Pour sauver nos emplois, nos vies, notre planète... Imposons nos mesures d’urgence !

Nous le voyons dans tous les secteurs : le gouvernement et le patronat ont su saisir l’occasion de la crise économique et sanitaire pour accélérer l’offensive contre le monde du travail. Pourtant, des entreprises en lutte contre les licenciements aux mobilisations populaires écologistes, en passant par le soutien massif aux revendications de la santé, notre camp social montre bien qu’il n’est ni dupe, ni résigné.


Pour le mettre en action, il y a urgence à proposer des mesures répondant à la gravité de la situation, et à entraîner la classe ouvrière et la jeunesse dans la lutte pour une autre société. Plutôt que de prétendre à dresser une liste exhaustive de revendications, il est nécessaire de définir des axes de mobilisation et une démarche de rupture avec le capitalisme.


Des axes de mobilisation, parce que rares sont les expériences de mobilisation sans des objectifs clairs et définis, des revendications précises. Et une démarche de rupture avec le capitalisme, parce que tant que les moyens de production des richesses seront aux mains d’une minorité vivant du travail de la majorité, tant que la logique du profit fera loi, tant que le pouvoir de la classe dominante n’aura pas été remis en cause, les opprimés et les exploités ne pourront obtenir que des concessions que les capitalistes s’empresseront de compenser par des attaques sur d’autres acquis, ou sur lesquelles ils reviendront dès que possible.


Partage des richesses, partage du temps de travail !


La rengaine est connue, et elle ne date pas du dernier coronavirus : pour produire davantage et espérer sauver nos salaires, voire les augmenter, nous serions censés devoir travailler plus. Une logique imparable... tant que le patronat et son personnel politique ou journalistique se gardent de dire que la productivité des travailleurs et des travailleuses augmente sans cesse. La quantité de richesses produites ne dépend pas du temps de travail effectué, mais de l’efficacité de ce travail.


Ce qui dépend bien du temps de travail, ce sont les profits des entreprises : une fois produit l’équivalent en richesses de la somme qui constitue leurs salaires, les travailleurs et les travailleuses continuent de trimer pour leurs patrons... gratuitement. Et cela peut arriver très tôt dans le mois !


Avec l’augmentation de la productivité, un plus petit nombre de salariés peut continuer à produire autant, et même plus que par le passé. En laissant stagner leurs salaires, les capitalistes ne font qu’augmenter la différence entre la quantité de richesses produites et le salaire final, autrement dit le niveau d’exploitation.


Telle est la logique capitaliste, sa loi même, car une entreprise qui n’augmente pas continuellement cette exploitation devient moins compétitive vis-à-vis de la concurrence. Les patrons qui licencient à tour de bras ont beau jeu de dire qu’il n’y a pas le choix... Cela n’est vrai qu’en acceptant de nous placer dans le cadre du système.


Une logique radicalement différente serait que face au chômage et à la précarité, le temps de travail soit diminué jusqu’à ce que chacun et chacune ait un emploi. Et que pour maintenir les salaires tout en travaillant moins – pour les augmenter même, car la nécessité s’en fait ressentir quotidiennement –, les profits soient diminués, voire sacrifiés. Enfin, une logique servant l’intérêt du plus grand nombre voudrait que pour éviter que les augmentations de salaires soient de fait annulées par celle des prix, les premiers soient indexés sur les seconds.


À nous de contrôler !


Nos adversaires argueront que de telles mesures mettraient sans aucun doute des entreprises en faillite. Ce n’est pas faux. Mais alors, il serait impossible d’empêcher les licenciements et de maintenir les salaires ?


Encore faudrait-il que nous puissions vérifier la véracité des difficultés financières annoncées. S’il leur est demandé de faire des sacrifices, de diminuer leurs salaires, de travailler davantage ou plus du tout, les travailleurs et les travailleuses ont bien le droit de savoir quelle est la réalité : à qui appartient véritablement leur entreprise ? À quel groupe, à quelle filiale, à quelle banque d’investissement ? N’y a-t-il pas des profits masqués par les transferts monétaires entre les différentes branches de leur société ?


Et qu’en est-il au niveau de l’ensemble d’un secteur économique ? Ne pourrait-on pas prendre dans les profits des grandes entreprises donneuses d’ordres pour garantir les salaires dans les petites entreprises sous-traitantes ? Ne pourrait-on pas mutualiser les fonds des différentes sociétés qui se partagent un marché ?


De telles mesures de transparence vont elles aussi totalement à l’encontre de la loi du capitalisme, elles constituent des intrusions dans la sacro-sainte propriété privée des moyens de production. Mais en quoi serait-ce un problème, si cela est bénéfique pour la grande majorité de la population ?


À nous de décider !


Des élus combatifs ou des collectifs « citoyens » pourraient bien mettre en place le contrôle des comptes. Un gouvernement très radical ou des référendums d’initiative citoyenne pourraient bien imposer des mesures contraignantes pour le capital et favorables à la majorité de la population.


Mais aucune de ces mesures, imposées par la voie institutionnelle et « par en haut », ne mettrait en activité la majorité de la population, à commencer par celle qui est la mieux placée pour mettre l’économie sous son contrôle : la classe ouvrière.


Les personnels hospitaliers le répètent sans cesse, comme ceux de l’Éducation nationale : ce sont ceux et celles qui font tourner des services qui savent le mieux comment ceux-ci devraient être organisés et gérés. Les postiers et postières qui se battent contre les « réorganisations » sont bien plus au courant du temps nécessaire au tri du courrier et à sa distribution que les prétendus experts qui ne connaissent le travail qu’à travers un algorithme !


Dans les usines pratiquant des activités potentiellement dangereuses, comme l’industrie chimique, ne serait-ce pas au personnel, ouvriers et ingénieurs, de déterminer les normes de sécurité à mettre en place ?


Mais dans une société où les chaînes de commandement apparaissent comme un « ordre naturel » et où la hiérarchie est solidement établie entre activités intellectuelles et manuelles, celles et ceux qui connaissent le mieux la réalité des entreprises n’ont que rarement confiance dans leur capacité à en prendre le contrôle collectivement.


Seule leur mise en action, dans le cadre des grèves et des mobilisations sociales, peut leur donner la confiance nécessaire, leur faire prendre conscience d’une réalité que les capitalistes cherchent à masquer en permanence : le patronat a besoin des salariés, alors que l’inverse n’est pas vrai.


Les assemblées générales démocratiques et souveraines, l’élection de comités de grève responsables et révocables par l’ensemble des grévistes, la création de coordinations entre les sites, voire entre différentes entreprises, sont autant d’expériences de prise en main de leurs affaires par les prolétaires. Ce sont les laboratoires d’un pouvoir ouvrier capable de contester celui du patronat. En se développant, ces organes peuvent aller jusqu’à mettre en place dans les entreprises une situation de double-pouvoir – celui du patronat et celui des comités de travailleurs et travailleuses – qui ne pourra s’achever qu’en dépossédant les actuels possédants.


Il s’agit là, dans les entreprises concernées, d’une rupture avec le capitalisme, avec le droit à la propriété privée, avec la « liberté d’entreprendre » (… pour qui en a les moyens !).


Réquisitionnons le capital !


Comme nous l’avons écrit plus haut, une entreprise qui n’augmente pas continuellement l’exploitation de ses salariés devient moins compétitive vis-à-vis de la concurrence, et cela constitue une objection couramment faite à notre programme. Mais plutôt que d’aller à l’encontre d’un tel programme, cette objection doit pousser à aller plus loin dans son application. Pourquoi s’arrêter à un seul lieu de travail ou à une seule entreprise ? Si l’augmentation de l’exploitation et du chômage sont des conséquences de la concurrence capitaliste, alors il faut y mettre fin également !


La recherche de vaccins et de médicaments ne serait-elle pas plus efficace si les laboratoires, au lieu de se livrer une compétition féroce, mettaient en commun leurs moyens et leurs connaissances ? Ne soulèverait-elle pas moins de suspicions et de défiance si elle n’était pas tournée vers la recherche des profits ?


La folle dépense de ressources, l’émission de gaz à effet de serre et la pollution de l’air et de l’eau ne seraient-elles pas nettement freinées si chaque entreprise du secteur ne cherchait pas sans cesse à produire plus que sa voisine ?


Le regroupement des entreprises répond donc également à des impératifs qui dépassent les questions de l’emploi et des salaires. Du reste, de tels regroupements ont déjà été monnaie courante par le passé, lorsque des États ont nationalisé les sociétés d’énergie ou de transports afin d’assurer le déploiement des infrastructures et des services sur l’ensemble de leurs territoires. Les entreprises capitalistes se montraient en effet incapables de réaliser de tels investissements qui ne pouvaient être rentables avant plusieurs années, voire plusieurs décennies.


Mais la nationalisation, par rachat et sous contrôle de l’État, ne met pas fin à l’exploitation et à la loi du capital : les travailleuses et les travailleurs d’entreprises comme La Poste ou la SNCF en savent quelque chose ! Du reste, l’ouverture à la concurrence et l’ouverture du capital, voire la privatisation, montrent bien que tant que nous vivons sous le capitalisme, celui-ci se prépare tôt ou tard à remettre la main sur toutes les activités lucratives possibles.


Pour que la loi du patronat ne règne plus, les entreprises doivent être réquisitionnées sous contrôle des comités ouvriers.


C’est toute la société qu’il faut changer !


Le ralentissement de l’économie au printemps dernier a rappelé que dans notre société, toutes les activités n’ont pas la même utilité, loin de là ! Le débat est bien légitime : ne devrait-on pas renoncer à certaines activités inutiles, voire polluantes et dangereuses, quitte à fermer les entreprises qui les mènent ? Cela concerne plus d’un secteur, de la publicité au marketing, de l’industrie de l’armement à celle des transports polluants... N’est-il alors pas contradictoire de défendre le maintien de l’emploi coûte que coûte ?


Pas si l’on se place en rupture avec le capitalisme et le pouvoir patronal : si c’est aux comités de travailleurs et de travailleuses de décider, alors c’est aussi à eux de décider de la reconversion. Pas seulement chacun dans son coin, car les logiques de concurrence entre secteurs pourraient toujours orienter les décisions. Mais il est imaginable que de manière coordonnée à l’échelle nationale, voire internationale, ces organes de pouvoir ouvrier prennent le contrôle de l’économie dans son ensemble, la remettent à plat, la planifient pour servir les intérêts et les besoins de la population et de la planète.


Cela montre bien à quelle échelle le pouvoir actuel doit être contesté : pas seulement à celle des lieux de travail, mais bien à celle de l’État tout entier. C’est donc aussi dans les quartiers et les villes que doit s’exprimer la mobilisation sociale. C’est donc aussi contre le gouvernement et son bras armé, sa police, que doit se tourner la colère des opprimés et des exploités. Ce n’est pas en attendant les prochaines échéances électorales et en espérant l’arrivée au pouvoir d’un bon gouvernement « de gauche », « anti-austérité » ou « au service des travailleurs et des travailleuses », que notre camp social défendra ses intérêts : c’est au contraire en se défaisant de toute illusion dans les institutions, en se défiant des politiciens professionnels et des combinaisons parlementaires, en cessant d’écouter ceux et celles qui demandent leurs suffrages pour les déposséder de leurs combats.


La nécessité de populariser un programme de rupture anticapitaliste


Bien évidemment, l’arrivée d’une situation prérévolutionnaire dans laquelle fleuriraient les organes ouvriers, concurrents du pouvoir capitaliste, est rarement prédictible. Les formes que prendraient les mobilisations ou l’organisation des travailleurs et des travailleuses ne le sont pas plus. Un tel « plan d’action » ne constitue pas tel quel une feuille de route pour les semaines ou les mois à venir !


Dans les lieux de travail, d’études ou de vie, comme les quartiers populaires, les luttes qui voient le jour depuis l’été dernier, celles qui se poursuivent depuis plus longtemps, celles qui émergeront prochainement, ne sont pas des luttes consciemment anticapitalistes. Elles sont des réponses à des situations insupportables, des expressions de la combativité et de la dignité de différentes franges du camp des opprimés et des exploités. Elles sont d’abord des occasions d’engranger des victoires, de gagner des améliorations ou du moins de repousser des attaques, mais aussi d’accroître la conscience et la confiance en soi, d’expérimenter des formes de lutte et d’organisation. Les collectifs militants les plus combatifs, équipes syndicales, fronts de luttes, militants et militantes révolutionnaires, ont un rôle à jouer pour impulser ces luttes, pousser à leur approfondissement et à leur regroupement.


Les militantes et militants communistes révolutionnaires sont bien évidemment, avant toute chose, parties prenantes de ces luttes. Notre politique n’est pas de nous présenter avec un projet abstrait et déconnecté des préoccupations de notre classe. Au contraire, notre programme part de ses revendications immédiates, comme le refus des sacrifices pour payer la crise, l’interdiction des licenciements, l’augmentation des moyens pour les secteurs utiles, la reconnaissance de la parole des « premiers et premières de corvée ». Mais notre démarche est de les relier à une perspective de rupture avec le capitalisme, condition sine qua non de leur satisfaction réelle. Notre boussole est l’intérêt de notre camp, sans souci aucun pour la sauvegarde du capitalisme et de ses institutions. Plus encore, c’est l’indépendance totale de notre classe vis-à-vis de ses exploiteurs et de leur personnel politique et policier. Sans personne pour défendre un tel programme, il est illusoire de penser que cette politique émergera d’elle-même. La perspective même d’une société nouvelle, sans exploitation ni oppression, sans menace pour l’avenir de la vie et de la planète, s’en trouverait alors bien affaiblie. Pour la faire vivre, il est plus que jamais nécessaire de regrouper ceux et celles qui veulent la porter : c’est le rôle d’un parti révolutionnaire. C’est sa construction qu’Anticapitalisme & Révolution, courant du NPA, propose à celles et ceux qui n’en peuvent plus de ce système et qui refusent de se résigner !


Jean-Baptiste Pelé