L’équation est posée depuis les débuts de la présidence Hollande, mais plus encore depuis que les « socialistes » assument ouvertement leur politique libérale : en l’absence de luttes sociales d’envergure et de victoires, même partielles et limitées, qui seraient capables de redonner aux salariés confiance en leur force collective, la rupture des classes populaires avec le gouvernement se traduit en un rejet de « la politique », avec pour corollaire la montée de l’abstention, ainsi que dans un renforcement des courants réactionnaires et une progression électorale constante du Front national, à des niveaux devenus alarmants.
Il ne s’agit certes pas de nier l’importance du combat politique et idéologique. Mais plus que jamais, alors que l’échec du Front de gauche – qui se voulait l’alternative institutionnelle à gauche – est patent, la situation d’ensemble ne pourra se débloquer dans un sens progressiste sans une modification qualitative du niveau des mobilisations du monde du travail et de la jeunesse.
C’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes toujours aussi attentifs au moindre frémissement des luttes. Jusqu’à présent, aucune (travailleurs de PSA, lycéens, enseignants, salariés bretons, cheminots, intermittents et précaires…) n’a permis d’arracher au gouvernement et au patronat des concessions un peu significatives. A fortiori, les mobilisations interprofessionnelles appelées par les confédérations syndicales ont fait peu recette, tant elles avaient un caractère rituel, de témoignage plutôt que de lutte effective.
Aujourd’hui apparaissent cependant de nouvelles possibilités. Après la grève d’un mois de Leroy-Sommer (Angoulême) pour les salaires, et alors que des luttes en défense de l’emploi se poursuivent, la période des NAO (négociations annuelles obligatoires) a vu se développer un nombre inédit de mouvements (grèves, débrayages, rassemblements) dans les secteurs les plus divers, de Toyota à Aéroports de Paris, de Sanofi à la Brink’s, jusqu’à des entreprises de taille beaucoup plus réduite. Et, fait notoire, dans plusieurs cas ont été obtenues des augmentations de salaire allant au-delà des propositions patronales.
Deux mouvements en cours retiennent particulièrement l’attention. L’un est la grève des personnels administratifs de catégorie C ou précaires de l’université de Paris 8 (Saint-Denis), essentiellement des femmes, engagée depuis le 19 janvier pour une augmentation mensuelle de 98 euros nets ; la présidente « de gauche », Danielle Tartakowsky, a concédé 70 euros bruts à l’heure où nous écrivons ; la grève se poursuit, toujours déterminée. L’autre est celui des facteurs de Basse-Normandie, qui ont été (et pour certains restent) en grève contre une réorganisation impliquant, à travers l’instauration d’une « pause méridienne » non payée, un allongement de la journée de travail.
Ce qui dans ce dernier cas est remarquable est le caractère majoritaire du mouvement, inédit à une telle échelle : 1236 facteurs en grève le premier jour (24 février) sur un total d’environ 2000. Résultat, la revendication a été arrachée au bout de seulement deux jours par toute une partie des personnels concernés. Les manœuvres de division de la direction – qui maintient son plan pour d’autres secteurs, notamment les postiers les plus nombreux et concentrés de Caen, la capitale régionale – mettent en évidence les faiblesses des syndicats et les difficultés d’organisation des salariés, mais n’invalident pas la leçon de ce qu’une lutte massive et déterminée peut arracher. [Cet article a été écrit avant la fin de la grève]
C’est dans cette situation que vient l’appel des confédérations CGT, FO et SUD – rejointes par la FSU – à une journée interprofessionnelle de grève et de manifestations le 9 avril. La date sera bien trop tardive pour prétendre s’opposer sérieusement à l’adoption de la loi Macron. Mais dans le contexte actuel, marqué par l’effondrement du PS et du gouvernement, la percée électorale du FN qui devrait se poursuivre dans les départementales de fin mars, mais aussi le frémissement en cours des luttes, les salariés pourraient investir cette échéance d’un autre contenu que celui que les directions syndicales veulent lui donner.
Jean-Philippe Divès
dans la revue L'Anticapitaliste n° 63 (mars 2015)