Du mois de mars à la rentrée scolaire, des travailleuses et des travailleurs sociaux, éducateurs et éducatrices spécialisés ou de jeunes enfants, assistantes et assistants de service social, en formation ou en poste, sont descendus dans la rue, ont fait grève et se sont organisés.
La Commission action travail social, née début avril dans le cadre de la « Nuit debout » parisienne, a tenté de rassembler les salariés du secteur social et d’impulser une dynamique de mobilisation, en développant intervention sur les lieux de travail et d’étude, cortège dynamique – sectoriel puis rapidement interprofessionnel – et mobilisation sectorielle sur des revendications propres. Dans ce mouvement se sont côtoyés des révolutionnaires – marxistes et libertaires –, des syndicalistes et beaucoup de militants qui ont fait leurs premières armes au cours de la mobilisation et qui ont joué un rôle décisif.
Nous tenterons ici de réfléchir aux caractéristiques de notre milieu et de donner des éléments de bilan et d’orientation après quatre mois de mobilisations générale et sectorielles contre la loi Travail... et son monde.
Un secteur atomisé qui subit de plein fouet le néolibéralisme
Nous serions 1,5 million de salariés travaillant dans le domaine de la protection de l’enfance, de l’insertion, du handicap et de la santé mentale, à tenter d’exercer nos missions : des missions de service public d’accompagnement et d’aide à la personne, dont le vœu émancipateur laisse place progressivement au contrôle social. Dans ce secteur – qui évolue pour s’adapter au néolibéralisme, où se généralisent appels d’offres, mutualisations de moyens et évaluations incessantes, bref, où la marchandisation se met en place –, les enjeux politiques et sociaux poussent à une instrumentalisation des missions des professionnels et de leurs interventions.
Le travail social fait face à une triple attaque, où se combinent loi Travail et casse des conventions collectives, introduction du financement privé à but lucratif et privatisations, déqualification et adaptation à la gestion de la misère et des inégalités. Le tout sur fond de politiques austéritaires !
Différentes mobilisations s’organisent autour de problématiques spécifiques au secteur : le remaniement de la convention collective 66, la refonte des métiers et des diplômes du social, les « investissements à impacts sociaux », le déconventionnement des équipes de prévention spécialisée, etc. L’éclatement du secteur, et la culpabilité des travailleurs sociaux à l’idée de laisser à elles-mêmes les personnes accompagnées, ne facilitent pas la mobilisation et la convergence des luttes existantes, qui restent alors très isolées mais surtout peinent à se rendre visibles.
Une conscience contradictoire
Notre secteur est donc atomisé, et regroupe par exemple un panel important de statuts – publics (territorial, hospitalier, d’État) et privés (convention collective nationale 51 et 66) – et de métiers (actuellement niveau III : éducateur spécialisé, assistant de service social, éducateur de jeunes enfants, conseiller en économie sociale et familiale, etc.). Les structures et services sont souvent de petite taille, et les salariés isolés. La pression sociale et patronale est particulièrement forte sur ces professionnels, et les syndicats sont faibles et eux-mêmes éclatés : plusieurs fédérations de la CGT (service public, organismes sociaux, santé et action sociale) syndiquent les travailleurs du secteur social comme plusieurs fédérations de Solidaires (SUD Santé Sociaux, territoriaux, etc.), et les liens entre ces fédération sont réduits.
Mais quelle place occupe réellement le secteur social dans la société capitaliste ? Les travailleurs sociaux peuvent avoir des illusions importantes sur la finalité de leur travail, et donc sur la société. Nous pouvons considérer que le travail social permet de conserver structurellement le système politique, économique et social dominant. En s’occupant des populations les plus marginalisées – d’un certain point de vue, en les contenant ? –, il permet d’atténuer la violence de la lutte des classes et de légitimer un ordre social dominant qui prendrait en compte la souffrance des plus démunis.
On peut donc penser que les salariés du secteur souhaitent sincèrement, par leur intervention, aider les personnes qu’ils accompagnent, et qu’ils peuvent considérer le fait d’être travailleur social comme un acte « militant » en soi. Cependant, ils sont en première ligne face à la misère, à l’exclusion sociale, à la violence des inégalités et du racisme d’État, et ils constatent les impacts des politiques austéritaires. En bref, la place particulière occupée par ces salariés les pousse à s’attacher particulièrement aux illusions institutionnelles et réformistes tout en leur faisant constater les injustices structurelles du système capitaliste et les limites de l’intervention socio-éducative pour changer la vie des plus défavorisés. Il existe donc une colère latente importante.
Intervention dans « Nuit debout » : regrouper, intervenir et faire grève
La Commission action travail social est née place de la République. Ce cadre politique a permis de dépasser rapidement les traditions syndicales en les actualisant, et favorisé les rencontres et une centralisation des bonnes volontés comme des initiatives. Se réunir sur une place publique a permis de rassembler plus facilement des étudiantes et étudiants de diverses écoles, des travailleuses et travailleurs, syndiqués ou non et issus de courants politiques différents, en dehors des bureaucraties syndicales.
Cette commission a tenté d’impulser une dynamique de mobilisation sectorielle tout en s’appuyant sur la mobilisation contre la loi Travail et en la développant. Les réunions hebdomadaires avaient un triple objectif : permettre d’intervenir sur les lieux de travail et d’études ; faire grève et aider les salariés isolés à faire grève; regrouper l’ensemble de ces personnes dans des cortèges sectoriels auto-organisés.
Le fait d’unir des salariés venant de structures très différentes et dispersées géographiquement a permis d’avoir une vision d’ensemble du secteur et de son évolution. Nous avons été en lien avec des centaines de travailleurs, avons organisé des AG régionales inédites pour le domaine du travail social, regroupant jusqu’à 100 personnes en région parisienne. Nous sommes en lien avec des sections syndicales et des collectifs combatifs, notamment à Rouen et Marseille, et nous avons un écho significatif dans le secteur. La commission a même gagné une légitimité suffisante pour participer à l’intersyndicale nationale du secteur et être une interlocutrice à part entière des médias.
Auto-organisation et convergence
Cette commission a permis – et permets toujours – de regrouper des dizaines de militants, de syndicalistes et de travailleurs du secteur. Sa régularité a été importante et a permis de créer un véritable groupe militant qui a impulsé une activité en direction des lieux de travail et d’études. La manière dont se déroulent les réunions est assez souple mais très collective. Les tâches sont réparties après débat. Chacune et chacun peut participer en fonction de son temps disponible. Les principes de l’auto-organisation, d’égalité entre les participants et de démocratie sincère sont les piliers de cette commission, ce qui a rendu possible une implication réelle de plusieurs dizaines de personnes sur la durée, entraînant largement autour d’elles.
Nous avons également développé une politique de convergence avec les autres secteurs en lutte en nous appuyant sur certaines commissions de « Nuit debout » (commissions grève générale, convergence des luttes, actions, hôpitaux debout…) ainsi que sur nos camarades dans différents secteurs (étudiants, Éducation nationale, SNCF, Poste).
Cette politique a favorisé le développement de cortèges sectoriels puis interprofessionnels très dynamiques, réunissant parfois jusqu’à plus d’un millier de personnes.
Dans les manifestations
Un cortège interprofessionnel en tête de manif, juste devant le carré de tête syndical, s’est alors construit progressivement, faisant le lien physiquement et symboliquement entre les cortèges traditionnels et la frange la plus radicalisée du mouvement. Nous avons développé une politique pour les manifestations : cortège dynamique et structuré en tête de manif, permettant de sécuriser en partie les manifestants par rapport aux violences policières et d’avancer quand, par exemple, la police coupait la manifestation.
A partir de juin, nous avons développé une politique de refus des fouilles et des interdictions de manifs qui, à notre échelle, a eu un impact positif sur notre capacité à entraîner largement autour de nous lors de ce mouvement. Ce cortège est issu d’une pratique commune progressive de structuration face aux violences policières et aux tentatives de divisions et d’intimidation.
Et maintenant ?
Il s’agit pour nous de continuer à s’appuyer sur ce cadre pour regrouper et impulser des mobilisations. Pour cela, nous poursuivons les réunions hebdomadaires et notre activité.
Il existe un frémissement de mobilisation étudiante, face à la galère récurrente des financements de stages, et nous nous appuyons dessus afin de sensibiliser les salariés en poste et pousser l’intersyndicale à poser de nouvelles dates de mobilisations. Des perspectives sectorielles contre la refonte et le début de processus de privatisation auront vite lieu lors des prochaines échéances publiques des « fossoyeurs du social » (commissions gouvernementales, patronat du secteur qui se restructure pour avancer sa politique). L’expérience des manifestations, des AG, de l’écriture et de la diffusion de tracts, les liens nationaux, et l’activité de nouveaux militants sont autant de points d’appuis pour la suite.
Gagner des travailleurs aux idées révolutionnaires et les organiser
Pendant cinq mois, les membres du NPA sont intervenus de façon très concertée dans cette commission, et en travaillant avec d’autres, ils ont su impulser l’activité, tout en réactualisant l’action syndicale et en mettant en lumière la nécessité d’une structuration propre des travailleuses et travailleurs sociaux dans le NPA.
L’enjeu est de permettre aux camarades du secteur de militer de manière coordonnée – et ainsi, de continuer à impulser des mobilisations là où nous sommes et là où nous regroupons des collègues –, mais également de recruter autour de notre politique révolutionnaire : en bref, de lier agitation et propagande.
Eliah, Pia et Thys