Les plans de la bourgeoisie contre l'éducation et la jeunesse

Depuis son arrivée au pouvoir, Macron a pris une série de mesures constituant des attaques majeures contre la jeunesse scolarisée et les jeunes travailleurs. Ces mesures répondent directement aux besoins de la bourgeoisie, qui veut déqualifier massivement la jeunesse pour comprimer les salaires vers le bas. Elles répondent également aux besoins politiques de museler une jeunesse qui s’insurge de plus en plus contre le capitalisme, et peut constituer un facteur d’entraînement de toute la classe ouvrière. 

De la maternelle à l’université : nouvelle cure d’austérité 

Une des premières mesures du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a été de réduire considérablement les postes ouverts aux concours de l’enseignement : 20 % de postes en moins au CAPES et à l’agrégation, constituant une perte de près de 3000 postes au total. Dans le premier degré, Macron avait surfé sur sa promesse de campagne des CP à douze en REP+… sans aucune création de postes évidemment. De fait, cette mesure a engendré mécaniquement une hécatombe pour les autres niveaux. Les cartes scolaires annoncées pour la rentrée 2018 sont catastrophiques, avec des suppressions de classes en série, particulièrement dans les quartiers les plus populaires. En collège, les effets de la réforme de Vallaud-Belkacem se font sentir, avec des pertes d’heures et des suppressions d’options massives. Les annonces de Blanquer sur le « rétablissement » de certaines options comme le latin ou les classes euro sont des effets de manche. En réalité, le gouvernement a aggravé la réforme du collège en instaurant encore plus d’autonomie : les heures des options ne sont pas fléchées, et cela dépendra donc des CA d’établissements de rétablir telle ou telle option… au détriment d’autres enseignements. Là encore, ce sont les établissements des quartiers les plus populaires qui sont le plus touchés par ces mesures de déréglementation. 

Pour ce qui est de l’université, le gouvernement a annoncé une hausse de 700 millions pour la rentrée 2018… Après avoir supprimé 340 millions en 2017 ! Par ailleurs, cette hausse du budget est totalement insuffisante pour pouvoir accueillir les 30 à 40 000 étudiants supplémentaires chaque année. Pour cela, il faudrait au minimum une hausse du budget de 2 milliards d’euros par ans… C’est d’ailleurs bien une des raisons qui pousse le gouvernement à mettre en place la sélection à l’entrée de l’université. Désormais, ce seront les recteurs d’académie qui décideront du nombre de places ouvertes dans chaque filière pour chaque université : le but est bien d’endiguer la hausse du nombre de jeunes entrant à l’université afin de pouvoir appliquer une politique toujours plus austéritaire. 

Réforme du lycée, ou comment sélectionner les jeunes dès l’âge de 15 ans 

Avec la réforme proposée par Blanquer, le lycée ne sera plus organisé autour de différentes filières générales (L, ES, S), mais autour de « spécialités » qui seront des conditions nécessaires ensuite pour pouvoir prétendre s’inscrire dans certaines filières à l’université. Concrètement, cela signifie qu’on demandera aux jeunes, dès l’âge de 15 ans, de choisir déjà leur orientation pour le reste de leurs études, puisque ces spécialités conditionneront ensuite leur parcours. Cela signifiera également que les inégalités entre élèves et entre établissements vont considérablement augmenter : on ne proposera évidemment pas les mêmes « spécialités » à Henri IV ou à Saint-Denis… Du côté des filières technologiques, il semble qu’aucun enseignement généraliste n’y sera plus dispensé, alors que cela fait partie des « attendus » listés par la réforme Vidal pour pouvoir entrer dans les licences de sciences humaines. Dans le même temps, Blanquer annonce vouloir réduire à 4 (au lieu de 10 à 12 actuellement) les épreuves terminales du baccalauréat, en instaurant une part beaucoup plus importante de contrôle continu. Dans ces conditions, il est évident que le caractère national du baccalauréat disparaîtra complètement. La réduction du nombre d’épreuves terminales et le renforcement considérable du contrôle continu va augmenter la concurrence entre les établissements, et il est évident que ce seront encore une fois les lycéens de quartier populaire qui seront les premiers touchés par les conséquences d’une telle réforme. 

Limitation du nombre de jeunes à l’université, 
renforcement de la concurrence entre facs d’élite et facs poubelle : 
une politique pour déqualifier la jeunesse 

La refonte du lycée par Blanquer ne peut évidemment se comprendre qu’en la mettant en lien avec la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) mise en place par Vidal. Au-delà du simple changement d’APB en Parcoursup, cette réforme prévoit un bouleversement total du premier cycle universitaire. 

Le bac ne sera plus désormais le premier grade universitaire qui permettra de s'inscrire en faculté. Dorénavant les futurs bacheliers devront remplir des « attendus » : ainsi, pour faire STAPS, il faudra « manifester un intérêt pour l'exercice de responsabilité collective, associative ou citoyenne ». Pour certaines licences de psychologie ou d'informatique, il est précisé qu’il faut manifester de l'intérêt pour les disciplines scientifiques, sans préciser lesquelles. Avec la réforme du lycée préparée par Blanquer, les facultés exigeront pour suivre leurs licences d'avoir suivi dans le secondaire telles ou telles options (par exemple les maths renforcées pour des licences de math ). Pour ce qui est des bac techno ou pro, leur inscription à la fac sera encore plus compliquée voire impossible. 

Par ailleurs, la définition d’attendus différents d'une université à l'autre va renforcer considérablement les inégalités entre établissements, et donc casser encore davantage le cadre national des diplômes. Vidal prévoit d’ailleurs une refonte complète du premier cycle universitaire, dans la droite ligne du processus de Bologne. Jusqu’à présent, la licence se faisait en trois années, divisées chacune en 2 semestres. Chacun de ces semestres comportaient différentes unités d’enseignement (UE). Semestres et UE se compensaient entre eux pour permettre aux étudiants de valider leur licence. Avec la loi ORE, ce système est complètement chamboulé. Désormais, l’inscription ne se fera plus à l’année, avec un tronc commun d’enseignements à suivre selon sa filière, et des examens à valider à chaque fin de semestre. Obtenir ses 180 crédits ECTS pour valider sa licence pourra maintenant se faire en 2, 3, 4 voire 5 ans. Les étudiants ne s’inscriront plus par année mais par modules (UE). On pourra donc valider plus ou moins de modules par semestres. A terme, ces licences modulables ne seraient plus définies par filières mais totalement individualisées. Ces licences seront définies à l’entrée à l’université par la signature d’un « contrat de réussite » entre l’étudiant et l’université. On voit tout de suite vers quel système on s’achemine : les universités orienteront les « meilleurs » bacheliers vers les modules les plus sélectifs, synonymes d’excellence, avec un parcours en 2 ou 3 ans - tandis que les autres seront orientés vers les amphi et TD surchargés, avec des parcours en 4 ou 5 ans, et des options « professionnalisantes » dont la ministre a déclaré qu’elle souhaitait les développer considérablement. Ce caractère inégalitaire et ultra-sélectif de la licence sera d’autant plus renforcé qu’avec le système de licences modulables individualisées, c’en sera fini (comme l’a très clairement annoncé la ministre) des rattrapages et des compensations entre UE et entre semestres. 

Derrière cette casse de la valeur des diplômes, c’est en réalité à une grosse opération de déqualification de la jeunesse que se livre le gouvernement. En effet, le patronat ne veut pas d’une main d’œuvre qualifiée, disposant de diplômes reconnus dans les conventions collectives. Au contraire, il a besoin d’orienter les jeunes en fonction des besoins de l’économie capitaliste. Le Sénat vient d’ailleurs d’adopter un amendement du sénateur Grosperrin qui prévoit que les ouvertures de laces en faculté doivent être définies selon les « débouchés professionnels », c’est-à-dire selon les intérêts locaux du patronat. 

Réforme de l’apprentissage, ou comment livrer les jeunes à la merci du patronat 

Cette politique globale de déqualification de la jeunesse se comprend encore mieux si l’on met les réformes prévues dan l’éducation en regard de la réforme de l’apprentissage. Le 9 février dernier, Edouard Philippe a rendu public les principales mesures de cette réforme. Il s’agit de « développer l’apprentissage » comme système de formation, vieille lune du patronat qui ne supporte pas que l’enseignement professionnel permette à des jeunes d’obtenir des diplômes et des qualifications ayant encore un peu de valeur. Désormais, les entreprises verront les procédures d’embauche considérablement simplifiées, ainsi qu’une aide de plus de 6000 euros pendant 2 ans pour chaque contrat d’apprentissage. Le Code du travail sera « assoupli », c’est-à-dire que les apprentis devront effectuer davantage d’heures de travail. Dans le bâtiment, le temps de travail sera porté ainsi à 40h par semaines, avec paiement d’heures supplémentaires au-delà de 35h, sans avoir besoin d’une validation préalable de l’inspection du travail. Dans la boulangerie également, les horaires de travail pourront être assouplis. De plus, jusqu’à présent, en cas de rupture du contrat de travail au-delà de la période d’essai de 45 jours, le patron devait obligatoirement passer par les prud’hommes. Désormais, ce ne sera plus le cas : les patrons seront donc libres d’embaucher des apprentis, d’empocher les 6000 euros d’aide donnés par l’État, puis de licencier tranquillement le jeune en contrat ! 

Par ailleurs, les branches professionnelles pourront désormais fermer ou ouvrir des sections d’apprentis en fonction des besoins économiques. Elles détermineront le coût du contrat de chaque diplôme au titre professionnel en fonction des priorités de recrutement des entreprises et de la GPEC (gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences) de la branche. Cela va conduire directement à la mise en concurrence accrue des établissements et des personnels, et à un renforcement des inégalités territoriales. Enfin, l’écriture des référentiels d’activité et de compétence des diplômes sera laissée aux seules branches professionnelles ; ce seront également elles qui détermineront les règlements d’examens et les référentiels de formation. C’est donc directement le patronat qui aura la mainmise sur les contenus d’apprentissage et de formation. 

Le service national obligatoire, nouvel encasernement de la jeunesse  ?

Cette politique de casse générale de l’éducation et de déqualification massive de la jeunesse s’accompagne d’une politique d’encasernement. Outre le recrutement de 10000 gendarmes et policiers supplémentaires annoncés durant la campagne présidentielle, Macron est revenu à la charge sur sa proposition de réinstauration d’un « service national obligatoire ». Le 13 février, il a précisé que ce service durera entre 3 et 6 mois, et pourra éventuellement être prolongé si on intègre le « service civique ». Macron a pudiquement parlé « d’ouverture sur la chose militaire », euphémisme pour dire que ce service est en réalité le rétablissement progressif du service militaire obligatoire. Phrase révélatrice, il a déclaré ne pas vouloir « recréer des casernements massifs »… ce qui signifie bien qu’il y aura des casernements, même s’ils ne sont pas « massifs ». Par ailleurs, le rapport remis par les députées Marianne Dubois et Emilie Guerel, préconisent la mise en place d’un « parours citoyen », avec une « semaine annuelle de la défense et de la citoyenneté » pour les jeunes de 11 à 16 ans, suivi ensuite du service national obligatoire, et enfin pour les jeunes de 16 à 25 ans le développement « d’outils incitatifs » pour encourager au service civique et aux préparations militaires… Toute cette politique d’encasernement de la jeunesse est d’ailleurs à mettre en lien avec le renforcement du lycée « caserne » : contrôles renforcés à l’entrée des établissements, restriction des droits lycéens, refus du droit de grève… 

On voit donc bien qu’on a ici une politique globale contre la jeunesse, et, au-delà, contre la classe ouvrière. En déqualifiant massivement les jeunes, les patrons pourront prétendre dégrader les conditions de travail, baisser les salaires, déréguler le peu qui reste de protection des salariés.. Et dans le même temps, la remise en place d’un service militaire, accompagné d’une politique très répressive contre les lycéens et les étudiants à l’intérieur des établissements scolaires, vise à mettre au pas cette jeunesse qui, depuis 2016 et le mouvement contre la loi travail, s’est radicalisée. 

Aurélien Perenna