Le 17 novembre 1973 en Grèce,
la dictature des colonels ordonnait l’évacuation de l’université
Polytechnique (située au centre d’Athènes) - qui était occupée par les étudiants depuis le 14 novembre - en faisant intervenir l’armée après
avoir enfoncé l’entrée principale de
l’université à l’aide d’un blindé. Le mouvement de l’École Polytechnique
avait rapidement pris de l’ampleur. Des milliers de travailleurs,
ouvriers, agriculteurs ainsi que de très nombreux lycéens convergeaient
vers le centre d’Athènes. En dépit des charges violentes de la police,
dont l’objectif est d’empêcher toute jonction entre ces manifestants et
les étudiants retranchés dans l’université, la manifestation du 16
novembre 1973 avait rassemblé plus de 150.000 personnes. Face au risque
de révolte généralisée la dictature utilisa l'armée qui tua des dizaines de personnes et en blessa des milliers d'autres.
À l'occasion de la commémoration du soulèvement de novembre 19173 et du centenaire la Révolution russe, Antarsya (la coalition anticapitaliste grecque) organisait une conférence et des débats les 15, 16 et 17 novembre et nous y avait invité comme d'autres groupes et courants révolutionnaires. Notre camarade Aurélien Perenna a pris la parole lors d'un meeting sur l'impérialisme et la guerre. Nous publions ici son intervention.
C’est pour moi un grand honneur de prendre la parole ce soir à votre meeting, le meeting de votre organisation, Antarsya, qui a joué un rôle important dans le combat héroïque de la classe ouvrière grecque contre l’Union européenne, les bourgeoisies européennes coalisées, le patronat grec, et leurs derniers représentants en date : Alexis Tsipras et le gouvernement Syriza.
Je ne compte pas faire ce soir un topo détaillé sur la situation politique en France, mais exposer deux ou trois idées qui nous paraissent fondamentales en ce qui concerne la lutte contre l’impérialisme et la guerre.
Il y a 101 an, Lénine écrivait que l’impérialisme est « l’époque des guerres et des révolutions ». Cette affirmation est plus que jamais d’actualité. Ces quinze dernières années, on a assisté à la multiplication des guerres dans le monde entier : en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, et même à quelques kilomètres d’ici, en Europe, en Ukraine. Ces guerres sont la conséquence directe des conflits inter-impérialistes, conflits qui opposent les impérialismes traditionnels, les États-Unis, la France, et des impérialismes en train d’émerger, comme la Russie et la Chine, qui ne se développent que sur la base du pillage de leur propre pays et des autres peuples.
Les fables sur le pacifisme des organisations internationales tel l’Union européenne ou l’ONU sont en train de s’effondrer. L’ONU, après avoir laissé Bashar El-Assad massacrer son peuple, appuie maintenant les interventions impérialistes en Irak et en Syrie. L’Union européenne, qui a organisé le pillage en règle de la Grèce, montre chaque jour davantage son vrai visage, avec les milliers de migrants qu’elle assassine chaque jour en les rejetant en mer Méditerranée. En Catalogne, elle soutient la monarchie et le gouvernement Rajoy contre le combat du peuple catalan pour son indépendance politique.
Lorsque l’on parle d’impérialisme, nous sommes bien placés, en France, pour savoir de quoi on parle. La France possède encore de multiples colonies dans le monde, comme on a pu le voir récemment avec la lutte du peuple guyanais, ou encore avec la lutte des travailleurs de Mayotte. La France est un des principaux producteurs et vendeurs d’armes dans le monde. Hollande est le président qui a vendu le plus d’armes sous la Vème République, et Macron passe de nouveaux contrats juteux avec les régimes les plus réactionnaires de la planète, tel l’Arabie Saoudite. Fait inédit dans l’histoire récente du pays, cet été, l’armée est directement intervenue dans le débat politique pour exiger l’augmentation du budget militaire, revendication à laquelle, après quelques péripéties, Macron a accédé. Il ne se passe pas un seul jour sans que la France ne soit impliquée dans un nouveau conflit armé. Ces interventions militaires ont des conséquences y compris en métropole même, sur le quotidien des travailleurs, avec la multiplication des attentats et les multiples lois sécuritaires qui servent à réprimer les combats des jeunes et des travailleurs.
Oui, l’impérialisme est bien « l’époque de la réaction sur toute la ligne ». Lutter contre la guerre, c’est lutter contre l’impérialisme, et donc lutter pour le renversement de la domination de la bourgeoisie.
Aussi, il ne peut être question de lutter sérieusement contre l’impérialisme si on ne cherche pas à s’implanter dans la seule force capable de renverser la bourgeoisie : la classe ouvrière. Les impérialistes, Macron à leur tête, s’apprêtent à fêter les 100 ans de la fin de la première guerre impérialiste. On sait déjà ce qu’ils vont raconter : ils parleront du rôle de la SDN, du bienfait et de la mission civilisatrice des démocraties bourgeoises, du pacifisme de Wilson… Mais tout cela, nous le savons, ce sont des mensonges. La guerre impérialiste n’a pris fin que parce que la classe ouvrière s’est mobilisée de façon révolutionnaire. La classe ouvrière a montré sa force d’abord en Russie, où la grande révolution d’Octobre a porté au pouvoir le seul gouvernement qui a fait la paix sans conditions. Mais aussi en Allemagne, avec la mobilisation révolutionnaire du prolétariat.
La politique qu’ont mené les révolutionnaires allemands doit d’ailleurs rester un modèle pour nous : dès le début de la guerre, les socialistes internationalistes, opposés à la trahison de la social-démocratie, ont cherché à s’implanter de façon systématique dans la classe ouvrière, et notamment dans le syndicat des métallurgistes de Berlin, pour y mener une lutte politique. C’est ainsi que les révolutionnaires allemands ont été capables d’organiser la première véritable grève générale contre la guerre impérialiste : les 15, 16 et 17 avril 1918, des milliers d’ouvriers stoppent le travail et manifestent à Berlin et Leipzig, pour exiger la satisfaction de leurs revendications et l’arrêt immédiat de la guerre. C’est cette mobilisation, qui aboutira au soulèvement révolutionnaire des masses allemandes, qui seule a permis de mettre fin à la boucherie impérialiste. Pour nous, cette politique reste un modèle d’internationalisme prolétarien.
Prétendre lutter contre la guerre sans chercher à s’implanter dans la classe ouvrière, sans lier la lutte politique contre la guerre aux revendications immédiates des masses, c’est faire des phrases. Dans nos pays, nous devons lier le combat contre l’augmentation de l’armement, du budget des armées, contre les interventions militaires, au combat contre l’austérité. Nous devons inscrire notre combat contre la guerre dans notre combat syndical. C’est une honte pour le mouvement ouvrier français que les syndicats ne fassent absolument rien sur la question de la guerre. Il est nécessaire que le mouvement ouvrier lutte contre la guerre, contre l’augmentation du budget de l’armée, de la police… En France, nous avons l’habitude de dire : « Du fric pour les facs et les lycées, pas pour les flics ni pour l’armée ! ».
Mais cette lutte contre l’impérialisme et la guerre ne peut se mener à une échelle simplement nationale. La lutte des classes, à notre époque, ne peut se régler dans le cadre national. On le voit par exemple aujourd’hui en Catalogne, avec la nécessité urgente de la solidarité internationale de la classe ouvrière contre la répression, et pour le soutien au combat des masses catalanes, et d’abord de la classe ouvrière catalane.
Il est donc nécessaire de développer des liens internationaux, et c’est pourquoi il est important de multiplier des meetings comme celui-ci, où interviennent des militants de multiples pays, pour pouvoir nouer des liens militants. En 1934, Trotsky écrivait : « La lutte contre la guerre présuppose un instrument révolutionnaire de lutte, c’est-à-dire un parti ». Et il ajoutait : « À l’époque actuelle, la politique prolétarienne ne peut pas ne pas se fixer des tâches internationales. Les tâches internationales ne peuvent qu’exiger que soient soudés ensemble des cadres internationaux ».
Dans notre courant, Anticapitalisme & Révolution, nous sommes convaincus de cette nécessité de construire une Internationale révolutionnaire, un parti mondial qui se fixe comme objectif de renverser le capitalisme. C’est pourquoi, avec des camarades de Grèce, mais aussi de l’État espagnol, d’Italie, des États-Unis, du Canada… nous avons décidé de constituer la « plateforme pour une Internationale révolutionnaire ». Notre but, c’est de reconstruire une Internationale qui soit capable de saisir les opportunités pour déclencher, ou plutôt attiser, le combat révolutionnaire du prolétariat contre la bourgeoisie.
Pour nous, c’est seulement en œuvrant à la construction d’un tel outil que l’on peut prétendre lutter sérieusement contre l’impérialisme et la guerre.
Aurélien Perenna pour le courant A&R.
Athènes, le 16/11/17