Le grand vainqueur des élections présidentielles sera sans doute, une fois de plus,
l’abstention. Tous les commentateurs, journalistes, politologues et analystes bien-pensants
s’en lamenteront. Mais comment peut-il en être autrement ? Quel salarié peut encore croire
que ces menteurs, ces voleurs richissimes, vont changer quoi que ce soit à notre quotidien ?
Leur préoccupation est bien de maintenir la domination des capitalistes, pour tirer toujours
plus de profits de l’exploitation de la majorité de la population, c’est-à-dire nous. Malgré
tous les efforts pour nous enfumer, il leur est difficile de cacher qu’ils appartiennent à un
monde qui n’est pas le nôtre, et qu’ils se partagent entre eux des milliards pendant que
nous crevons du chômage, des licenciements, de la précarité et des bas salaires.
Ni une interpellation des candidats,
ni un appel à l’abstention
S’abstenir pour refuser d’accorder sa voix à
cette caste-là, c’est plutôt un réflexe sain, mais
cela ne résout rien, malheureusement. Cela ne
les empêchera pas de conserver le pouvoir, de
continuer à nous exploiter et à augmenter leurs
profits.
Pourtant, les travailleurs ont la force de détrôner
ces profiteurs qui nous gouvernent. À plusieurs
moments dans l’Histoire, ils en ont fait
la démonstration. Quand tous ensemble, nous
décidons de cesser de travailler, nous avons la
capacité de bloquer leur système bien huilé, car
à ce moment-là, ils n’ont plus personne sur qui
faire du profit. Pendant la mobilisation contre la
loi Travail, l’an dernier, la grève des raffineurs et
des dockers a bien failli faire basculer la situation.
Si l’ensemble des autres secteurs salariés avaient
rejoint la grève reconductible, le gouvernement
aurait été obligé de céder.
Voilà le message que veulent porter les équipes
qui sont à l’initiative de la manifestation du 22 avril
pour un premier tour social : prouver que nous, les
travailleuses et les travailleurs, nous avons la force
de reprendre ce qu’ils nous ont volé, de revenir sur
les contre-réformes antisociales qu’ils nous ont
imposées. Mais pour y parvenir, nous ne pouvons
compter que sur nos propres forces, et non sur
l’illusion selon laquelle les institutions de cette
société, si elles étaient entre de meilleures mains,
pourraient fonctionner pour l’intérêt des salariés.
Nous devons surtout arrêter de nous battre chacun
de notre côté, cesser ces journées de grève
dispersées et sans lendemain qui ont conduit à
la défaite des combats contre les réformes des
retraites ou la loi Travail.
La manifestation n’est donc ni une interpellation
des candidats à l’élection présidentielle,
ni un appel à l’abstention ; au coeur même de
cette campagne, alors que tous les candidats
de la bourgeoisie voudraient que les mobilisations
marquent respectueusement une trêve, il
s’agit de populariser l’idée qu’il est nécessaire
de lutter et de faire converger les mouvements
sociaux. Cette manifestation est aussi un signal
pour montrer que quel que soit le vainqueur
de ce cirque électoral, il devra dès le lendemain
de sa victoire compter avec des salariés prêts à
en découdre, avec des équipes syndicales qui
ont tissé des liens pour se préparer à l’affrontement,
et qui ne se laisseront pas berner parles stratégies de compromission des directions
syndicales.
La manifestation pour le premier tour social
n’est pas une interpellation des candidats pour
qu’ils « gauchisent » leur programme en intégrant
nos revendications dans des promesses de
campagne qu’ils ne tiendront pas. Au contraire,
elle est une interpellation des jeunes et des travailleurs
à ne compter que sur leurs propres
forces, et ensuite à continuer d’agir.
Mais elle n’est pas non plus un appel à l’abstention,
ni un regroupement d’abstentionnistes :
elle veut faire émerger au sein de cette campagne
des perspectives pour notre camp social.
Nullement contradictoire avec l’appel à voter
pour l’une des candidatures ouvrières, elle n’est
qu’une tentative de concrétisation de ce qui
devrait être au centre de la campagne de Philippe
Poutou : porter sur le devant de la scène
les revendications sociales et les moyens nécessaires
pour les imposer, à savoir les luttes et l’action
des travailleurs en tant que force défendant
elle-même ses propres intérêts. Les classes laborieuses
auraient plus que jamais besoin d’une
candidature qui relaie au coeur de cette campagne
la nécessité de regrouper leurs forces,
le besoin d’un « tous ensemble » ; une candidature
indépendante qui soit la voix de notre
camp social, qui ne se contente pas de relayer
nos revendications, mais qui offre de perspectives
aux jeunes et aux travailleurs pour pouvoir
inverser le rapport de forces.
Le 22 avril n’est qu’un début ! Et après ?
La construction de l’initiative du 22 avril a été
une occasion de faire militer autour d’un objectif
commun des militants, des équipes syndicales
d’horizons très divers, qui n’avaient pas l’habitude
de se côtoyer. À travers la bataille contre la
loi Travail, contre la répression antisyndicale, une
conviction commune a commencé à émerger
au sein de plusieurs de ces équipes : la nécessité
de se regrouper, de sortir de nos isolements
sectoriels ou de nos « boutiques » syndicales. La
construction du 22 avril a représenté une nouvelle
expérience de travail en commun, qui a
permis de renforcer une telle conviction. Mais il
est évident que ce n’est qu’un début.
L’objectif est bien de faire grossir et fructifier
ces liens, en entrant en contact avec tous les
salariés qui se battent, souvent de manière isolée,
contre les licenciements, les suppressions
d’emplois, pour l’augmentation de leurs salaires
ou contre la dégradation de leurs conditions
de travail.
Ce cadre militant que nous avons commencé
à créer devrait servir de pôle d’attraction pour
tenter de regrouper tous ces combats, avec pour
modèle les convergences qui ont pu se nouer
entre les salariés de la FNAC des Champs-Élysées
et les guichetiers de la Poste des Hauts-de-
Seine, qui étaient en grève au même moment.
Bien que défendant des revendications différentes,
bien qu’appartenant à deux entreprises
distinctes, la solidarité de ces luttes a contribué
à les renforcer chacune, et a rendu possible leur
victoire.
Essayer de regrouper l’ensemble des boîtes qui
se battent contre des licenciements renforcerait les
positions de chacun, et permettrait même d’envisager
une mobilisation d’ampleur contre tous les
licenciements. Ce dont nous avons tous besoin,
c’est d’une réponse d’un tel niveau.
La cadre constitué autour du 22 avril devrait
aussi servir d’amorce pour créer une jonction
des combats au-delà de nos divisions sectorielles,
à l’image des rapprochements qui ont
commencé à s’opérer entre les luttes contre les
violences policières et contre la répression syndicale.
Jeunes, salariés du privé et du public, habitants
des quartiers populaires, victimes des discriminations
et du racisme, nous avons un même
ennemi, et nous devons réunir nos forces pour le
combattre. La manifestation du 22 avril ne sera
qu’une étape vers cet objectif.
Dès le soir du premier tour, il sera sans doute
nécessaire de redescendre dans la rue. Quel que
soit son résultat, nous devrons être nombreux
à affirmer qu’il va falloir uniquement compter
sur nos luttes, et que parmi les candidats de
la bourgeoisie, celui ou celle qui remportera
l’élection ne pourra s’attaquer à nous sans que
nous y opposions une résistance féroce. Dès le
23 avril, nous devrons montrer que nous ne nous
laisserons pas diviser.
Les manifestations du 1er mai auront lieu cette
année entre les deux tours, et il importe de leur
donner également cette tonalité. Comme en 2002,
nous mettrons toutes nos forces pour refuser que
cette échéance du mouvement ouvrier ne soit
transformée en manifestation pour appeler à
battre Le Pen, au cas où celle-ci serait qualifiée
pour le deuxième tour. Combattre l’extrême droite
et le racisme, cela ne passera jamais par un blanc-seing
accordé à ceux qui les ont favorisés à travers
leurs politiques racistes, leur destruction des
acquis sociaux, leurs attaques répétées contre les
intérêts des travailleurs et de la jeunesse.
Pour nous, le 1er mai sera une occasion de
montrer la force du monde du travail. Il faudra
y défendre l’idée de la convergence, du « tous
ensemble » et de la grève reconductible, seuls
moyens de faire reculer les attaques sociales, la
misère et l’oppression.
Il faudra au plus vite prévoir de nouvelles
rencontres, pour que se regroupent toutes les
équipes militantes qui souhaitent œuvrer à
cette convergence, pour prévoir la suite des
batailles, et pour tenter de construire la mobilisation
d’ampleur indispensable pour en finir
avec la loi Travail, la répression, les violences
policières, les licenciements, la précarité et les
bas salaires.
Juliette Stein