Lier le refus de l'intervention impérialiste et le soutien inconditionnel aux Kurdes de Kobané


La tragédie qui est en train de se jouer autour de la ville de Kobané ne peut laisser personne indifférent. Mais dans cette situation, perdre sa boussole politique, et céder à toutes sortes de pressions au nom de l’urgence, pour autant ne sauvera pas une seule vie à Kobané ni ailleurs.

Notre solidarité envers le peuple Kurde, pour son droit à la vie et l’autodétermination, est pleine et entière. Elle est inconditionnelle : nous n’avons pas besoin pour cela d’idéaliser d’aucune manière ni leurs organisations, ni ce qui est réalisé dans le Rojava pour faire la différence avec ce que représente l’État islamique (EI). Mais cela n’autorise pas non plus et d’aucune manière à minimiser la responsabilité de l’impérialisme comme l’ampleur de son implication immédiate et le rôle néfaste qu’il peut jouer.

Nous laissons bien évidemment la responsabilité aux journalistes de l’AFP de leur interprétation des propos d’Olivier Besancenot à la manifestation en solidarité avec le peuple kurde le samedi 11 octobre, en lui faisant dire qu’il a pris la parole en « appelant le gouvernement français à protéger le peuple kurde face aux Jihadistes de l’EI ». Mais pour ne pas laisser planer d’ambiguïtés sources d’interprétations diverses, il faut clarifier ces deux points essentiels : le rôle exact de l’impérialisme et notre responsabilité ici en tant que force politique anticapitaliste, révolutionnaire, et internationaliste.


La responsabilité de l’impérialisme

Les difficultés de l’impérialisme américain sont incontestables : échec lors de son intervention précédente à réorganiser le Moyen-Orient ; situation de chaos aggravée par toutes les manœuvres visant à endiguer les conséquences de ce qu’on appelle « les révolutions arabes » ; contrôle très relatif de leurs alliés dans la région qui jouent de plus en plus leur propre partition, avec leurs propres rivalités, au point de jouer avec le feu et conduire à des situations inextricables. A cela s’ajoute le moindre intérêt probablement des États-Unis pour cette région au fur et à mesure que se confirment les potentialités énormes du gaz de schiste susceptible de modifier dans les années à venir très fortement la question énergétiques entre les grandes puissances.

Les rivalités entre impérialismes ne sont pas non plus à négliger.

Mais la nécessité de dénoncer en premier lieu et en tout lieu l’intervention de l’impérialisme quelles que soient les circonstances du moment sont fondamentalement liées à deux aspects :
  • Le monde capitaliste reste structuré, organisé par l’impérialisme dont les intérêts ne sont jamais liés par aucun engagement vis-à-vis d’aucun peuple, même si ponctuellement ils peuvent faire le choix de soutenir telle ou telle lutte avec leurs propres méthodes et leurs propres objectifs.
  • La nouvelle guerre qui a commencé va durer des années. C’est un bourbier et ce n’est pas pour rien que les États-Unis en particulier y vont à reculons. Dans cette guerre, on va assister à tous les retournements possibles qui pourront profiter ponctuellement à telle ou telle organisation kurde, même celle aujourd’hui qualifiée de « terroriste », ou telle autre organisation islamique qualifiée aujourd’hui de « barbare ».
Dans l’immédiat et très ponctuellement, l’impérialisme a fait le choix de limiter la puissance de l’EI sans solution alternative durable, en soutenant certaines factions kurdes et pas d’autres. Ce n’est pas sans importance sur le terrain, pour les Kurdes notamment. Mais sur quel clou devons-nous à taper en premier lieu qui nous aide à nous repérer sur le plus long terme ? Le drame humain que vivent les Kurdes de Kobané aujourd’hui ne doit pas nous conduire à perdre toute lucidité sur la situation prise dans sa globalité.

Solidarité et défense du peuple Kurde

La discussion s’est malheureusement très mal engagée dans le NPA, au risque de nous enfermer dans un faux débat entre soutien au peuple kurde et dénonciation de l’impérialisme.

Se contenter de dénoncer l’impérialisme et en rester là serait sans aucun doute une erreur et nous ne la partageons pas même si des esprits bien intentionnés cherchent manifestement à nous coller ce genre de polémique. Quand des femmes se battent les armes à la main pour défendre non seulement le droit du peuple kurde à l’autodétermination mais aussi une certaine conception des rapports démocratiques entre les sexes, il est important d’en parler en même temps que nous dénonçons notre propre impérialisme. C’est bien plus parlant pour bon nombre de gens ici qui n’ont pas seulement des illusions dans les vertus démocratiques de notre propre impérialisme, mais c’est lié, ne voient les autres peuples, à l’autre bout du monde, qu’avec toutes sortes de préjugés, notamment dans les régions dominées par l’islam.

Ajoutons également que nous ne sommes pas seulement solidaires de manière abstraite ou simplement propagandiste, en particulier revendiquer l’ouverture des frontières pour accueillir les réfugiés est une campagne que malheureusement le NPA ne mène pas et qui serait bien plus à sa portée que d’expliquer à l’impérialisme ce qu’il doit faire : des armes mais pas des bombes.

Or c’est le deuxième aspect : faire croire que la seule réelle solidarité avec le peuple kurde devrait être pour nous d'exiger à cette étape de notre propre impérialisme les armes qu’il n’a envie de donner pour l’instant qu’à certaines organisations kurdes et pas à d’autres (au PKK pour être plus précis, car il en donne depuis bien longtemps à Barzani et à d’autres). Que le PKK et ses alliés le demandent est leur droit et nous n’allons certainement pas dans la situation actuelle le dénoncer, quoi que nous pensions par ailleurs de la politique du PKK dont l’objectif stratégique et le résultat prévisible ne sont pas forcément différents de Barzani. Mais en France, face à notre propre impérialisme, ce n’est pas à nous de susciter des illusions sur le thème : des armes et pas des bombes. Et c’est très exactement ce qui est arrivé aux députés de l’ Alliance rouge et verte dont des membres de la IV° Internationale qui ont voté au parlement les crédits de guerre sous prétexte que cela permettait d’envoyer des armes mais se sont retrouvés très vite confrontés à la deuxième étape, la seule réellement importante pour le gouvernement danois comme pour les autres : l’envoi de F-16 danois qui aujourd’hui bombardent l’Irak aux côtés des États-Unis et de la France.

Plutôt que d’assumer la discussion, la direction majoritaire préfère aujourd’hui polémiquer sur le pire des terrains - celui du moralisme sans principe - pour savoir parait-il qui se préoccupe des vies humaines, et qui ne s’en préoccupe pas. Cela la conduit à faire silence sur ce qui s’est passé au Danemark là où la question s’est posé concrètement. Comme à faire semblant de ne pas voir, au passage, que les organisations alliées du PKK aujourd’hui ne demandent pas seulement des armes mais également l’intensification des bombardements.

Être solidaire du peuple Kurde, ce n'est pas éluder la responsabilité centrale de l'impérialisme dans le développement de courants réactionnaires comme l'EI. Et la situation que vivent les peuples de la région. Sans pour autant nier que ces courants réactionnaires ont également leur propre logique et autonomie. Nous devons donc participer aux manifestations en défense du peuple Kurde, tout en liant cette défense inconditionnelle avec notre refus sans ambiguïté de l'intervention impérialiste. C'est pourquoi nous ne signons pas d’appels à manifester qui demandent à notre gouvernement de fournir des armes aux Kurdes. Nous ne donnons pas l'illusion que notre bourgeoisie pourrait défendre les peuples de la région. Nous participons donc à ces manifestations mais sur nos propres bases. En y défendant :
  • L'arrêt de l'intervention impérialiste au Moyen-Orient, le retrait des troupes françaises des pays qu'elles occupent ;
  • le droit à la résistance au Rojava de se procurer des armes, le retrait du PKK et du PYD de la liste des organisations terroristes ;
  • le refus de la « zone-tampon » demandée par la Turquie et approuvée par la France, la levée du blocus ;
  • l'ouverture des frontières aux réfugiés, la régularisation de tous les sans-papiers.
Cela passe aussi par la tentative de mettre en place un cadre unitaire national qui appelle à des initiatives de rue avec cette orientation centrale : « lier le refus de l'intervention impérialiste au soutien inconditionnel au peuple Kurde ». Il est peu probable que ce cadre soit bien plus large que celui des organisations révolutionnaires, mais justement c'est d'autant plus notre rôle de le faire apparaître aussi petit soit-il.

L'équipe d'animation du courant Anticapitalisme & Révolution
15/10/14