Sur les luttes sociales actuelles, ce qu’elles révèlent et permettent

PSA Mulhouse et Sevelnord

Le débrayage ou la grève chez PSA Mulhouse le 23 mars à 500, et chez PSA Sevelnord les 25, 26, 27 puis 30 mars, trois jours pleins qui ont bloqué l’usine, ont eu quelque chose de représentatif de la période.
Dans les deux entreprises, il n’y avait pas eu de débrayage sur les salaires depuis 2007, il y a quasiment 8 ans. Comme dans bien d’autres entreprises aujourd’hui, ce sont donc les premiers conflits sur les salaires depuis le déclenchement ouvert de la crise en 2007/2008.
Ces grèves en ont suivi trois autres, peu auparavant, dans des usines du sous-traitant Faurecia du Nord ou à Sochaux, qui, pour deux d’entre elles, avaient bloqué un jour la production de l’usine de Sevelnord et pour la troisième, avait obligé PSA à Sochaux à sortir des véhicules sans siège. Par ailleurs, la grève de Sevelnord s’est déclenchée deux jours après celle de Mulhouse. Il y a un effet d’entraînement, c’est-à-dire un climat, plus ou moins prononcé suivant les entreprises et leur situation, mais qui est général à la période.

La grève de Sevelnord s’est déclenchée au moment des NAO, mais celle de Mulhouse a démarré après la fin des NAO. Même si les NAO ont joué un rôle déclencheur, ce sont des causes bien plus générales qui sont à l’origine des grèves. Dans l’une comme dans l’autre, ce qui a généré la colère, ce sont le retour aux bénéfices du groupe et les 86 % d’augmentation que se sont octroyés les principaux dirigeants de PSA, alors que dans le même temps, la firme bloquait pour la troisième année consécutive les augmentations générales des salariés. De même, dans beaucoup d’entreprises du privé qui sont entrées en grève ces derniers mois, on rencontre les mêmes caractéristiques : blocage des salaires, bénéfices de l’entreprise et augmentations mirobolantes de salaires ou de revenus pour les dirigeants.
Ce climat social, PSA le connaît. Ainsi, même s’il continue à bloquer les salaires, le patron a jugé prudent de repousser les NAO dans l’usine de Mulhouse, sous différents prétextes : tard au mois de mars, car c’était le moment où il avait prévu de donner la deuxième partie d’une prime exceptionnelle, qu’il avait précédemment déjà accordée pour mettre fin aux débrayages de l’automne 2013 sur l’ANI. À Sevelnord, il a accordé une prime de participation de plus de 1400 euros. Il pensait sans doute que l’octroi de ces primes allait compenser l’absence d’augmentation.

Cela n’a pas suffi. Le plus important, à PSA comme ailleurs, c’est l’extrême sensibilité des ouvriers aux changements de situation. Depuis des années, les salariés subissent reculs sur reculs, au nom des difficultés et de la crise : suppression de plus de 10 000 postes dans le groupe, fermeture d’Aulnay, menace sur d’autres sites comme Sevelnord, passage de deux chaînes à une seule à Mulhouse et Poissy, suppression du travail de nuit, samedis gratuits, overtime...
Et puis tout d’un coup, à Mulhouse comme à Sevelnord, il y a eu une légère éclaircie, l’éloignement au moins passager des difficultés pour ces deux usines. Et parallèlement, l’annonce du retour aux bénéfices du groupe, des débrayages pour les salaires chez le sous-traitant Faurecia et enfin les augmentations mirobolantes des dirigeants. Voilà les ingrédients de l’explosion.
Mais une explosion bien sûr très relative, qui vaut surtout du fait que ça faisait longtemps que les ouvriers n’avaient pas osé demander une amélioration de leur sort. Les conflits avaient été jusqu’à présent défensifs, contre des fermetures, des licenciements, des dégradations des conditions de travail... Il y a eu plus de suicides de salariés que de luttes collectives.
Cela fait déjà quelque temps qu’une petite minorité de salariés se montre prête à en découdre sur tout. Mais là, cette minorité a senti qu’elle pouvait en entraîner d’autres. En même temps, 500 sur plus de 7000 salariés à PSA Mulhouse, 8 % des effectifs, et seulement 3 jours à Sevelnord, ce n’est pas grand-chose, et c’est aussi caractéristique de ce qui se passe plus généralement. Mais en même temps, ce n’est pas rien[1] et ça peut permettre pas mal de choses... surtout si on raisonne à une échelle plus large que celle d’une seule entreprise et au niveau d’un climat général.

Un front des salaires...

La plupart des grèves et débrayages de ces derniers mois concernant les salaires ont donc eu lieu parce que l’entreprise a bloqué les salaires en annonçant en même temps des bénéfices record, et/ou parce qu’elle a octroyé à ses cadres ou directeurs des revenus colossaux. La dénonciation de ce contraste est le point central de toutes les argumentations syndicales, et se retrouve dans les propos de tous les ouvriers qui se sont exprimés sur le sujet dans les médias.
Aussi, ce sont les secteurs qui se portent le mieux, qui affichent la santé la plus provocante dans cette ambiance générale de crise et d’austérité, qui ont connu dans le privé le plus de débrayages : l’aéronautique et ses dérivés (Safran, par exemple), le secteur bancaire (notamment BPCE), et enfin celui de la grande distribution (Carrefour), dont les mobilisations de salariés ont été qualifiées d’« historiques » par la presse.

Ces grèves et débrayages, tous occasionnés au départ par le contexte des NAO, n’ont rien eu de mouvements larges et torrentiels, mais ils ont toutefois été plus nombreux, plus longs, plus exceptionnels que les années précédentes.
Il y avait déjà eu il y a quelques années, au début du blocage des salaires, des débordements de la période des NAO par les mouvements sociaux, mais cela n’avait pas jamais atteint ce niveau, où le quantitatif, même modeste, s’est transformé en qualitatif.
Car chose nouvelle, beaucoup de patrons ont cédé. Pas énormément, mais suffisamment pour que cela apparaisse comme un succès pour beaucoup de salariés. Ce qui en a encouragé un certain nombre à aller plus loin et à déborder clairement cette période « institutionnelle ».
Ainsi, après des mouvements non négligeables des salariés de Thales en février[2], alors que la CFDT et la CGT Thales ont mis officiellement fin – respectivement les 29 et 30 mars – à la période des NAO et à leur extension accordée par le patron, et après que la CGT a initié un sondage auprès des ouvriers pour que ceux-ci puissent dire leur insatisfaction sur les salaires, il est significatif que les salariés de Thales Brest se soient mis en grève le 4 avril (après une première fois le 20 mars), cette fois pour obtenir une prime spéciale « Rafale » (le groupe vient d’annoncer la vente de ces avions à l’Égypte). Ce mouvement n’a donc plus rien à voir avec les NAO, mais il a été encouragé par ce qu’a accordé le patron[3] lors de ces NAO. Plus significatif encore, les salariés de Brest ont annoncé qu’ils allaient recommencer bientôt, et les syndicats des sites Thales d’Elancourt et de Pessac ont fait savoir que la prochaine fois, ils allaient s’associer au combat de ceux de Brest. Un autre effet de ces mouvements : dans son tract bilan, la CGT a écrit qu’elle allait préparer les prochaines NAO mieux et plus tôt que d’habitude, en promettant de commencer dès septembre 2015 ; sur un an, cela fera tout de même 7 mois d’agitation sur les salaires, bref des NAO presque toute l’année : autrement dit, ce ne seront plus des NAO, mais des mouvements sur les salaires liés à la situation générale et non plus à un calendrier institutionnel.

Comprenons-nous bien : par rapport à d’autres époques, cette mobilisation chez Thales n’a rien d’extraordinaire en soi, mais si on l’ajoute aux mobilisations du même type dans d’autres groupes ou secteurs, l’ensemble prend, aujourd’hui, un sens qui n’est pas ordinaire.
On trouve en effet une configuration semblable à celle de Thales dans d’autres groupes, à des degrés plus ou moins importants, comme par exemple chez Carrefour, Sanofi ou Michelin. Mais on rencontre aussi d’autres mouvements qui, bien que plus courts, prennent un caractère significatif dans cet ensemble : PSA, ou BPCE et Carrefour, mais aussi l’Oréal, Vinci, Daher, Leroy-Sommer, Danone, STM, Castorama, Auchan, Super U, Paulstra (Saint-Gobain), Solvay, Brink’s, Vitalaire (Air Liquide), ADP… et une foule de petites entreprises moins connues voire totalement inconnues.

Par ailleurs, dans un nombre non négligeable d’endroits, les mouvements des salariés leur permettent de gagner à peu près autant qu’à Thales. Bien sûr, ce n’est pas considérable, mais cela met fin, au moins pour une partie des salariés, à la période de blocage des salaires. Et ça, c’est considérable.
Il faudrait donc se demander s’il s’agit de la fin d’un cycle, et chercher à déterminer quelle est sa durée, sa nature, et quels sont les secteurs concernés.
On constate en effet des injonctions de la banque centrale allemande, des gouvernements allemand, américain et japonais, à augmenter les salaires... Des augmentations qui sont accordées au Japon (automobile), en Allemagne (métallurgie, Bade-Wurtemberg, peut-être à la poste), aux USA (Wallmart, Gap, McDonald’s...), mais aussi en Grande-Bretagne avec la hausse de plus de 3 % du salaire minimum. Bref, que se passe-t-il ? On aimerait que nos camarades économistes approfondissent la question.

En même temps, avec les grèves en Belgique, en Allemagne, en Norvège, en Italie, en Irlande, et bien sûr toujours en Grèce, en Espagne et au Portugal, ce serait le moment de lancer – au moins de manière propagandiste – l’idée d’une manifestation européenne pour l’augmentation des salaires comme celle du 5 avril 2008 organisée par la CES, afin de marquer clairement la fin d’un cycle, de redonner espoir aux salariés et de soulager la pression sur nos camarades de Grèce.

Hier, les hausses de salaires en Allemagne auraient eu principalement comme effet de justifier l’austérité ici, en permettant aux autorités de prétendre qu’en faisant les mêmes efforts que les Allemands, cela allait finir par payer.
Aujourd’hui, ces hausses pourraient au contraire amener les travailleurs à se dire que les grands patrons, allemands ou français, ont de l’argent de côté et qu’ils peuvent se permettre ces augmentations. En Belgique, en Italie ou au Canada, les grèves générales d’un jour, à répétition ou prolongées contre l’austérité s’additionnent à ce contexte et aux succès électoraux de la gauche radicale en Grèce ou en Espagne, et contribuent à créer un réchauffement du climat social et politique. Dans cette situation, il est étonnant – mais révélateur d’une certaine inertie – que l’information n’ait pas été relayée concernant les grèves générales de fin mars en Guadeloupe (à l’appel de tous les syndicats) et de début avril en Martinique (à l’appel de la seule CSTM, mais sur plusieurs jours).
Soit dit en passant, toujours dans le même esprit, nous devons également informer du formidable mouvement de grèves qui touche la classe ouvrière d’une zone anciennement dominée par notre impérialisme, l’Ouest africain, notamment pour l’augmentation des salaires. Il y a une classe ouvrière africaine bien vivante : en Afrique, mais ici aussi, et qui participe à bien des mouvements.

En tous cas, nous devons axer notre propagande sur les luttes concernant les salaires, en les faisant connaître, ainsi que sur les bénéfices des entreprises, sur ce qui est versé aux actionnaires, ce qui est donné aux dirigeants sous la forme de stock-options, de retraites-chapeaux, de primes d’accueil ou de départ, etc.
Ce qui était de la propagande hier devient politique aujourd’hui : des centaines de milliers de travailleurs s’en emparent.

Un front contre l’austérité

Aussi nombreuses, voire peut-être plus, que les grèves sur les salaires, il y a celles sur les conditions de travail et l’emploi. Mais jusqu’à présent, dans ces luttes, les travailleurs se sont arcboutés isolément dans leur entreprise, leur poste, leur école, leur hôpital contre la dégradation des conditions de vie au travail ; ils ont essayé de limiter le recul.
Aujourd’hui, les luttes sur les salaires éclairent un changement, jusque-là imperceptible, du sens des luttes pour l’emploi et les conditions de travail. On sent un changement de tonalité dans ces luttes, qu’illustre bien celle des salariés de Radio France, qui se battent certes contre les menaces sur l’emploi, mais aussi contre des restrictions budgétaires gouvernementales et pour la qualité du service public, pour tous. La particularité de ce moment, c’est que les salariés prennent conscience – et le disent – du fait que leur combat n’est pas seulement le leur, pas seulement un combat défensif pour eux, mais aussi qu’il est un combat pour les autres, avec les autres, contre une politique globale, pour une autre manière de vivre, d’autres valeurs, un autre monde, un autre futur. On ne peut donc plus séparer, comme on le faisait hier, les luttes pour les salaires de celles, actuelles, qui sont nombreuses à la Poste, dans les hôpitaux, les services municipaux[4] ou à Radio France, pour l’emploi, les conditions de travail des salariés.
Les luttes sur les salaires ont une dimension plus offensive, plus généralisante, plus ouverte aux autres.

On constate que de nombreuses luttes sur les salaires mettent en avant des revendications sur les conditions de travail ou d’emploi, et inversement.
Chez Michelin par exemple, l’agitation, les débrayages et les grèves sur les salaires, commencés en janvier, ont duré tout février ainsi que début mars. Mais le 26 mars, les ouvriers de Michelin Saint-Doulchard sont entrés de nouveau en grève pour les salaires, suivis de ceux de Michelin Blavozy le 31 mars, et de ceux de MichelinVannes les 3, 4 et 5 avril. À l’usine de Blavozy, la grève a été également une réaction contre les menaces sur l’emploi qui pèsent sur ce site. Pris dans un ensemble, les salariés de Michelin Blavozy n’ont pas hésité à réclamer des hausses de salaires dans un contexte de menace sur leur emploi.
On voit la même chose dans les cantines, crèches, écoles, piscines, bibliothèques et services techniques de Rennes, où les revendications pour les conditions de travail sont associées à des revendications contre l’austérité et pour les salaires. Et puis encore le passage d’une revendication à l’autre à la Poste, entre la grève pour le paiement des plis électoraux à celle pour le refus de la pause Méridienne qui se fait dans le cadre même mouvement dans le Pas-de-Calais, mais aussi ailleurs. On le voit encore chez les agents municipaux de Saint-Quentin, qui se sont mis en grève le 27 mars parce que la mairie voulait équiper les véhicules municipaux de mouchards permettant de géolocaliser les employés, bref de les fliquer. Le point de départ de la grève et sa revendication principale ont été cela. Mais à cette revendication s’en sont ajoutées d’autres sur les conditions de travail, et ce qui était le plus significatif, c’est que les salariés interviewés par les médias ne parlaient... que de la faiblesse de leur salaire : « Être si peu payés et en plus fliqués, être si peu payés depuis si longtemps, il y en a ras le bol, il ne faut pas nous provoquer », etc.
On sent apparaître ce ras-le-bol général.

La population associée à ces luttes

Un autre aspect du caractère « général » contre l’austérité de ces luttes, c’est qu’à la Poste comme dans les mouvements de défense des hôpitaux, de l’école, des cantines scolaires, voire de la radio publique, on trouve une compréhension certaine d’une partie de la population, malgré la gêne occasionnée. Ainsi, contre une fermeture de bureau de poste, d’hôpital ou de classe, se constituent des comités de soutien qui associent des usagers ou des parents, avec de fréquentes manifestations locales ou régionales.
Bien sûr, cela n’a rien d’exceptionnel, il y a déjà eu ce genre de mobilisation. Et cela reste encore faible. Cependant dans le contexte actuel, cela prend un autre caractère. La lutte contre l’aggravation des conditions de travail rencontre celle, plus générale, du refus de l’austérité par l’ensemble de la population. Ainsi se construit peu à peu une conscience populaire autour d’une conscience de classe. Mais aussi, du coup, la conscience qu’il faut s’y mettre ensemble, se battre non plus seulement en essayant de limiter les reculs, chacun dans son coin, mais ensemble, non plus pour freiner les reculs, mais cette fois pour les faire cesser. En Normandie, on a pu constater l’émergence victorieuse d’un mouvement régional d’ensemble contre la pause méridienne.
Et puis, dans le changement de climat, il y a les grèves préventives. À Radio France, comme dans les bases logistiques Intermarché qui bloquent en ce début avril des centaines de magasins, c’est la simple menace de suppressions d’emplois qui a déclenché le mouvement.
À cela, il faut associer un certain retour de la radicalité contre les fermetures, que ce soit à Metaltemple (Fumel), à Sambre et Meuse (Maubeuge) ou encore chez Mory Global dans tout le pays.

La mise en connivence des abstentionnistes des départementales

Pour compléter ce climat, il faut ajouter la lutte des postiers avant le premier puis le second tour des élections départementales. Ils ont fait grève dans plusieurs localités du Pas-de-Calais, de Franche-Comté, des Alpes, du Boulonnais ou du Narbonnais, pour se faire payer la distribution des plis électoraux...
Là aussi, cette revendication et ces mouvements de postiers sur les plis électoraux, sont traditionnels.
Mais dans le contexte de très forte abstention des milieux ouvriers lors des départementales, en forme de protestation contre la politique d’austérité du gouvernement PS, cela peut résonner comme une intelligence commune de la situation, comme un appel à la compréhension et au soutien de ce public des abstentionnistes dans le désaveu commun du système politique qui, quel que soit le résultat électoral, aboutit au blocage des salaires, à la dégradation des conditions de travail, à la fermeture des entreprises et au licenciement des salariés. Avec comme solution, non pas la désespérance radicale du FN, mais la désobéissance civique, la grève générale et la révolution.
Alors, dans ce climat de radicalité renaissante, nous ne devons pas oublier que nous sommes « radicaux », révolutionnaires, nous devons le faire savoir plus que jamais, le combiner avec le quotidien, même si cette propagande ne peut pas se confondre dans l’immédiat avec une politique au jour le jour qui épouse, elle, la conscience des travailleurs du moment, juste un pas en avant.

Dans ce contexte, la revendication que défend FO pour le 9 avril semble assez révélatrice : maintenant l’austérité, « ça suffit ! ». Ce n’est pas qu’un slogan syndical, c’est une expérience et une prise de conscience populaire. Encore limitée certes, embryonnaire mais bien présente. Alors oui, faisons-le entendre, « ça suffit » l’austérité, « ça suffit » ce gouvernement des riches, « ça suffit » ce blocage des salaires et ces licenciements, cette loi Macron... alors que les riches et les actionnaires se goinfrent.

Luttes dans la CGT. Et ailleurs ?

On ne peut pas séparer non plus ces luttes des conflits qui ont opposé la base de la CGT à la politique de compromission de classe de la confédération ; une politique qu’incarnait particulièrement bien son secrétaire, avec son train de vie et ses propositions dans le cadre du Dialogue social de supprimer la représentation syndicale des petites entreprises. C’est la contestation contre Le Paon au sein de la CGT qui a amené Martinez à se prononcer pour cette journée de grève du 9 avril, ce qui n’était pas arrivé depuis très longtemps. Ne nous faisons pas d’illusions : ce n’était pas dans l’intérêt du mouvement lui-même, mais pour l’autorité du nouveau secrétaire sur le syndicat. Car Martinez est sous surveillance. Le congrès CGT de la Santé, qui vient de virer l’ancienne secrétaire – trop favorable à Le Paon – et son équipe, en est une illustration, comme cela avait déjà été le cas, dans une moindre mesure, dans les fédérations CGT de la Banque et du Commerce.
Ce qui n’est certainement pas indépendant, dans un sens et dans l’autre, du nombre de luttes particulièrement élevé qu’on trouve dans ces secteurs de la santé, du commerce et de la banque. Ce n’est pas un hasard. Il y a là ce qu’on pourrait appeler l’embryon d’un « parti », au sens large de « partisans » d’une politique plus « lutte de classe ».
Nous devons faire en sorte qu’un maximum de militants en prennent conscience, et nous en faire les porte-parole dans ce syndicat mais aussi dans les autres, car ce courant doit aussi y exister.

Le 9 avril... et après ?

Le 9 avril sera donc la première grève générale interprofessionnelle d’un jour depuis longtemps.
À ce qu’on peut voir aujourd’hui, il y a une mobilisation des militants en plus grand nombre que lors des journées d’action précédentes.
Cette mobilisation est inégale suivant les régions et les secteurs professionnels, mais on recense par exemple 150 appels à la grève dans les Bouches-du-Rhône, 50 dans le Cher, selon L’Humanité. Dans de nombreuses entreprises, le 9 avril remplace une mobilisation sur les problèmes locaux ou la prolonge quand elle a déjà eu lieu. On voit aussi des réunions préparatoires centrales au 9 avril, comme par exemple 100 à 150 militants réunis par la CGT Commerce.
En revanche, la montée pour une manifestation à Paris gêne la mobilisation. On assiste ainsi à la mise en place progressive de plus en plus de manifestations locales, avec parfois une partie des manifestants appelés dans un premier temps à se rendre à Paris, alors qu’un peu plus tard, une autre partie est appelée à manifester sur place. Combien y aura-t-il de manifestations locales ? C’est difficile à dire, car les confédérations rechignent à les recenser, mais plus de 150 assurément. Et certainement beaucoup plus car il y a aussi des appels à des manifestations ou rassemblements devant les entreprises où ont lieu des appels à la grève.
Pour mesurer l’ampleur réelle de cette journée, il sera donc important de ne pas se contenter de compter le nombre de manifestants à Paris, mais aussi d’activer nos réseaux pour connaître les chiffres en Province, et surtout, le nombre de grèves et la participation à ces grèves.
Le succès éventuel, mais peut-être mitigé, de la manifestation parisienne dépend de la politique des confédérations syndicales ; celui des manifestations locales, des échelons intermédiaires des syndicats, peut-être en partie contestataires. Et, surtout, le succès des grèves dépend du mouvement en cours des salariés eux-mêmes.
Il nous faudra bien distinguer ces trois mouvements ; sachant que les confédérations sauront se faire leur propre publicité autour de la manifestation de Paris, voire de celles de province, il nous faudra ne pas oublier ce qui est le plus important : les grèves qui auront eu lieu ce jour-là.
Car c’est lié à la question du lendemain.
Les confédérations n’ont évidemment rien annoncé. Si la journée du 9 avril est un succès, on peut être sûrs qu’elles ne proposeront que le 1er mai comme suite, voire éventuellement le 4 juin, comme l’a vaguement évoqué Martinez, en cas de très grand succès.
Si nous devons évidemment faire la propagande pour une nouvelle journée, ou une série de journées, il faut bien savoir que ce n’est que la pression des grèves sur les salaires, les conditions de travail, l’emploi, contre l’austérité qui pourront pousser les confédérations à aller un peu plus loin. C’est donc l’ampleur de ce mouvement que nous devons faire connaître largement, les grèves locales, les manifestations locales qui se sont faites sans vraiment l’accord des confédérations ou à l’appel des secteurs syndicaux contestataires, pour que tout un chacun puisse se persuader qu’il se passe quelque chose qui n’appartient pas qu’aux syndicats et qu’il faut donner plus de force à ce courant en le faisant converger.

Nous devons nous adresser à ces minorités les plus conscientes et grandissantes, pour demain ; en être leurs porte-parole, ce qui nous donnera les éléments d’une politique ouvrière indépendante, la condition et la base de toute politique éventuelle de Front Unique, et ce qui ne peut que faciliter le travail d’implantation en milieu ouvrier.

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[1] Pendant la grande grève de PSA Mulhouse qui avait ébranlé le pays en 1989, il n'y avait que 30 % de grévistes, mais 4000 salariés en lutte, ce qui permet beaucoup..
[2] Plus d'un mois de grève par exemple à Toulouse de fin janvier à début mars, 4500 salariés en débrayage le 20/02 sur le groupe, ou une semaine à Brive ou à la Ferté Saint Martin début mars ; une grève  suivie parfois jusqu'à 95% comme Etrelles, avec blocage de la production à Chatellerault, bref c'était du jamais vu selon la CGT...

[3] Voilà ce qu’a écrit la CGT dans un tract de bilan global du 30 mars : « La conjonction de ces luttes et actions a permis de (…) favoriser la réouverture des négociations dans la plupart des filiales, officiellement clôturées... Toutes ces démarches (…) ont fait évoluer les budgets de politique salariale de 0,4 % à 0,6 %. De Thales Service à 1,3 %, à Thales Communication et Sécurité à 2,4 %, à cela se rajoute dans certaines filiales, pour les mensuels le mini du 13èmemois de 2 500 € (Thales Air Systems), des primes annuelles allant de 350 € à 1 000 € (TDA), les minimaux hiérarchiques + 15 %, le paiement total ou partiel des heures de grèves ». 
[4] En mars, à Argentueil, Nangis, Boulogne-Billancourt, Dunkerque, Lille, Lyon, Niort, Bellefontaine (Martinique), Cayenne (Guyane), Bordeaux, La Possession (Martinique), Saint-Quentin, Vaulx-en-Velin, Villejuif, Matoury (Guyane), Mondeville, Fort-de-France (Martinique) ; mais aussi déjà en février, à Bourges, Coudekerque, Saint-Etienne, Imphy et certainement dans bien d’autres villes.