Il y a deux mois encore, le gouvernement de Peña Nieto était l’enfant chéri de l’impérialisme. Avec l’approbation par le parlement mexicain, en août 2014, du Pacte pour le Mexique, le processus de subordination croissante aux États-Unis – initié en 2005 par la signature de l’Alliance pour la sécurité et la prospérité de l’Amérique du Nord (ASPAN) – avait le vent en poupe.
A travers l’ASPAN, le Mexique s’est soumis aux directives du Commandement de l’Amérique du Nord (structure militaire conjointe sous direction états-unienne), une des fonctions de ses forces armées devenant de garantir la sécurité nationale des États-Unis face aux menaces du crime organisé et du terrorisme en Amérique Centrale et dans la Caraïbe. En conséquence, le système judiciaire mexicain a été réformé et une guerre a été lancée contre le narcotrafic, renforçant l’emprise sur la société de la police, des militaires et des paramilitaires.
Le Pacte pour le Mexique a été approuvé à travers un accord entre le PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), actuellement au pouvoir, et le PAN (Parti d’action nationale), qui contrôlait le gouvernement précédent.
Ce pacte – qui reste à ratifier en deuxième lecture par les députés – liquiderait 76 ans de monopole d’État du gaz et du pétrole, en ouvrant ces secteurs aux capitaux étrangers et privés. Il changerait les règles du jeu dans les domaines des télécommunications, de l’éducation, de la fiscalité et de la finance, où un plein accès serait accordé aux États-Unis (et à d’autres puissances impérialistes, telle la France qui vient de signer 41 accords avec le Mexique, dont un pour équiper et entraîner sa gendarmerie).
Enrique Peña Nieto, qui n’a accédé à la présidence qu’avec 38 % des voix et ne dispose d’une majorité dans aucune des deux chambres du parlement, a dû payer un prix élevé pour son adoption. Le PAN a exigé – et obtenu – l’arrêt des investigations sur les 100 000 assassinats et 30 000 disparitions survenues sous la présidence de Felipe Calderón (2006-2012), avec le lancement de l’offensive militaire anti-narcos.
Encouragées par cette « amnistie », les forces de sécurité – une armée et une police corrompues et liées au narcotrafic – ont persisté dans leur spirale de violence incontrôlée. Depuis l’arrivée au pouvoir de Peña Nieto, il y a 14 mois, il y a eu 23 640 assassinats.
C’est alors que l’impensable s’est produit.
Face à l’assassinat de six personnes dont trois étudiants et à la disparition de 43 élèves-instituteurs de la ville d’Ayotzinapa, leurs parents, camarades et enseignants ont décidé que trop, c’était trop. Ils sont descendus dans la rue pour exiger l’apparition en vie des séquestrés, en rejetant toutes les tentatives de conciliation du gouvernement.
Et leur exemple a galvanisé la société mexicaine. Les étudiants, en révolte depuis 2011 contre une société d’exploitation et de racisme qui leur vole leur avenir, se sont une fois de plus mobilisés. Leur exemple a fait tâche d’huile. Les manifestations se sont succédé au Mexique et dans une série de pays. Le cas est arrivé jusqu’à l’ONU, qui l’a qualifié de « disparition forcée » et a exigé une enquête. Jen Psaki, porte-parole du Département d’État états-unien, a demandé à la société mexicaine de « garder son calme », oubliant que c’est son pays qui, afin de défendre sa sécurité intérieure, a imposé au Mexique cette « guerre » contre son propre peuple.
Si l’on ne peut savoir ce qu’il adviendra de ce mouvement, il est certain qu’Ayotzinapa a marqué un tournant. Les mobilisations de masse qui ont commencé sur l’exigence d’« apparition en vie » scandent maintenant « Peña démission ». Omar García, survivant de la tuerie, a lancé le 20 novembre un appel à construire un mouvement national contre l’État et pour un changement de société.
Les dirigeants impérialistes commencent à se demander si la démission de Peña Nieto ne serait pas la meilleure solution. Cela ne résoudrait aucun problème de fond pour le peuple mexicain, mais représenterait néanmoins un obstacle à la ratification finale du Pacte pour le Mexique, avec tout ce qu’il implique de restrictions à la souveraineté nationale du pays.
Virginia de la Siega
Revue L'Anticapitaliste n° 60 (décembre 2014)