Le rapport des experts désignés par la justice qui accable la SNCF et Réseau Férré de France à propos de la catastrophe de Brétigny fait écho à la récente mobilisation des cheminotes et cheminots. Une grève dont il faut tirer les bilans pour préparer la prochaine bataille du rail...
Une mobilisation qui a impacté la situation politique après les européennes
La grève contre la réforme du ferroviaire a débutée le 11 juin c’est-à-dire quinze jours après les résultats des élections européennes. Ces élections qui avaient confirmé la défiance vis-à-vis du gouvernement PS et le rejet de sa politique ainsi que la consécration du FN qui apparaissait comme la seule alternative efficace contre les politiques d’austérité pour une grande partie des classes populaires. Ces résultats renvoyaient le mouvement ouvrier traditionnel à sa propre incapacité à capter et organiser la colère des travailleurs contre la dégradation de leurs conditions de vie et de travail. Cette situation avait entraîné une certaine démoralisation, y compris au sein du NPA, ou la caractérisation d’une nouvelle période politique dans laquelle l’émergence d’un front social et politique à la gauche du PS serait la condition pour reprendre le terrain gagné par le FN.
Un secteur emblématique pour regrouper les secteurs en lutte
La mobilisation des cheminots a contribué à modifier cette situation puisqu’elle a fait la démonstration que l’intervention directe des travailleurs par la lutte, par la grève était en capacité de contester le gouvernement. Cette mobilisation a pris d’autant plus d’importance qu’elle a servi, comme aurait pu le faire la grève de PSA Aulnay en son temps, à coaguler l’ensemble des batailles en cours pour leur donner plus de forces. Ce qui a changé la situation et déstabilisé encore plus le gouvernement c’est l’alliance et la coordination de batailles de secteurs différents au même moment : cheminots, intermittents et précaires, postiers essentiellement ainsi que des frémissements chez les agents hospitaliers ou dans l’aviation. Cette force supérieure que représentait différents secteurs en lutte a d’ailleurs été ressentie assez fortement par les cheminots en grève parce que les liens interprofessionnels se sont tissés assez rapidement et pas seulement sous l’impulsion de militants d’extrême gauche comme c’est le cas habituellement dans les mouvements.
Une combativité et l’émergence d’une nouvelle génération
L’implication des jeunes a été un fait marquant de la grève. Les AG et les manifestations étaient composées d’une grande partie de jeunes qui souvent avaient fait leurs premières expériences militantes lors du mouvement contre le CPE. Ces jeunes étaient emprunts d’une certaine combativité visible notamment lors des manifestations avec l’envie d’en découdre avec la police ou avec le gouvernement en s’approchant au plus près de l’Assemblée nationale.
Le rôle des directions syndicales et des militants révolutionnaires
Cette bataille était bien mal engagée par les directions syndicales. La CGT qui avait depuis un an déjà négocié la réforme avec la direction de la SNCF n’était pas prête à engager une réelle bataille malgré une base qui y poussait. Elle a tout au long du mouvement refusé de défendre le retrait de la réforme mais appelait à une autre réforme. Cette position n’est pas sans rappeler celle de « réécriture » de la réforme des rythmes scolaires prônée par la FSU. Elle a tout de même appelé à la grève reconductible mais sans réellement donner des perspectives pour pouvoir gagner.
Après une semaine de reconduction, sans perspective d’extension de la grève ou d’augmentation du niveau de confrontation avec le gouvernement dans les manifestations, une partie des grévistes a repris le travail. La CGT s’est appuyée sur les premières baisses des chiffres de grève pour appeler à la reprise là où elle en avait la possibilité sans passer auprès des cheminots comme capitulards ou briseurs de grève. Dans les gares où elle n’avait pas le rapport de forces pour appeler à la reprise, elle a laissé reconduire la grève mais sans donner de perspectives et en laissant peser le poids de la reprise dans les autres gares. Même si la CGT n’a pas réellement été dépassée dans le mouvement, elle n’a pas pu appeler à la reprise sur le ton de la victoire. Les amendements de Chassaigne adoptés par l’Assemblée nationale ne lui ont pas ouvert de porte de sortie honorable. Ils ne sont pas apparus auprès de la majorité des grévistes comme une avancée notable.
La direction de SUD-Rail a adopté dès le début de la mobilisation une attitude totalement suiviste vis-à-vis de la CGT. Elle n’a pas non plus défendu le mot d’ordre de retrait. Elle a mis en avant la nécessité de l’unité syndicale pour pouvoir gagner la grève et ainsi n’a combattu aucune orientation de la CGT pour ne pas risquer de briser cette unité. Elle a combattu au même titre que la CGT toute émergence de structures d’auto-organisation des grévistes : journal de la grève à Saint-Lazare, cadre de coordination des AG des gares parisiennes, rédaction de tracts par les grévistes eux-mêmes…
Contrairement à d’autres mouvements, les militants révolutionnaires et notamment du NPA ont eu la possibilité de peser dans cette grève. Même si leur nombre est restreint nous avions un certain nombre de militants implantés à la SNCF et reconnu sur le terrain qui nous a permis d’influencer quelques orientations, notamment sur les gares parisiennes avec la tentative de mise en place d’une coordination des AG des gares parisiennes, embryon de ce qui aurait pu être une direction auto-organisée du mouvement à l’échelle de la région parisienne, ou encore la préoccupation de pousser à l’auto-activité des grévistes. Il est à noter que nous n’avons pas réussi à mener cette politique en commun avec les militants de Lutte ouvrière qui n’ont pas cherché à se coordonner avec nous.
Une petite structuration du travail politique du NPA en direction des salariés de la SNCF préexistante au mouvement par le biais de la diffusion du bulletin de branche ainsi qu’une réactivité du parti peu habituelle autour de cette grève (impulsée par la gauche du NPA mais qui a entraîné plus largement au final) ont permis d’augmenter notre influence. En effet, dès les premiers jours de la grève, des militants du NPA se sont rendus sur les gares d’abord pour organiser des diffusions de tracts en solidarité avec la grève en direction des usagers mais aussi pour assister aux AG, pour apporter leur soutien aux grévistes et se lier à eux. Cette intervention nous a permis d’avoir une vision plus précise de l’état d’esprit des grévistes, de pouvoir centraliser les informations plus rapidement. Nous avons tenté de mettre en place une équipe de direction chargée de suivre la grève en lien avec le secteur cheminot qui a permis de discuter des orientations à défendre dans la grève, qui a tenté de mobiliser le parti autour de cette mobilisation et qui a contribué à sortir du matériel. Même si ça devrait être la norme, ce type de dispositif est tellement exceptionnel dans le NPA qu’il est à souligner.
Des faiblesses de la mobilisation que nous n’avons pas réussi à surmonter
Malgré un certain nombre d’aspects très positifs cette grève n’a pas gagné. La raison est sans aucun doute le refus de la part des directions syndicales de mener bataille mais aussi notre faiblesse pour pouvoir les dépasser. Nos camarades ont bien évidemment essayé de construire ces cadres d’auto-organisation qui auraient pu permettre à la mobilisation de prendre ses propres décisions. C’était notamment l’enjeu de l’appel à « l’AG des AG » qui se voulait être un cadre de coordination des AG des gares parisiennes. Il était juste de tenter de construire ce cadre même s’il n’a en rien concurrencé l’influence des directions syndicales et n’a pas permis de contrer l’appel à la reprise.
Dans la grève, nous n’avons pas réussi à contrer le faible niveau d’auto-activité des grévistes. La majorité d’entre eux participaient aux AG, dans lesquelles ils prenaient peu la parole d’ailleurs, mais ne participaient pas aux activités de construction de la grève : tenue des piquets de grève, passage dans les services pour convaincre les non-grévistes de rejoindre le mouvement, diffusion aux usagers, écriture de tracts... Nous n’avons pas réussi à impliquer largement les cheminots dans l’animation quotidienne de la grève. De même la mobilisation est restée très peu structurée à la base : peu de cortège de gare dans la manifestation mais des cortèges des fédérations syndicales qui empêchaient souvent les grévistes d’une même gare de manifester ensemble, peu de tracts rédigés par les grévistes eux-mêmes.
Il existait sans doute chez les cheminots une illusion sur la possibilité de faire céder rapidement le gouvernement, ils ne s’étaient sans doute pas préparés à un conflit qui pourrait s’ancrer dans la durée. Ainsi très peu d’AG ont discuté de la mise en place de caisses de grève. C’est seulement au bout de 10 jours de grève que cette question a commencé à émerger après la reprise de collègues pour des raisons financières. C’est sans doute un des bilans que retiendront les grévistes les plus mobilisés. De même, peu d’activité a été déployée pour convaincre les grévistes de cette nécessité de tenir sur la durée, ni pour convaincre ceux qui n’étaient pas en grève de la rejoindre. Pourtant le fait de maintenir un taux de grévistes assez important pour bloquer la circulation des trains était un élément déterminant de cette grève.
Maintenant, que faire ?
Il faut tout faire pour éviter une démoralisation consécutive à la défaite et au contraire réussir à pérenniser l’expérience faite par les équipes militantes pour préparer les prochaines batailles. Pour ça, il faut réussir à tirer les leçons de la grève avec un maximum de grévistes. Une nouvelle AG des AG se réunira le 14 juillet, elle peut contribuer à cela, ainsi que de maintenir les liens entre les gares qui se sont créés. Il faut aussi trouver les moyens d’organiser des réunions gare par gare au plus proche des collègues. Dans ces réunions, il faut mettre en avant les éléments positifs de la mobilisation mais aussi pointer ce qu’il aurait fallu faire pour gagner.
Tout en pointant la responsabilité des directions syndicales, il faut proposer à un maximum de grévistes de se syndiquer en argumentant sur la nécessité de s’organiser sur la durée mais aussi sur l’idée que les salariés doivent se réapproprier les syndicats, que c’est à eux de les contrôler.
Nous devons aussi chercher à gagner au NPA les grévistes les plus proches de nous, ceux avec qui nous avons mené des batailles communes dans la grève. Il faut s’appuyer sur le caractère directement politique de cette grève et sur les démonstrations qu’ont pu faire les militants révolutionnaires dans le cours de la lutte. A l’image de la réunion organisée en région parisienne en présence d’Olivier Besancenot, il faut multiplier des réunions ouvertes dans toutes les gares où nous sommes intervenus.
A l’occasion de la grève, des militants du NPA extérieurs à la SNCF ont débuté une intervention sur des gares où nous n’avions pas d’intervention jusqu’à présent. Il s’agit maintenant de pérenniser ces interventions. La diffusion du bulletin cheminot doit se faire dans tous les lieux où nous sommes intervenus avec des équipes de diffuseurs stabilisée. De même les liens qui se sont tissés entre les militants du secteur doivent servir à renforcer l’activité de branche au sein du NPA : établir un état des lieux précis des militants, de leurs positions syndicales, de leur influence, du nombre de sympathisants, des diffusions du bulletin et des possibilités d’extension.