> Entretien avec Mina, agent de la Sécurité sociale. Militante de la CGT, elle est employée dans un service de l’Assurance maladie de la région parisienne. À quelques jours de la mobilisation du 7 mars, Mina a répondu à nos questions sur les attaques contre la Sécu – passées ou à prévoir – et sur leurs implications, notamment pour les salariés de ses organismes.
Anticapitalisme & Révolution -
Quel est le bilan de Hollande
du point de vue de la protection
sociale ?
Mina - Le quinquennat Hollande
a été dans la continuité
des politiques de casse de la
Sécurité sociale mises en oeuvre
par les gouvernements de ces
trente dernières années. La
protection sociale est en net
recul. Il est de plus en plus
difficile d’avoir accès à des
soins de qualité et d’être pris
en charge correctement par
l’Assurance maladie. Les prestations
sociales versées par les
Allocations familiales sont également
faibles, et les retraites
condamnent nos anciens à une
vie de misère.
Dans le cadre du débat présidentiel,
Marisol Touraine a
répondu à François Fillon que
« la Sécurité sociale va bien ». Je
ris jaune en entendant cela, car
la protection sociale couvre bien
moins de monde, bien moins
de risques qu’auparavant. Les
centres de proximité CPAM, CAF,
CARSAT-CNAV ferment les uns
après les autres, condamnant les
travailleuses et les travailleurs à
ne plus avoir accès aux prestations.
Et bien évidemment, les
conditions de travail des salariés
des organismes de la Sécu
se sont grandement dégradées.
Voilà le bilan – non exhaustif –
du PS au pouvoir.
A&R - Pourquoi la Sécu est-elle
régulièrement au centre des
débats, et pourquoi est-elle
attaquée ?
M - Vous vous rendez compte, des
milliards d’euros qui transitent
chaque année sans qu’aucune
forme de profits ne soit accaparée
dessus... Payer pour les
travailleurs lorsqu’ils sont malades,
qu’ils ont des enfants ou
qu’ils partent à la retraite, ça fait
toujours mal aux patrons !
Ils n’ont eu de cesse de remettre
en cause la Sécu en s’immisçant
de plus en plus dans sa gestion
et en refusant de payer leur part
de cotisations sociales.
A&R - On entend souvent les
experts parler du « trou » de la
Sécu, mais on n’entend jamais
l’avis de ceux qui la font tourner.
Quel est ton regard sur les
raisons de ce déficit ?
M - On entend effectivement
beaucoup de bêtises sur le déficit.
Parfois, les médias et les
politiciens pointent le fait que
le système par répartition n’est
plus viable ; d’autres affirment
que le problème est l’augmentation
de l’espérance de vie. Il y
en a même pour prétendre que
la population se soigne trop et
qu’il y a trop de profiteurs !
Mais la principale raison de ce
« trou », c’est que les cotisations
patronales ne rentrent plus dans
les caisses, depuis maintenant
plusieurs dizaines d’années.
Chaque gouvernement a offert
au patronat des exonérations de
cotisations sociales. Et cela ne
s’arrête pas là, tout est fait pour
qu’ils ne payent pas : évasion
fiscale, niches fiscales et autres
magouilles. Quand on regarde
de plus près, on constate que
les grands groupes capitalistes
n’ont pas ou très peu payé de
cotisations ces vingt dernières
années.
De plus, un important manque
à gagner résulte du chômage de
masse. En effet, les travailleurs privés
d’emploi ne cotisent pas à la
Sécurité sociale : s’il y avait une
répartition du travail entre toutes
et tous, il y aurait plus d’argent
dans les caisses de la Sécu.
Mais les politiques mises en
oeuvre consistent systématiquement
à réduire les coûts de
fonctionnement humains et
matériels, ainsi qu’à diminuer
les prestations versées : chasse
aux arrêts de travail, déremboursement
de soins, participations
financières aux médicaments et
aux frais hospitaliers, etc.
A&R - Lors des primaires de la
droite, Fillon a suscité de nombreuses
réactions en proposant
de réserver les remboursements
de l’Assurance maladie aux
affections graves, proposition
qu’il a ensuite retirée tout en
laissant entendre qu’il voulait
réformer en profondeur la Sécurité
sociale. Peut-on s’attendre
à une menace d’une si grande
ampleur ?
M - Cette remise en cause est toujours
d’actualité, car c’est l’un des
souhaits les plus chers du patronat.
Comme je l’expliquais, la bourgeoisie
rêve de mettre la main sur la
manne financière que représente la
Sécu. Fillon voudrait en faire bénéficier
ses copains d’AXA, qui se feraient
ainsi plein de fric sur notre santé,
comme ils s’en font déjà à travers les
assurances santé. C’est son véritable
projet, quoiqu’il en dise aujourd’hui...
Il prétend maintenir les prestations,
voire les améliorer, en réalisant 20
milliards d’économies sur la branche
santé. Cela dit, il voulait déjà nous
faire croire que sa femme n’avait
pas touché 500 000 euros pour un
emploi fictif…
Mais le patronat et ses alliés
craignent qu’une reforme d’une
telle envergure entraîne une
réaction très forte des classes populaires
: pour preuve, Fillon a dû faire
marche arrière, au moins en paroles.
Il importe que nous nous préparions
à confirmer leurs craintes.
A&R - Pour les salariés de la Sécu,
comment se traduisent concrètement
les attaques successives
contre la protection sociale ?
M - Depuis plusieurs années
maintenant, les organismes des
différentes branches de la Sécu
connaissent une cure drastique
d’austérité et de mise au pas. Le
patronat et les gouvernements
successifs martèlent l’idée selon
laquelle nous vivons au-dessus
de nos moyens et qu’il faut donc
réduire les coûts de fonctionnement
de la Sécurité sociale.
Dans son rapport de 2016, la Cour
des comptes a indiqué que le
temps de travail des agents était
insuffisant, qu’il y avait trop d’absentéisme
et qu’il fallait prendre
des mesures d’augmentation de
la productivité et de répression
des absences. Bien sûr, tout cela
est fait pour remettre en cause
l’existence même de la Sécurité
sociale et permettre aux employeurs
d’économiser sur les
accidents de travail, les maladies,
les allocations familiales et les
retraites. Le non remplacement
des départs à la retraite, le gel
des salaires, et puis surtout les
réorganisations à tour de bras,
sont donc la règle. Avant, il y avait
un accueil du public dans chaque
ville ; maintenant, la Caisse nationale
préconise un seul accueil
physique par département et
un redéploiement des missions
sur tout le territoire. Résultat :
moins de personnels, moins de
prestations pour les assurés et un
service rendu de qualité moindre.
Le dernier avatar de cette politique
s’appelle le TRAM : Travail
en Réseau de l’Assurance Maladie.
Il s’agit d’une mutualisation des
services et des prestations rendues
aux assurés au niveau régional et
national. L’objectif est qu’une prestation
– par exemple, les rentes
accident du travail – soit traitée par
une seule caisse au niveau régional,
voire au niveau national comme
la gestion des paies des agents.
Auparavant, le traitement des différentes
prestations était réalisé au
plus près de l’assuré, c’est-à-dire
par le centre de sa ville. Puis nous
sommes passés à un traitement
départemental, et maintenant, le
Directeur général et le gouvernement
veulent mettre en place un
traitement totalement dématérialisé,
qui peut être effectué n’importe
où sur le territoire. Il y a donc une
remise en cause globale des compétentes
des salariés de l’Assurance
maladie, qui seront cantonnés à
une tâche, et il n’y a plus de rapport
direct entre les assurés et ceux qui
traitent leurs demandes. Cela favorise
aussi les dysfonctionnements
et rend plus difficile la résolution
des éventuels problèmes rencontrés
par les assurés.
A&R - Peux-tu nous dresser un
tableau général des conditions
de travail des salariés de la
Sécurité sociale aujourd’hui ?
M - La charge de travail augmente
en permanence, mais nos salaires
stagnent depuis des années. On
nous demande de travailler plus,
d’effectuer plus de tâches pour
un salaire ridiculement bas, et le
manque d’effectifs génère une
pression quotidienne sur les
agents. Un salarié doit accomplir
un travail autrefois pris en
charge par plusieurs personnes,
et logiquement, il n’y parvient
pas ! Alors imagine le résultat dès
qu’il manque quelqu’un dans un
service : il suffit qu’un collègue
prenne des congés pour que nous
accumulions du retard !
Par ailleurs, le contrôle des agents
s’est intensifié. L’exemple le plus
parlant est celui des plateformes
téléphoniques « 3646 ». Les agents
doivent répondre à un certain
nombre de coups de fil par jour.
Ils sont fliqués sur le nombre de
minutes qu’ils passent par assuré.
Si tu restes plus de 3 minutes, tu
dois subir les remontrances de
ton chef d’équipe. L’encadrement
contrôle même les pauses pour
aller aux toilettes !
Dans les accueils physiques, c’est
encore pire. Comme les centres de
proximité ferment les uns après
les autres, ceux qui restent ouverts
sont pris d’assaut. Le temps
d’attente est donc très long et il
y a peu de personnel. Les agents
subissent donc régulièrement
des agressions verbales et même
physiques, et ils doivent gérer des
situations de détresse sociale de
plus en plus graves.
A&R - Qu’en est-il de la préparation de la mobilisation du 7 mars ?
M - Les organisations syndicales
ont décidé de rejoindre l’appel
à la grève du 7 mars initié
par celles de la santé et de la
fonction publique. Dans ces
secteurs, il y a urgence à se
battre, car ils connaissent eux
aussi une situation alarmante
à tous points de vue. À la Sécu,
l’appel à la grève exprime également
le mécontentement des
fédérations CGT et FO au sujet
des négociations relatives à la
revalorisation du point d’indice,
attendue depuis maintenant 10
ans. Il y a des résistances, mais
elles sont éparses et isolées ;
si des mouvements de grève
ont lieu depuis janvier, ils se
sont déroulés service par service
ou centre par centre. La
colère monte chez les agents :
il reste à convaincre largement
de la nécessité de cesser le travail
toutes et tous ensemble,
au même moment. Dans cette
perspective, il faudra aller plus
loin que les simples distributions
de tracts, et organiser
partout où c’est possible des
assemblées générales
Propos recueillis par Gaël Klement