifier le gouvernement Hollande comme pire que celui de Sarkozy et de se féliciter en même temps d’être désormais convié par le pouvoir lors des conférences sociales à venir, comme les autres organisations syndicales dites « représentatives ».
Le rapport oral d’Annick Coupé s’est achevé sur la nécessité de « construire une opposition sociale et de gauche, sans exclusives, car il n’y a pas de répartition des tâches entre les organisations politiques et les syndicats », face au gouvernement. L’initiative du 12 avril a été qualifiée de réussite, « malgré la méthode du fait accompli », et la nécessité a été affirmée de construire un « cadre pérenne », en assurant notamment le succès de l’initiative du 21 juin. Aucun bilan de la réalité des collectifs locaux dits « du 12 avril » ni de la participation en leur sein des Solidaires locaux n’a cependant été demandé.
La nécessité de la convergence des luttes et de la construction d’un mouvement d’ensemble est plus que jamais réaffirmée. Mais nul bilan n’a été tiré des réticences avérées des directions des fédérations Sud Santé Sociaux ou Sud PTT à donner tous les moyens à des luttes existant dans leur secteur d’activité pour se renforcer, s’étendre et gagner. Car s’il est peut-être exagéré de tirer trop de conclusions de l’attitude de ces directions fédérales lors de l’occupation de l’Hôtel Dieu à Paris ou de la grève des postiers du 92, cela entraîne de réelles interrogations dans une partie des militants de ces organisations pour le moins, voire au-delà.
Le congrès s’est achevé par un renouvellement du secrétariat national avec le départ, pour cause de retraite, de trois membres « historiques » de la direction de Solidaires : Annick Coupé, Christian Mahieux et Thi Trinh Lescure. Un nouveau secrétariat de douze personnes a été élu... et il a fallu pour cela qu’un amendement aux statuts soit préalablement voté (sous une forte pression du secrétariat sortant) pour s’adapter à la réalité : trois membres d’une même fédération peuvent désormais appartenir au secrétariat national (trois militants de Sud PTT en l’occurrence). Une autre nouveauté : deux co-délégués généraux ont été désignés par le secrétariat national pour remplacer Annick Coupé à la fonction de porte-parole, Eric Beymel (de Solidaires Douanes) et Cécile Gondard Lalanne (de Sud PTT). C’est une nouvelle génération qui prend les rênes, avec une tradition politique bien plus réduite, très « identitaire Solidaires » , sans l’expérience de la bagarre contre les appareils confédérés, notamment celui de la CFDT, et sans l’énergie bouillonnante, antibureaucratique de cette indépendance syndicale gagnée aux forceps.
Marie Aimache
dans la revue L'Anticapitaliste n° 56 (été 2014)