« Nous sommes en guerre ». Hollande et Valls ne cessent de nous le répéter. Mais comme l’a dit Sarkozy, « on ne parle pas de guerre à la légère. » Alors de quelle guerre parle-t-on ? Serions-nous, après les massacres effroyables organisés par Daech au cœur de Paris, dans la situation du peuple américain après les attentats du 11 septembre 2001 ? Hollande sera-t-il Bush III et nous entraînera-t-il dans une nouvelle expédition néocoloniale de grande ampleur au Moyen-Orient ?
Certainement pas. Contrairement à l’État américain quand Al-Qaeda frappa New-York, il n’en a ni l’intention ni les moyens. Il n’aurait peut-être même pas l’appui politique nécessaire pour une telle folie dans la population française, justement parce que beaucoup ont tiré quelques leçons de sagesse du fiasco américain consécutif à l’attaque de l’Irak en 2003.
La stratégie est donc en deux temps : d’abord intensifier les bombardements aériens (avec sa cohorte de victimes civiles), ensuite parvenir à obtenir qu’une « coalition » de forces régionales prenne en charge l’attaque au sol pour « liquider » Daech comme État. La destruction d’un avion russe par la Turquie, l’obsession anti-kurde de celle-ci, l’antagonisme entre l’Iran et l’Arabie saoudite, donnent une idée de la difficulté de nouer une telle alliance d’États en conflit les uns avec les autres. Le gouvernement français s’engouffre d’autant plus dans la « realpolitik » à tout crin, un mélange d’opportunisme commercial et de gesticulations de « Grand du monde », avec leçons de morale, spectaculaires revirements et toujours deux poids deux mesures. La France, après avoir menacé de bombarder Assad il y a trois ans, se rapproche des Russes et ne fait plus du départ du dictateur et massacreur syrien « un préalable ». Et c’est cette étrange guerre « contre la barbarie » qui permettrait de faire reculer le terrorisme, au lieu de l’alimenter ?
Face à la perspective d’une guerre aussi ingrate et incertaine à mener, Hollande a choisi aussi de jouer la carte de la démagogie, moins pour « lutter contre le terrorisme » que pour des raisons strictement politiciennes, pour se camper en « chef de guerre » sur le « front intérieur ». D’où l’extension de la déchéance de nationalité, d’où le nouveau raidissement, criminel, contre les réfugiés, autant d’amalgames honteux et de clins d’œil aux préjugés racistes. C’est aussi la vraie raison de la décision d’instaurer un état d’urgence permanent.
« Sécurité : l’exception va devenir la règle »
C’est ce que titre Le Monde du 3 décembre. En effet ! Drôle d’hypocrisie que de vouloir faire rentrer dans la Constitution une sorte d’état d’exception mais « conforme au droit ». Que veulent Valls et Hollande ? Banaliser la « police administrative », assigner à résidence, perquisitionner, mettre sur écoutes qui ils veulent comme ils veulent, sans passer par le juge. Le « renseignement » français, décrété irréprochable, serait enfin débarrassé des contraintes juridiques qui l’empêcheraient de travailler ! On se rapproche du Patriot Act américain et des « grandes oreilles de la NSA », avec le droit de collecter tous les « signaux », toutes les communications, de toute la population, de les archiver, et de croiser tous les fichiers. Enfin, le texte de modification constitutionnelle qui vient d’être soumis au conseil d’État porterait la durée de l’état d’urgence à six mois au lieu de trois. On n’en sortirait même que progressivement, selon la situation.
Bernard Cazeneuve s’est fendu d’une petite phrase rassurante, dans une circulaire adressée aux préfets : « L’état d’urgence n’est en aucune façon une dérogation à l’État de droit. » C’est pourtant le même plaisantin qui a informé le Conseil de l’Europe que les mesures liées à l’état d’urgence « sont susceptibles de nécessiter une dérogation à certains droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme ». Or précisément, cette procédure de « dérogation », en droit européen (car il y a un droit de la dérogation aux droits de l’homme !) est rendue possible « en cas de guerre ou d’autre danger public menaçant la vie de la nation. »
Ça promet ! Déjà, de même que la police multiplie les bavures quand elle se croit tout permis, l’état d’urgence monte à la tête du gouvernement. L’arbitraire policier et l’arbitraire politique se conjuguent. Les abus de pouvoir se multiplient : assignations à résidence de militants écologistes, interdiction des manifestations, tentative de museler toute contestation de la mascarade planétaire (et grand’messe présidentielle) de la COP 21. Gazages, charges et arrestations massives lors de la manifestation du 29 novembre à Paris… Ces démonstrations d’autoritarisme n’ont pas le moindre rapport avec la lutte contre le terrorisme mais, parce que l’occasion fait le larron, elles sont destinées à régler les comptes avec les zadistes, diaboliser tous ceux qui contestent le pouvoir socialiste sur sa gauche, mettre sa COP 21 sous cloche aujourd’hui, et demain étouffer toute velléité de contestation de sa politique d’austérité, à coups d’interdictions, d’intimidations.
En gelant la société tout entière dans la sidération.
Yann Cézard
dans la revue L'Anticapitaliste n ° 71 (décembre 2015)