Les dernières semaines ont été marquées par de nouvelles grèves en Seine-Saint-Denis. Ces grèves, minoritaires mais très déterminées, témoignent du ras-le-bol existant dans les établissements, et de la combativité du secteur enseignant.
Une mobilisation qui plonge ses racines dans des décennies de luttes
Les zones d’éducation prioritaire (ZEP) ont été créées en 1981 : il s’agissait au départ, en paroles au moins, de tenter de résorber les inégalités existant dans l’éducation, en donnant davantage de moyens à ces établissements situés dans les quartiers populaires. Donner des moyens, cela signifiait baisser le nombre d’élèves par classes, multiplier les cours en demi-groupes... Cependant, ce dispositif, très localisé au départ, n’a été élargi à de nombreux établissements de Seine-Saint-Denis qu’après la grande grève de 1998. A l’époque, c’est un rapport parlementaire – le rapport Fortier – qui avait mis le feu aux poudres en mettant en lumière les inégalités existant entre un élève de ce département et un élève parisien. Les enseignants et les parents s’étaient alors mobilisés durant trois mois pour réclamer un plan de rattrapage d’urgence pour la Seine-Saint-Denis et avaient obtenu une baisse significative du nombre d’élèves par classes, des heures supplémentaires en enseignement (dites « heures 93 »), des moyens en personnel... Les gouvernements successifs n’ont cessé de revenir sur ces moyens. Petit à petit, les « heures 93 » ont diminué, les effectifs par classe ont augmenté... A nouveau, la situation est absolument alarmante. Du fait des suppressions successives de postes, le nombre d’enseignants contractuels précaires explose. Le vivier de remplaçants, totalement asséché, ne permet pas d’assurer les remplacements, notamment dans le primaire. Loin de s’être estompées, les inégalités entre élèves ont encore augmentées.
La réforme de l’éducation prioritaire présentée par Najat Vallaud-Belkacem en mars 2014 constitue le point d’achèvement de cette casse des moyens obtenus par les luttes enseignantes. Avec la réforme « réseaux d’éducation prioritaires » (REP), il ne s’agit plus de donner des moyens supplémentaires, mais « d’enseigner autrement ». En réalité, il s’agit bien d’appliquer la politique d’austérité à l’échelle de l’éducation en consacrant l’absence de créations de postes dans le premier comme dans le second degré.
Les mois de novembre et décembre derniers avaient déjà été marqués par d’importantes mobilisations en Seine-Saint-Denis, et dans les Hauts-de-Seine. Certains collèges, comme le collège Paul Eluard à Montreuil, avaient vu une grève reconductible majoritaire et déterminée des enseignants, dans l’unité avec les parents d’élèves. Si l’absence de soutien par les organisations syndicales au niveau national avait pesé sur la capacité de ce mouvement à s’élargir et à passer le cap des vacances, il avait cependant fait germer dans la tête de la plupart des collègues que seule une mobilisation unie et déterminée pourrait faire reculer le gouvernement.
Les annonces des dotations horaires globales (DHG, l’enveloppe de moyens d’enseignements alloués à chaque établissement) de janvier-février ont confirmé tout ce que les enseignants craignaient : baisse du nombre d’heures d’enseignement et aggravation des conditions de travail. C’est ainsi que déjà, avant les vacances de février, les enseignants du lycée Le Corbusier avaient fait dix jours de grève avec blocage du lycée. Cette grève déterminée avait permis d’obtenir satisfaction sur une partie des revendications en maintenant les classes à 20. Cette mobilisation a renforcé la confiance des enseignants dans leur capacité à se mobiliser.
Une grève déterminée
Au retour des vacances, ce sont les collèges d'Aubervilliers qui se sont coordonnés pour une journée de grève commune le 5 mars, rejoints par le collège Jean Vilar de La Courneuve. La grève, l'assemblée générale (AG) de ville, et le rassemblement ont été une véritable réussite, témoignant de la combativité des enseignants. A la suite de cette grève, une nouvelle journée de mobilisation le 12 mars a été décidée. Une journée qui a permis d’approfondir le mouvement et de créer une véritable coordination à l’échelle départementale. Le 14 mars, c'est à l'initiative des parents d'élèves, qu'une manifestation a réunit 200 personnels et enseignants d'Aubervilliers dans les rues de leur ville. Le 17 mars, les enseignants mobilisés autour d'Aubervilliers, Saint-Ouen et Saint-Denis ont organisé une action pour perturber le meeting de la ministre à Saint-Ouen dans le cadre des départementales.
Dans ces initiatives se sont consolidés les liens militants entre villes et entre établissements nécéssaires à l'organisation d'une manifestation en direction du ministère le 24 mars. Ce jour-là, 28 établissements se sont mobilisés pour une DHG à la hauteur des besoins en 2015. 300 collègues, rejoints par des élèves du lycée Marcel Cachin de Saint-Ouen, sont venus soutenir la délégation qui devait être reçue. C’est avec un total mépris qu’Eric Tournier, chargé de la réforme de l’Éducation prioritaire, a reçu les grévistes : « Ça va mal partout en France, notamment dans les zones rurales ou en Guyane, et les prof du 93 sont plutôt privilégiés » a-t-il dit. Le gouvernement, selon le conseiller, déploie des moyens conséquents dans le département qui ne semble pas, aux yeux de la ministre, l’un des plus sinistrés de France du point de vue de la pauvreté et du chômage. A la suite de cette journée de mobilisation, certains collèges d’Aubervilliers sont entrés en grève reconductible à partir du 31 mars. Réunis en AG départementale le 2 avril, ces enseignants mobilisés ont appelé à constituer un cortège des établissements dans la manifestation du 9 avril.
Cette nouvelle mobilisation des collègues montre la disponibilité de notre secteur à la lutte. Les enseignants ont su tirer les leçons des mobilisations précédentes. Des liens parents-enseignants forts ont été créés, renouant avec les traditions de la grève de 1998. Les collèges, confrontés depuis plusieurs années au discours de l’Inspection Académique consistant à dire : « si nous vous donnons, nous retirons à un autre établissement », ont commencé à discuter des moyens de surmonter les difficultés et les divisions. C’est ainsi qu’a été remise en avant l’importance de l’auto-organisation avec les AG de ville, et la nécessité d’unifier la lutte en proposant des revendications unitaires : 20 postes d'enseignants, 2 surveillants et des agents en plus dans tous les établissements, diminution des seuils à 18 élèves par classe. Loin de rester cantonnés à une mobilisation ville par ville, les grévistes ont cherché sans cesse à élargir la mobilisation, notamment en proposant des AG communes avec leurs collègues de Saint-Denis, et en proposant des « grèves marchantes », durant lesquelles les grévistes passent dans les établissements pour inciter les collègues à se joindre à la grève.
La nécessité du « tous ensemble », d’un combat déterminé passant par la grève reconductible dure, est donc désormais quelque chose de largement discuté chez les collègues. Pour le parti, il est particulièrement important d’intervenir dans ces mobilisations. Des points ont été marqués, notamment grâce à la réunion nationale du secteur, dans la coordination entre camarades des différents départements. C’est sur cette voie qu’il faut continuer.