En
novembre 1979, la prise en otage du personnel de l’ambassade des
États-Unis à Téhéran par des étudiants demandant l’extradition de leur
roi déchu, le Shah Mohamed Reza Pahlavi, suscita un certain enthousiasme
dans le mouvement anti-impérialiste du monde entier. La République
islamique d’Iran, née quelques mois plus tôt, avait pourtant déjà
commencé à réprimer le mouvement ouvrier et les luttes des femmes et des
minorités nationales.
Un vaste mouvement populaire
Le
pouvoir du Shah avait été restauré après le coup d’État de 1953,
organisé par les Britanniques et les États-Unis contre le Premier
ministre Mossadegh, responsable de la nationalisation du pétrole. Le
régime de Pahlavi devint un relais de l’impérialisme au Moyen-Orient.
Grâce à la rente pétrolière, l’Iran devint le « gendarme du Golfe »,
garant de la bonne livraison de l’or noir dans les pays capitalistes. Le
Shah était un acteur de l’économie capitaliste internationale dont
l’intérêt était de moderniser l’Iran tout en maintenant une économie de
rente. La réforme agraire profita ainsi à l’économie d’exportation et à
quelques firmes de l’agrobusiness, l’industrie faisait appel à
des cadres et ingénieurs venus des pays développés. Cette politique,
ainsi que certaines réformes modernisatrices, heurta les anciennes
classes dominantes et le haut clergé, elle n’améliora pas les conditions
de vie des couches les plus pauvres de la société et favorisa un exode
rural massif, qui fit s’entasser des millions de chômeurs et de
chômeuses dans les bidonvilles. Le Shah s’était ainsi aliéné la grande
majorité de la population. Une répression impitoyable s’abattait sur les
opposants de gauche. Le clergé était la seule force indépendante du
régime qui parvint à sauvegarder son implantation, avec à sa tête
l’ayatollah Khomeiny .
La chute du Shah
Le
8 janvier 1978, sur un fond de contestation de divers secteurs
(ouvriers, étudiants, habitants des bidonvilles) et suite à la
publication dans la presse gouvernementale d’un article insultant
Khomeiny, commença un cycle de manifestations, avec des affrontements de
plus en plus durs. Un tournant eut lieu en septembre, avec le début de
la grève du pétrole. Khomeiny lança lui-même un appel à la grève
générale, qui donna lieu aux premières élections de comités de grève.
Une auto-organisation soutenue par le clergé qui demanda aux fidèles de
verser les impôts religieux aux caisses de grève et encouragea les
ouvriers du pétrole à relancer la production sous leur propre contrôle.
La loi martiale et les changements de gouvernement n’y firent rien : le
16 janvier 1979, le Shah quittait le pays pour des « vacances », dont il
ne reviendrait jamais. Khomeiny revenu, il fallut trois jours
d’insurrection à Téhéran pour que le dernier gouvernement royaliste
démissionne. Une insurrection que Khomeiny avait tenté de freiner en
appelant au calme, mais qui lui offrit le pouvoir.
L’occasion manquée du mouvement ouvrier
L’unité
du mouvement se fragilisa avec les discussions sur le nouveau régime.
Le mois de mars fut marqué par les premières agressions de militantes
féministes par des religieux, ainsi que par des affrontements avec les
minorités nationales kurde et arabe. Le référendum instaurant la
République islamique fut ainsi boycotté par les mouvements nationaux
comme par l’essentiel de l’extrême gauche et de la gauche.
Les
premiers mois du régime furent néanmoins marqués par un rapport de
forces forçant le gouvernement à nationaliser le secteur bancaire ou
encore l’industrie, notamment le pétrole. Dans les usines, les conseils
ouvriers, les shoras, obtinrent la réduction du temps de
travail, l’augmentation des salaires, l’interdiction des licenciements,
le contrôle ouvrier sur les embauches et l’élection des responsables...
Mais dès l’été, les arrestations de militants ouvriers commencèrent et
la liberté de la presse fut restreinte. Dans les entreprises, des shoras
islamiques lancèrent la chasse aux communistes. L’incapacité du
mouvement ouvrier à prétendre au pouvoir s’explique par les
illusions dans Khomeiny, figure de la lutte contre le Shah, pour la
dignité et une certaine justice sociale. Elle est aussi due à l’absence
d’un cadre national pour coordonner les actions dans les entreprises,
les provinces en lutte, les campagnes, les universités, et aux années de
répression précédent la révolution. Pour refermer durablement toutes
les poches de liberté et de contestation, le gouvernement de Khomeiny
sut saisir les occasions. La prise d’otages à l’ambassade des États-Unis
fut la première. C’est dans ce contexte d’union nationale qu’en mars
1980, le gouvernement annonça la fermeture des universités pour les
« purifier » des enseignants et étudiants de gauche et d’extrême gauche.
Le second événement majeur fut la guerre Iran-Irak, de septembre 1980 à
1988. Là encore, l’union nationale permit d’imposer les lois
d’exception et le musellement de l’opposition : au cours de la
quasi-décennie de guerre, les arrestations et exécutions de militantes
et militants du mouvement ouvrier se comptèrent en centaines de milliers.
Jean-Baptiste Tondu