[ETAT ESPAGNOL] Les salariés ne paieront pas les conséquences de la crise sanitaire !



Nous publions la déclaration d'IZAR1 au sujet de la situation politique et sociale dans l'Etat espagnol. Celle-ci est datée du 13 mars et certains événements sont déjà dépassés, mais elle donne une analysé poussée de l'offensive que subissent les salariés de la péninsule ibérique. Nous publierons au fur et à mesure leurs déclarations.

LES TRAVAILLEURS ET LES TRAVAILLEUSES NE PAIERONT PAS LES CONSÉQUENCES DE LA CRISE DU CORONAVIRUS : PLAN D’URGENCE POUR NOTRE CLASSE

S’il y a bien une chose que met en évidence la crise du coronavirus, qui frappe l’économie mondiale et se concentre actuellement en Europe, épicentre de l’épidémie après le pic en Chine, c’est que ce qu’ils nous ont raconté et promis, au sujet de la « refondation du capitalisme » après la chute de Lehman Brothers en 2008, supposée servir à renforcer les contrôles sur l’économie pour éviter une autre crise – ce que par ailleurs l’ensemble de la classe ouvrière a refusé de croire, et qui ne nous est utile en rien en tant qu’anticapitalistes et révolutionnaires – s’est effondré comme un château de cartes en l’espace de ces dernières semaines.

Le coronavirus a fait irruption dans un contexte économique instable. Il a touché une économie chinoise bien plus connectée au marché mondial que dans les années 2000, puis s’est attaqué au capitalisme européen en commençant par l’Italie, alors que celui-ci était déjà tiré vers le bas par la crise allemande. L’effondrement des prix du pétrole est la conséquence non seulement de la guerre que mènent l’Arabie Saoudite et la Russie contre les Etats-Unis, mais aussi celle de la chute impressionnante de la production industrielle avec l’expansion du virus. Les marchés boursiers mondiaux caractérisent ce scénario de sismographe, car le virus peut agir comme un point clé au sein de la nouvelle bulle financière entretenue pendant cette décennie.

L’Italie est déjà en récession, plusieurs des secteurs principaux de son économie en plein effondrement, et une telle crise dans le deuxième Etat industriel de l’Union Européenne ne saurait qu’entraîner dans sa chute l’entièreté de l’économie continentale, déjà en stagnation. Le coronavirus frappe déjà aussi les Etats-Unis, un pays aux fondations fragiles et sans système public de santé, où les patient.e.s devront se cacher pour éviter le licenciement ou le prix insurmontable du traitement, avec un risque de propagation encore plus spectaculaire qu’en Europe. La seule chose qui est claire quant à cette crise, est qu’elle retombera une fois de plus sur les épaules de travailleurs et des travailleuses : le même système qui a détruit de toutes parts la santé publique au profit des banques ne fera qu’écraser à nouveau la majorité sociale.

Nous réquisitionnons les hôpitaux privés pour les mettre au service de la santé publique
Un tel niveau d’urgence, l'Etat espagnol ayant atteint cette semaine la plus haute vitesse de contagion de toute l’Union Européenne, ne pouvait que révéler les immenses failles d’un système de santé publique attaqué depuis au moins dix ans par des coupes budgétaires et des privatisations sauvages, surtout dans la région de Madrid, où le coronavirus pourrait devenir un agent mortel dans les jours ou semaines à venir. Les travailleurs et travailleuses de la santé, en première ligne de cette bataille, sont celles et ceux qui souffrent le plus en termes de chiffres et de problèmes de travail découlant de la privatisation et de l’externalisation de la gestion de Madrid.

Depuis le début de cette crise sanitaire, le gouvernement de la région a dû prendre en charge 300 nouvelles embauches et la prolongation des contrats des 1300 travailleurs et travailleuses de la santé, initialement mobilisé.e.s pour la campagne contre la grippe. Face aux plus de 1500 cas supplémentaires détectés en cette fin de semaine [ndlr, vendredi 13 mars], le ministère de la santé dispose de 2100 lits de moins qu’il y a dix ans. Aujourd’hui, la région compte 33 hôpitaux publics et 50 hôpitaux privés, qui ne suffisent pas à assurer le traitement de la pandémie et la couverture du coût honteux de 300 euros d’un dépistage. En ce qui concerne l’ensemble de l’Etat, les hôpitaux privés représentent 55% du total des hôpitaux, ainsi que 33% des lits existants.

Au vu des chiffres qui témoignent de l’épuisement de ce système de soins sur tout le territoire et en particulier à Madrid, l’injection de 3,8 milliards d’euros répartis entre les différentes communautés autonomes dans le système national de santé, annoncée jeudi dernier par Pedro Sánchez, sans doute importante mais surtout insuffisante, ne permet pas d’affronter pleinement la réalité : la santé publique ne peut pas être entretenue que temporairement et conjoncturellement, et revenir à ses conditions antérieures une fois la pandémie maitrisée. Il est temps d’arrêter la privatisation de notre système national de soins.

Pour répondre à tout cela, nous proposons la réquisition de tous les hôpitaux privés et la gestion sanitaire privée et externalisée, et cela pas seulement pour une intervention sélective, mais plutôt pour les mettre au service intégral de la santé publique, ainsi qu’un large recrutement de personnel sanitaire, administratif et de nettoyage, entre autres secteurs professionnels, à tous les niveaux de l’administration de l’Etat indispensables au fonctionnement du système de santé, et de la même manière une garantie d’approvisionnement de tout le matériel de soins et de nettoyage nécessaire ; nous proposons aussi de nationaliser l’industrie pharmaceutique et biotechnologique, ainsi que de contrôler la distribution et le prix de ses produits. Pour cela, il est obligatoire que toutes les ressources économiques des services privés de santé soient coordonnées et contrôlées par les autorité sanitaires et que le système national de santé prenne en charge toutes leurs compétences.

Pas un seul licenciement, même temporaire, même dans les entreprises affectées
La crise provoquée par le coronavirus au niveau international et ses conséquences économiques pour le capital et les multinationales de l’Etat espagnol ne peuvent en aucun cas devenir l’excuse parfaite pour la classe dominante, justifiée habilement par toutes sortes d’arguments par le gouvernement, le patronat et les médias, par la pression du choc et par la panique déclenchée, pour procéder à des vagues de licenciements dans les entreprises et les administrations publiques touchées économiquement pendant les semaines ou mois durant lesquels le coronavirus affecte la vie quotidienne du pays.

En début de semaine, plusieurs entreprises ont déjà annoncé des licenciements de travailleurs et travailleuses, soutenues par la réforme du travail de 2012, toujours en vigueur, qui les facilite même dans une situation d’urgence comme celle que nous connaissons actuellement : les chaînes hôtelières de la côte, telles que Meliá, les compagnies aériennes Air Europa, Vueling, Ryanair, les sociétés Nissan, Seat, Ford, Opel, Fujitsu, Kostal Eléctrica, Cortefiel et Inditex, ainsi que de nombreux contrats dérivés ou indirectement liés aux départements de l’éducation à Madrid et au Pays Basque (services de cantine, personnel d’encadrement, de nettoyage, conseiller.e.s en langue des signes, traducteur.trice.s et interprètes) ne sont que les premiers cas annoncés.

Pour faire face à ce flot de dizaines de milliers de licenciements, apparemment temporaires le temps de l’état de quarantaine, dans tout le pays, la CEOE (Confédération espagnole des entreprises) et la CEPYME (Confédération espagnole de la petite et moyenne entreprise), en lien avec les directions de CCOO (Commissions ouvrières [ndlr, premier syndicat dans l'EE]) et de l’UGT (Union Générale des Travailleurs), ont convenu jeudi dernier de présenter conjointement au gouvernement du PSOE-UP (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol et Unidos Podemos) une série de mesures dans le cadre du soi-disant « dialogue social » pour parer aux conséquences de la pandémie dans le monde du travail. Le fait que le président de la CEOE, Antonio Garamendi, appelle à l’« unité » pour affronter la crise, indique déjà une direction bien définie.

Il est important de noter que les entreprises de l’Ibex 35, l’indice de la bourse de Madrid, ont déjà récupéré en 2017 leurs bénéfices d’avant la crise, et que depuis 2013, alors que l’ensemble de la classe ouvrière subissait des restrictions majeures sur le plan social, et que la réforme du travail de Rajoy faisait ses débuts en tant que machine à précarité et de destruction massive d’emplois, il y avait déjà une majorité d’entreprises de l’Etat espagnol qui faisait des bénéfices, et que ces dernières avaient déjà récupéré 75% de leur valeur. Il est plus qu’insultant que la CEOE oublie que la classe ouvrière et le patronat ne s’en sont pas sortis aussi bien l’un que l’autre, et que par-dessus cela, elle exige maintenant l’« unité » des syndicats comme manière d’interpeller l’ensemble des travailleurs et travailleuses.  

Le document prévoit un assouplissement des licenciements temporaires afin d’adapter les ERTEs (dispositif permettant à l’entreprise de décider de réduire le contrat ou la durée de travail d’un.e travailleur.euse) à un scénario moins productif : il propose que les entreprises et administrations publiques puissent les justifier, que ces licenciements soient temporaires ou non, par la fermeture de centres éducatifs ou pour personnes âgées, par l’annulation d’activités, les restrictions de mobilité et l’isolement, pour « force majeure ». Pour résumer, il s’agit une fois de plus de sauver les entreprises et de licencier la véritable force de travail, c’est-à-dire les milliers de travailleurs et travailleuses contraint.e.s par l’urgence actuelle. Et cet accord est protégé par les directions syndicales et par un « gouvernement de gauche », qui fera appel, une fois de plus, à la situation exceptionnelle et à la nécessité d’éviter que le coronavirus ne contamine l’économie.

Face à cela, nous proposons de ne pas laisser cette crise être une excuse de plus pour que la classe ouvrière en paie les pots cassés, alors que le patronat et la bourse de Madrid sortiraient presque indemnes de ces semaines et mois : il est impératif d’interdire tous les licenciements, qu’ils soient temporaires ou non, d’assurer la suspension des hypothèques, de garantir pleinement la sécurité des travailleurs et travailleuses exposé.e.s à un risque de contagion et qui ne pourraient pas s’absenter de leur travail (dans les ports, le transport de marchandise, les services et administrations, la santé) pendant la pandémie ; de plus, le versement des salaires doit être maintenu intégralement et cela sans exception, les prestations sociales doivent être étendues aux travailleurs et travailleuses actif.ve.s comme aux chômeurs et chômeuses, et l’accès à des aménagements de conciliation professionnelle et familiale doit être facilité, cela sans aucun type de préjudice économique.

A cette fin, les capitalistes, les banques et les multinationales doivent contribuer économiquement, au minimum, avec la somme d’argent injectée lors des sauvetages successifs par les gouvernements Zapatero et Rajoy, mais aussi avec une taxe extraordinaire sur les grandes entreprises, extensible dans le temps jusqu’à ce que les travailleurs et travailleuses affecté.e.s par le coronavirus retrouvent des conditions économiques stables. Nous croyons également que les politiques d’austérité budgétaire sont plus que jamais injustes et incompatibles avec une telle situation d’urgence sociale, c’est pourquoi nous demandons l’abrogation de l’article 135 de la Constitution, ainsi que la suppression pour une durée indéterminée du plafond de dépenses pour le déficit récemment approuvé et le paiement de la dette publique.

Pas une seule famille expulsée : interdiction des saisies de logement
Une des premières mesures prises par l’Italie lorsque le coronavirus a commencé à menacer sa population, a été la suspension des paiements hypothécaires pour les familles les plus vulnérables. 

Bien que timide, cette mesure avait déjà une longueur d’avance sur celles mises en place par le gouvernement PSOE-UP dans l’Etat espagnol, qui, à sa première apparition, semblait omettre les centaines d’expulsions qui ont eu lieu depuis le début de l’année 2020 et ce qu’elles signifient sous la menace du virus. Le mouvement pour le droit au logement va même plus loin et exige à partir de ce jeudi la suspension des expulsions relatives aux hypothèques et aux loyers jusqu’à la fin de la quarantaine.

Le pouvoir judiciaire ne suspend pas les expulsions et n’est pas concerné par l’annonce de l’« Etat d’alerte ». Par conséquent, nous proposons qu’aucun délai ne soit fixé pour les demandes de maintien de logement, une expulsion hypothécaire a toujours été et sera, dans le contexte, une attaque si violente qu’il ne saurait qu'être reporté : il est indispensable d’interdire tout type d’expulsion dans le pays, en saluant les suspensions déjà annoncées en Catalogne, à Madrid, au Pays Basque, dans les Asturies et dans l’Aragon ; à cette fin, tous les logements aux mains des banques doivent être mis à la disposition des familles vulnérables, et la fourniture totale d’électricité, d’eau et de gaz, ainsi que de biens et produits de première nécessité doit leur être assurée, en prenant non seulement le contrôle des entreprises d’approvisionnement en électricité et en eau, mais aussi celui du stock de marchandises.

Pas une seule personne en centre d’internement d’étranger.e.s, pas une seule personne déportée
Face à l’urgence humanitaire actuelle, il convient de rappeler une fois de plus, et cela malgré le ministre Grande-Marlaska qui fait la sourde oreille et entend « les humaniser », la violation des droits humains que représentent les centres d’internement d’étranger.e.s, véritables prisons, véritables monuments du racisme institutionnel. La campagne menée dans tout l'Etat espagnol pour la fermeture de ces centres demande, à juste titre, depuis jeudi dernier au gouvernement PSOE-UP leur fermeture immédiate et la libération immédiate des migrant.e.s détenu.e.s. Etant donné qu’à ce jour, plus de 60 pays ont adopté des restrictions concernant l’entrée sur leur territoire de personnes issues de l’Etat espagnol, l’expulsion de ces migrant.e.s vers leur pays d’origine doit être absolument interdite.

Nous exigeons donc la libération des migrant.e.s emprisonné.e.s dans ces centres et leur fermeture définitive, dans tout l’Etat espagnol, non seulement afin de garantir la protection de leur santé et d’éviter la propagation du coronavirus dans les espaces à forte concentration de personnes et lieux dans lesquels les conditions d’hygiène et de salubrité ont été dénoncées à de multiples reprises ; mais aussi pour garantir l’accès au système de soins et au traitement en cas de contagion pour les personnes détenues dans ces centres, en parallèle, nous exigeons la réquisition des logements aux mains des fonds vautour pour assurer un toit à tou.te.s les migrant.e.s libéré.e.s ainsi que l’interdiction absolue de toute expulsion d’un quelconque point de l’Etat espagnol vers un pays étranger.

A IZAR, Izquierda Anticapitalista Revolucionnaria, nous estimons que cette fois la facture ne doit pas être payer par les salariés, mais plutôt par le patronat, qui est sorti enrichis de la crise de 2008 grâce aux licenciements, aux réductions des droits sociaux et des droits du travail. Ce sera en répartissant les richesses de ceux qui ont une position économique privilégiée, en intervenant dans l’économie, dans la consommation et en valorisant les services publics, qu'on pourra garantir que les travailleurs et travailleuses, tout autant que les retraité.e.s et les jeunes, ne voient pas leurs conditions matérielles sociales ou de travail dégradées. Nous n’avons jamais été dans le même bateau que les capitalistes, l’exploitation sous ce système constitue pour nous un « état d’alerte permanent », et nous ne sortirons pas non plus de la crise du coronavirus à leurs côtés.

1 - http://izar-revolucion.org/la-crisis-del-coronavirus-no-la-pagamos-ls-trabajadors-plan-de-emergencia-social-para-nuestra-clase/ IZAR (Izquierda Anticapitaliste y Revolucionaria) est une organisation communiste et révolutionnaire dans l'Etat espagnol membre de la Tendance pour une Internationale Révolutionnaire.