Le 26 mars dernier, quand la direction de La Poste a obtenu de Muriel Pénicaud l’autorisation de licencier Gaël Quirante, elle a cru pouvoir enfin se débarrasser d’un militant syndical et politique combatif.
Elle pensait que les postiers et postières aller mener une grève symbolique d’une journée, avant de retourner tranquillement travailler. Mais c’était sans compter la politique déployée par ces militants et militantes des Hauts-de-Seine (92), pour beaucoup syndicalistes, pour certains organisés politiquement au NPA. Une politique qui vise non seulement à ne pas plier sans combat devant les patrons, mais surtout qui cherche à développer la conflictualité, à regrouper les postiers et postières qui se bagarrent, à s’adresser aux autres secteurs en lutte pour tisser des liens et reconstruire la classe, et enfin, en permanence, chercher à disputer le pouvoir aux patrons.
Qui doit décider qui représente les salariés ?
Dès le départ, les militants de SUD Poste 92 ont décidé de ne pas s’avouer vaincus si effectivement Gaël était licencié. La démarche était simple : même en cas de licenciement de notre représentant syndical, nous comptions mener le combat pour exiger qu’il continue à être le représentant des personnels. Bien qu’élémentaire, cette revendication posait en même temps un problème fondamental : qui doit décider qui est le représentant des salariés ? Les patrons ont-ils leur mot à dire dans ce choix ? En dernière instance, cela revient à disputer le pouvoir aux patrons, à dire que c’est aux salariés, aux travailleurs, de décider sur leurs lieux de travail, et non aux exploiteurs.
En licenciant Gaël, La Poste cherchait à se débarrasser d’un militant syndicaliste combatif intervenant sur les centres et les bureaux de poste. C’est pourquoi elle a fait intervenir plusieurs fois la police pour tenter de déloger les grévistes ; et c’est aussi la raison pour laquelle elle s’acharne en justice contre le mandat syndical de Gaël, bien que les jugements aient jusqu’ici donné raison au syndicat SUD Poste. D’ailleurs, pour la direction, l’une des principales conditions d’une éventuelle ouverture de négociations, ce sont les modalités d’intervention sur les centres.
Une grève contre la dégradation des conditions de travail
Rapidement, les grévistes ont fait le choix d’étendre leurs revendications aux conditions de travail, dans l’objectif d’élargir la grève, de s’adresser à l’ensemble des postiers et postières, et de profiter de l’élan créé par la solidarité avec Gaël pour remettre en avant la lutte contre les réorganisations, contre la précarité, etc. D’une grève de solidarité envers un syndicaliste en butte à la répression, le conflit s’est transformé en mouvement contre les réorganisations du travail à la distribution et contre la transformation à marche forcée du métier de facteur. Lorsque la grève a démarré, La Poste était en train de tenter d’imposer la méridienne sur le département. L’objectif de cette réorganisation complète du travail des facteurs et factrices est de passer d’une journée de travail continue – où l’on commence à 6 heures pour trier le courrier, avant de partir en distribution, et de pouvoir rentrer chez soi dès la fin de la tournée, vers 14 heures –, à une vacation coupée en deux par une pause allant de 45 minutes à 2 heures, ce qui implique en réalité une double journée de travail puisque le facteur ou la factrice ne pourrait désormais plus rentrer à son domicile avant 17 ou 18 heures, voire plus tard. Cette coupure de la journée s’accompagne de la mise en place de la « tournée sacoche », qui implique que préparation et distribution soient désormais séparées : d’un côté, les facteurs trient et sont donc confrontés à un travail répétitif et abrutissant, et de l’autre, des collègues s’occupent des tournées, qui sont alors d’autant rallongées si l’on y ajoute en plus la coupure méridienne. Alors que dans d’autres départements, notamment à Paris, les syndicats ont accepté la méridienne et la sacoche, ou n’ont demandé que des « aménagements » à ces mesures, dans les Hauts-de-Seine les grévistes se sont tout de suite positionnés contre la mise en place de cette double journée de travail.
De manière plus générale, ils ont exigé un moratoire sur toutes les réorganisations prévues dans le département, en attendant que l’entreprise puisse justifier de la quantification de la charge de travail pour les nouvelles organisations du travail. C’est une chose qu’elle est bien évidemment incapable de faire, puisqu’en réalité toutes les réorganisations ont pour but d’augmenter la charge de travail des facteurs et factrices. Deux éléments sont au centre de cette bataille : la mise en place des « îlots », et celle de Facteo. Les « îlots », ce sont des sortes de mini-centres de tri – rassemblant moins d’une dizaine de facteurs, souvent dans des locaux précaires et parfois même sans WC – que la Poste présente comme un « redéploiement » pour rapprocher les services. En ce qui concerne Facteo, il s’agit d’un smartphone distribué à tous les postiers, dans le but de leur faire effectuer tous les « nouveaux services » que La Poste cherche à imposer aux facteurs, souvent d’ailleurs pour pallier l’insuffisance de services publics : « Veiller sur mes parents », prendre en photo les ornières sur les routes pour en informer la mairie, ou même… s’occuper du recrutement pour l’armée de terre. Autant de nouveaux services qui dénaturent complètement le travail de facteur et en font perdre le sens.
Différentes bagarres menées précédemment avaient permis d’obtenir que dans les Hauts-de-Seine, la direction ne soit pas encore en mesure d’imposer toutes ces réorganisations. Elle voulait cette année faire sauter ce verrou, et imposer une fois pour toutes ces changements. C’est donc naturellement et volontairement que, très rapidement, le syndicat SUD Poste 92 et les grévistes ont intégré ces revendications au mouvement de grève parti le 26 mars. Car en élargissant les revendications au-delà de la seule réintégration de Gaël, en mettant en lumière le fait que si la direction réprime, c’est d’abord parce qu’elle veut mettre en place ces réorganisations et donc se débarrasser d’une équipe syndicale « lutte de classe » et combative, cela permettait de s’adresser à l’ensemble des postiers et postières du département, et même au-delà.
Politique de regroupement
En effet, contrairement aux politiques syndicales habituelles, les grévistes ont immédiatement cherché à regrouper l’ensemble des grévistes. Alors que la politique des directions syndicales est généralement d’isoler bureau par bureau, sans faire le lien entre ceux-ci, en laissant les salariés se battre seuls sur leur centre contre leur réorganisation, la politique des grévistes des Hauts-de-Seine a été de proposer systématiquement aux grévistes des assemblées générales communes. Le choix de constituer un comité de grève a également permis que la grève soit prise en charge par l’ensemble des facteurs et factrices, syndiqués ou non. Cette orientation, correspondant à une politique volontariste d’intervention sur les bureaux chaque matin, a permis de regrouper les grévistes sur le département.
Mais les grévistes ont également cherché à regrouper au-delà du département. Cela a été le cas avec les grévistes de Rennes-Crimée, qui ont fait 4 mois et demi de grève entre janvier et avril contre la sacoche et la méridienne. De la même façon, les postiers et postières des Hauts-de-Seine ont tissé des liens avec leurs collègues de la Gironde, notamment à Bègles, où là aussi des grèves ont eu lieu en avril et en septembre contre la sacoche et la méridienne. Enfin, dernièrement, c’est à Paris que les grévistes du 92 ont cherché à regrouper. Le centre de Paris 10/19 a ainsi connu une grève reconductible d’une semaine en octobre. L’intervention des grévistes du 92 a été déterminante pour motiver les facteurs et factrices à reconduire la grève, à passer d’une grève totalement passive, sans AG ni prise de parole dans le centre, à une grève cherchant à s’adresser aux autres salariés du centre, à affronter les chefs, à imposer que les grévistes puissent faire des interventions sur leur lieu de travail.
C’est cette politique de regroupement qui a rendu possible l’extension de la grève. Ainsi, à la rentrée de septembre, alors que la grève durait déjà depuis quasiment 6 mois, le bureau de Châtenay-Malabry a rejoint la grève reconductible, suivi par le service de collecte d’après-midi d’Asnières-Gennevilliers. À Paris, l’intervention sur la grève du centre de Paris 10/19 a permis d’établir des contacts avec les grévistes et de mettre en place une sorte de comité de mobilisation ; même si les salariés ont depuis repris le travail, ce comité permet de discuter et de reprendre rapidement la bagarre. Fin octobre, avec l’aide du comité de soutien, les grévistes du 92 ont cherché à s’adresser aux différents bureaux parisiens, où la sacoche et la méridienne sont désormais en place et désorganisent complètement les conditions de travail, en appelant à une intersyndicale Région parisienne et à une coordination des facteurs et factrices au niveau de toute l’Île-de-France. Cette politique de regroupement et d’extension de la grève vise aussi à augmenter la pression sur la direction de la boîte, pour l’obliger à ouvrir de réelles négociations sur les revendications des grévistes.
S’adresser aux autres secteurs
Au-delà de cette politique de regroupement au sein de La Poste, les grévistes du 92 ont eu la démarche, tout au long de la grève, de s’adresser aux autres secteurs en lutte, dans une politique de regroupement et de coordination des bagarres contre le patronat et le gouvernement. Cette politique a été particulièrement développée au printemps dernier, au moment où les étudiants et les cheminots sont entrés en lutte. Alors que la politique des directions syndicales était d’empêcher que des liens ne se tissent entre ces différents secteurs, d’organiser la dispersion, de contenir le développement de la grève à la SNCF avec la stratégie de la grève « 2 jours sur 5 », les postiers et postières du 92 ont plutôt cherché à unifier ces différentes luttes. Ainsi, les grévistes sont intervenus quasi-systématiquement dans les AG d’étudiants à Nanterre, ainsi que dans celles des grévistes des gares parisiennes.
Cette politique a permis d’établir des liens concrets, au-delà des simples discours sur la « convergence des luttes ». Le 26 avril, l’action à la Défense a été organisée en commun avec des cheminots, des étudiants et des travailleurs sociaux. De même, le 18 mai, le bureau de Neuilly a été bloqué par les postiers, mais aussi par des cheminots et des étudiants, la direction de la boîte faisant alors appel aux CRS pour déloger les grévistes et leurs soutiens. Le 22 mai, quand les étudiants de Nanterre ont dû faire face à une tentative de la présidence de délocaliser les examens pour briser la grève dans cette université, les postiers et postières, avec l’appui de cheminots, sont allés bloquer le centre d’examens d’Arcueil.
Par ailleurs, les grévistes ont systématiquement soutenu les initiatives du comité « Justice pour Adama », organisé autour de la famille Traoré, contre les violences policières. En retour, Assa Traoré – la sœur d’Adama – a soutenu régulièrement les actions des postiers et postières, a signé le calendrier des grévistes et a appelé à soutenir la caisse de grève.
Ce sont ces liens concrets, forgés dans la pratique, dans la lutte contre le patronat, son gouvernement et sa police, qui permettent de dépasser les barrières que dressent les patrons mais aussi les directions syndicales. Ces liens renforcent la conscience du fait que les salariés, les chômeurs et les jeunes de milieux populaires ne forment qu’une seule et même classe, aux intérêts communs, et que c’est dans l’unité, en se battant ensemble, que nous pourrons en finir avec cette société.
C’est le sens également de l’intervention des postiers et postières auprès des Pinel, des Hyatt, ainsi que des salariés de Ford qui se battent contre la fermeture de leur usine à Blanquefort. C’est lors de la manifestation du 22 septembre à Bordeaux qu’a été décidée l’initiative consistant à faire monter ensemble au Salon de l’auto les Ford, les Goodyear et les postiers des Hauts-de-Seine, pour tenir un stand et discuter de l’idée d’une initiative commune contre les licenciements.
Correspondant