La victoire électorale de SYRIZA est celle d'un parti ouvrier réformiste qui n'apparait comme une gauche "radicale", un mot qui ne veut rien dire, qu'en comparaison avec la gauche social-libérale qui n'est même plus réformiste. Je précise que "réformiste" ça n'est pas une insulte mais une constatation. Quant à "parti ouvrier" ça n'est pas non plus une caractérisation morale, SYRIZA est une organisation ouvrière (on pourrait écrire ouvrière et populaire) de par son origine, son histoire, sa base sociale et son programme "théorique". Cela ne fait pas du gouvernement dirigé par SYRIZA un gouvernement ouvrier et populaire. Léon Blum faisait lucidement la différence entre gouverner et prendre le pouvoir ; dans le cadre du système un gouvernement des partis ouvriers reste un gouvernement bourgeois.
SYRIZA n'est pas un parti anticapitaliste, non seulement parce que son programme immédiat ne l'est pas mais aussi parce qu'il ne préconise pas le "socialisme par étapes", l'accumulation de réformes de structures jusqu'à ce que le communisme autogestionnaire s'impose de lui même sans casse. C'est un parti anti libéral qui s'oppose aux "dérives" du système capitaliste et souhaite le domestiquer, y compris sévèrement, sans prétendre lui substituer un autre système.
C'est tout et c'est suffisant, cette analyse politique nous dispense d'avoir à chercher d'autres arguments pour dire que "nous ne sommes pas SYRIZA".
Au moment présent le programme immédiat de SYRIZA peut paraître suffisant à la grande majorité de ses électeurs, un peu comme Mitterrand ou Lula en leur temps. Mais ce que nous savons c'est qu'à l'époque de la décadence impérialiste ce genre de réformisme est dans une impasse :
- soit il capitule rapidement et "ajourne" les réformes un peu hardies (quoi que s'inscrivant dans le cadre du système) comme la hausse des salaires, le retour sur les privatisations et sur la dégradation des retraites, un peu comme la "pause" impulsée par Delors en 1983, prélude à un changement complet d'orientation;
- soit les bourgeoisies grecques et européennes lui font la peau, pas forcément un coup d'état mais le sabotage économique et une guerilla institutionnelle jusqu'à ce que le "chaos" permette aux partis institutionnels de gagner les prochaines élections. Cela pour deux bonnes raisons, éviter la contagion mais surtout ne pas "payer pour les Grecs". L'expérience historique montre que les impérialismes peuvent parfaitement s'employer à renverser des gouvernements qui ne sont pas révolutionnaires ni socialistes, qui sont simplement des gouvernements bourgeois que pour diverses raisons la bourgeoisie ne reconnaît pas comme les siens. On a vu récemment au Honduras et au Paraguay qu'un coup d'état institutionnel pouvait suffire, sans intervention militaire.
Nous ne soutenons pas SYRIZA ni le gouvernement qu'il dirige, nous soutenons le peuple grec.
Naturellement nous soutiendrions "militairement" SYRIZA si son gouvernement était agressé par les bourgeoisies, pas forcément par les armes mais par une asphyxie économique ; de même que nous combattons l'embargo des USA contre Cuba sans être devenus pour autant des castristes. En France et dans les autres pays européens nous devons intimer aux différents gouvernements : "bas les pattes devant la Grèce, respectez les choix du peuple grec, ni ingérence ni sabotage !"
C'est ce que nous ferions spontanément s'il y avait une menace d'invasion de la Grèce par des forces coalisées sous la conduite de la Troïka ; la possible guerre économique est de la même nature.
Laissons les marxistes révolutionnaires grecs, en premier lieu ceux qui sont regroupés dans ANTARSYA, déterminer leur politique en Grèce, en dialoguant avec eux mais sans prétendre leur donner des leçons. A première vue ils ne sont pas hors des clous ! Centrons-nous sur nos propres tâches, la lutte contre notre impérialisme français.
Emettre des hypothèses est légitime, transformer le débat interne au NPA en affrontement d'hypothèses serait peu productif. De plus, même s'il n'y a pas d'accord sur la nature de SYRIZA, la collaboration gouvernementale avec un parti de droite anti-européen devrait éviter trop de dérives au sein du NPA du genre "un gouvernement en dispute". Amusant par ailleurs car si cette alliance est significative des combinaisons auxquelles la direction de SYRIZA peut se livrer je ne crois pas qu'elle change la nature du gouvernement, que celui-ci aurait été un "gouvernement ouvrier" sans cette collaboration. Quant à la "gauche de SYRIZA" la question de la participation gouvernementale sera un test du même type que le Brésil avec la DS.
Et maintenant ? Un parti réformiste comme l'est SYRIZA penche naturellement vers la capitulation, ce qui s'est traduit par divers reculs avant les élections, notamment sur la dette et sur les proclamations de bonne volonté envers l'Union européenne (UE). Mais il y a la situation spécifique de la Grèce, non seulement maillon faible mais petite nation dans une certaine mesure "opprimée" par les pays riches de l'UE. De ce fait la lutte sociale se combine avec une revendication d'indépendance nationale dirigée contre la dictature "étrangère" de la Troïka. Bien sûr il y a un risque de dérive nationaliste, d'autant qu'un des éléments de la situation grecque est le conflit avec la Turquie, source d'une fuite en avant dans les dépenses militaires, mais la "question nationale" ne s'évacuera pas facilement car ses bases sont réelles ; ce ne sont pas les envolées de Mélenchon qui défend l'impérialisme français contre l'Allemagne. La Grèce n'est pas un état impérialiste, c'est un pays dominé.
La pression des masses peut contraindre SYRIZA à opposer une certaine résistance, tout comme Chavez et d'autres dirigeants "progressistes" se sont opposés, certes de manière partielle et inconséquente, à l'impérialisme US. Donc nous verrons, mais d'ici là notre orientation politique doit s'appuyer sur notre approche historique des fronts populaires d'une part, des gouvernements anti-impérialistes (dans ce cas anti libéraux) inconséquents d'autre part.
Gérard Florenson