Nous voilà à quelques jours de la journée nationale de mobilisation du 15 novembre appelée par le collectif national « 3A », Alternative à l'Austérité. Quel premier bilan d'étape pouvons-nous tirer à propos de cette initiative que la direction majoritaire du NPA présente comme une initiative déterminante dans la construction d'un rapport de forces vis-à-vis du gouvernement et du patronat ?
Une mobilisation difficile
Il semble de plus en plus évident, au fur et à mesure que l'on se rapproche du 15 novembre, que les forces militantes qui se mobilisent en amont de la manifestation et celles qui iront manifester le jour même sont nettement en retrait par rapport au 12 avril dernier. Moins de réunions unitaires dans les villes de province, moins d'organisations représentées dans les réunions (notamment, à quelques exceptions près, absence des syndicats ou des unions départementales de Solidaires), moins de cars unitaires réservés pour aller manifester à Paris, davantage de manifestations décentralisées (notamment sous la pression du PCF), distributions de tracts peu nombreuses et difficultés à les assumer de manière vraiment unitaire... Il semble qu'un décalage s'exprime entre les décisions prises « au sommet », à la direction du cartel d'organisations qui constituent le collectif désormais nommé « Alternative à l'Austérité » lors de ses réunions quasi-hebdomadaires à Paris, et l'énergie des militants « à la base » qui semblent traîner les pieds à réitérer un « 12 avril bis ». Il y a plusieurs explications à ces difficultés, qui ne sont certes pas de même nature, mais qui, conjuguées les unes aux autres, aboutissent à ce résultat.
Du côté du PCF, il semble que dès le départ, la direction nationale n'ait pas voulu d'une manifestation nationale à Paris, pour privilégier au maximum les petites manifestations partout en France. L'expérience des manifestations appelées à Paris par le Front de gauche depuis 2012 est assez négative pour le PCF : ce sont ses militants qui ont formé le gros des troupes, mais c'est Mélenchon qui en est ressorti à chaque fois comme la figure de proue. Dans le contexte de crise aggravée du Front de gauche et de prise d'indépendance de plus en plus ouverte de Mélenchon avec celui-ci, afin de préparer son avenir présidentiel de 2017, le PCF n'a pas voulu faire du 15 novembre une énième tribune pour Mélenchon. Par ailleurs, le PCF pense (encore une fois) aux échéances électorales de 2015, année ponctuée de deux scrutins locaux importants pour lui, les cantonales et les régionales, où il est depuis belle lurette pieds et poings liés avec le PS, pour la sauvegarde de ses postes ! Il est compliqué pour le PCF de se mettre à la tête d'une fronde de rue majeure contre le gouvernement, déjà tellement affaibli, et qui répète à l'envi « après moi, le FN ! ». Alors le PCF fait dans la demi-mesure : votes d'opposition au Parlement (et encore, pas sur tous les sujets, notamment lorsqu'il s'agit de la politique impérialiste) mais de là à fomenter la révolte sociale, il y a de la marge !
Du côté des organisations syndicales qui ont participé à la manifestation du 12 avril puis ont continué à prendre part aux réunions du collectif, seul Solidaires a renouvelé systématiquement sa participation au niveau de ses instances nationales. Pour la CGT, seule sa fédération des services publics y est représentée. Quant à la FSU, elle a plutôt brillé par son absence. Du côté de Solidaires, la participation au 12 avril avait été finalement un choix de dernière minute au niveau national, notamment parce qu'une partie de ses fédérations ou de ses syndicats locaux s'y étaient largement impliqués, pensant que l'unité des salariés, impossible à réaliser par l'unité syndicale, passerait par d'autres biais. La déception de voir une grande partie du succès de la manifestation détournée au profit des intérêts politiciens du Front de gauche, largement ressentie parmi les militants de Solidaires, a contribué à ce que Solidaires reprenne une position de défiance par rapport à ce cadre unitaire sous couvert « d'indépendance par rapport aux partis politiques ». Argument de repli défensif, attentiste en réalité, qui aurait peut-être été balayé si Solidaires avait su proposer une ligne d'action bien plus radicale à une partie des équipes combatives de certains secteurs (en lutte à l'époque ou qui allaient entrer en lutte par la suite : postiers, cheminots, intermittents, santé) ou à certains secteurs de la CGT disponibles pour une autre orientation que celle menée par Thierry Lepaon. Le choix de Solidaires de boycotter la journée du 16 octobre de la CGT (sauf quelques exceptions comme la fédération Sud Ptt ou quelques Solidaires locaux) confirme le fait que Solidaires n’est pas en capacité, aujourd'hui, de mener une politique offensive vis-à-vis d'une frange militante combattive, qu'elle soit à la CGT ou proche des partis politiques réformistes. Du coup, les occasions manquées d'aider à rassembler dans la rue les opposants à la politique gouvernementale se multiplient. Là où Solidaires a cependant eu raison, c'est d'avoir défendu auprès du collectif 3A qu'il reprenne comme date de mobilisation centrale celle du 18 novembre, prochaine date de manifestation nationale à Paris de la « convergences des hôpitaux en lutte contre l'austérité » (après le succès de celle du 23 septembre). Car c'est effectivement cet exemple de luttes qui s'étendent « par en bas » qu'il faut aujourd'hui privilégier. Notre parti, par ailleurs assez engagé dans cette initiative d'auto-organisation, aurait dû appuyer, relayer cette proposition. Appeler au 15, trois jours avant le 18, c'est finalement une façon de se couper des mobilisations réelles.
Le « front social et politique » est toujours là....
Le collectif national « Alternative à l'austérité » est né en septembre 2014, mais il s’est agi plutôt d’une mutation discrète que d’une naissance. Les organisations syndicales et politiques, les associations qui avaient appelé à la manifestation du 12 avril 2014 ont maintenu un cadre de réunion régulier au niveau national, « au sommet » (alors que la plupart des cadres collectifs unitaires locaux, qui auraient pu jouer un rôle de mobilisation, au plus près de la population, ont disparu sitôt le 12 avril passé). Il y a eu des « Assises » à Paris en juin, qui ont regroupé moins de 200 personnes, essentiellement des représentants des différentes organisations, qui n'ont absolument pas permis de maintenir un semblant de réaction commune face à la politique gouvernementale. Ainsi, cet été, alors que l'attaque israélienne sur Gaza bénéficiait du soutien du gouvernement français, absolument rien n'a été fait dans ce cadre unitaire pour appeler à des manifestations de soutien au peuple palestinien, ni même pour protester contre l'interdiction et la répression d'une partie de ces manifestations par le gouvernement Hollande. En revanche, elles ont « assis » la légitimité d'un programme commun à ce regroupement d'organisations. La conclusion de l'appel fondateur du collectif 3A dit qu'il est « plus qu’urgent de nous rencontrer, urgent de résister, urgent de reprendre le contrôle de nos vies, urgent d’empêcher qu’on nous les vole, urgent d’imposer d’autres choix. C’est le but de notre collectif, qui s’est donné pour tâche de réunir mouvement associatif, mouvement syndical et mouvement politique, afin de porter une alternative à l’austérité dans le débat politique et dans la rue »… Il n'est pas difficile de faire plus consensuel et plus creux. Aucun débat sérieux n'a eu lieu dans une quelconque instance directionnelle du NPA pour savoir si celui-ci adhérait ou pas à ce nouveau collectif, mais le NPA est systématiquement représenté par un ou deux membres de son comité exécutif aux réunions hebdomadaires parisiennes. De fait, le NPA est même l’un des acteurs les plus volontaristes de cette unité au sommet. Mais cela ne signifie pas qu'il pèse sur les contenus politiques du collectif... parce que les camarades du NPA qui y participent abdiquent à l'avance la possibilité de le faire !
Il n'y a pas de désaccords dans le parti pour dire que le budget 2015 va être l’un des pires budgets d'austérité jamais mis en œuvre par un gouvernement, qu'il va contribuer à aggraver considérablement les conditions de vie d'une majeure partie de la population, qu'il accélère le processus de destruction de la Sécurité Sociale et qu'il est donc juste de faire tout ce qui est possible pour que s'exprime dans la rue le rejet de celui-ci par les classes populaires. Mais au-delà de ce constat partagé, diffère ensuite dans nos rangs la méthode pour y parvenir... Méthode qui ne semble toutefois pas être totalement détachée du but que les uns et les autres se sont fixés en réalité. Pour les uns, il s'agit avant tout de mettre en avant la nécessité d'un « front social et politique » comme préalable aux possibilités de mobilisation sociale, mais qui revient dans les faits à défendre une « alternative » à la politique de Hollande-Valls, à la remorque des organisations du Front de gauche. Pour d'autres, il s'agit de construire des mobilisations, qui soient un tant soit peu à la hauteur de la riposte nécessaire pour faire reculer ce gouvernement, qui s'appuient donc sur des secteurs déjà en bagarre, ou sur des liens déjà tissés lors de grèves ou de luttes précédentes, et qui mettent en avant des revendications vitales pour le monde du travail (« des mesures d'urgence » qui nécessiteront forcément d’empiéter sur le sacro-saint droit patronal et qui s'en prennent aux intérêts du capital).
Manifester dans l'unité sans rien renier
L'appel unitaire pour le 15 novembre n’était pas acceptable pour le NPA. Loin de proposer de construire une riposte face au gouvernement sur le terrain des mobilisations, l’architecture du texte consiste à mettre en avant un certain nombre de mesures réformistes qui constitueraient le programme d’une alternative sociale et politique : réforme fiscale d’ampleur, relancer l’économie, une redistribution des investissements au service de la grande masse de la population, toutes choses fort discutables car d'évidence, elles ne s’attaquent pas frontalement au pouvoir du patronat, des capitalistes, et ne répondent même pas aux bagarres partielles contre les licenciements et la précarité, pour l’augmentation générale des salaires. L’objectif de rassembler toutes les forces disponibles pour cette alternative sociale et politique est même inscrit noir sur blanc : « Il existe dans le pays une majorité de femmes et d’hommes disponibles pour cette alternative sociale et politique, des forces syndicales, sociales, associatives, politiques que nous voulons rassembler. » Alors notre parti aurait dû appeler à la manifestation sans soutenir cet appel. Ce qu'a fait Alternative Libertaire, sans pour autant d'ailleurs ni rompre avec le collectif ni se faire exclure par celui-ci.
Il est prévisible que 15 novembre ne sera pas un raz-de marée social. Mais il peut être une occasion de dire notre colère et de s'adresser à d'autres militants, à des secteurs mobilisés du monde du travail, en mettant en avant des revendications vitales comme par exemple l'interdiction des licenciements, le partage du travail entre tous sans perte de revenus, l'augmentation des salaires et minima sociaux d’au moins 300 euros par mois. Mais aussi d'enfoncer le clou sur la nécessité d'un vrai mouvement d'ensemble, seul capable de renverser le rapport de forces. Si ce n'est pas pour dire cela, autant attendre les marchands d'illusions pour 2017 !