Additionner et finir par soustraire ? Que reste-t-il de ce que promettait Podemos à ses débuts ?

 


AFP/Josep LAGO

Nous reproduisons ici un texte de nos camarades de la Gauche anticapitaliste révolutionnaire (IZAR), notre organisation sœur dans l’État espagnol, à propos de l’évolution du parti de la gauche antilibérale Podemos, membre du gouvernement du socialiste Pedro Sánchez depuis 2020.


Le 8 juillet à Madrid, Yolanda Díaz, l'actuelle ministre du Travail et deuxième vice-présidente du gouvernement de Pedro Sánchez, a présenté Sumar (« Additionner »), une nouvelle coalition avec laquelle elle se présentera aux prochaines élections générales. Huit ans après la présentation de Podemos au Teatro del Barrio de Madrid, Sumar est la nouvelle étape d’une orientation politique qui, au fil des ans, a concentré tout son travail sur les processus électoraux et sur la tentative d'intégrer les institutions, pour finir par appliquer des politiques contraires à celles qu'elle défendait à l'origine. Nous en avons un bon exemple dans ses différentes expériences à la tête de gouvernements locaux et régionaux, ou au sein coalitions, et même maintenant au sein du gouvernement central.

Le 17 janvier 2014, à la sortie du théâtre Barrio, Pablo Iglesias avait déclaré devant les personnes restées dehors faute de places que « cette crise [de 2009] a servi à une chose très claire, pour qu'une minorité de privilégiés puisse continuer à détourner la démocratie et continuer à détourner les droits sociaux ». Et d’ajouter : « À l’heure actuelle, défendre ce que dit la Déclaration universelle des droits de l'Homme est révolutionnaire. Le problème du gouvernement actuel, qu'il s'agisse du Parti populaire (principal parti de droite, NDLR) ou du PSOE (Parti socialiste, NDLR), n'est pas qu'ils soient de droite ou social-libéral ou de centre gauche, c'est qu'ils ne respectent pas les droits de l'Homme. La réforme de l'article 135 de la Constitution est contraire aux droits de l'Homme : le fait que des personnes puissent être expulsées de leur logement est contraire aux droits de l’Homme, le fait que les intérêts des détenteurs de dettes et des banques passent avant ceux des familles est contraire aux droits de l'Homme, le fait que les politiques d'austérité rendent de plus en plus difficile l'exercice du droit à l'éducation ou du droit à des soins décents est contraire aux droits de l'Homme. »

Huit ans après cette déclaration, on peut se demander si les choses ont beaucoup changé dans la gestion de cette nouvelle crise, qui semble une fois de plus permettre à une minorité de privilégiés de continuer à s'enrichir de manière indécente. Examinons quelques chiffres : 57 797 millions d'euros de bénéfices pour les entreprises de l'IBEX 35 (principal indice boursier de la bourse de Madrid, NDLR), soit 83,5 % de plus qu'en 2019, tandis que les secteurs de la construction, de la banque et de l'énergie sont ceux qui se sont le mieux remis de la pandémie, stockant respectivement 17 783 millions, 21 600 millions et 10 166 millions en 2021, doublant, triplant et même quadruplant leurs bénéfices pendant la crise sanitaire. Les propriétaires des cent plus grandes fortunes d'Espagne sont aujourd'hui plus riches de 5 375 millions d’euros qu'avant le COVID, ajoutant, selon le magazine Forbes, 153 575 millions d'euros et augmentant leur richesse de plus de 17,5 % depuis 2020. Cela a été rendu possible sous le gouvernement qui est supposé être le plus progressiste de l'histoire, et avec Pablo Iglesias comme deuxième vice-président.

Si nous nous concentrons sur les indicateurs dont Pablo Iglesias parlait en 2014 pour déterminer si un gouvernement va ou non à l'encontre des droits de l'Homme, nous pouvons dire sans risque qu'aujourd'hui l'article 135 de la Constitution continue d'asphyxier nos services publics, que les expulsions ont explosé de 57 % en 2021, le chiffre le plus élevé depuis cinq ans, et que les intérêts des détenteurs de dettes et des banques sont toujours clairement au-dessus des intérêts des ménages. Et comme si tout cela ne suffisait pas, non seulement les politiques d'austérité n'ont pas été inversées, mais les dépenses d'éducation et de santé ont diminué en 2022 pour la deuxième année consécutive et l'âge de la retraite reste à 67 ans, tandis que les dépenses de défense augmentent cette année d'environ 1 milliard d'euros.


Avec Sumar, c'est toujours pareil

La nouvelle plateforme présentée cet été par Yolanda Díaz ne répond à aucun changement d'orientation politique par rapport à Podemos. Cela reste essentiellement le même projet politique avec quelques changements cosmétiques pour tenter de mieux affronter la nouvelle période électorale. Alors que les sondages prédisent une chute pour la « force violette » (la couleur de Podemos, NDLR), il est indispensable de fabriquer un nouveau mécano pour tenter de rester dans le paysage politico-électoral. Et pour cela, rien de mieux que de peu parler de l'orientation d’Unidas Podemos (la coalition de Podemos et du Parti communiste, NDLR) dans le gouvernement de Sánchez et de beaucoup se concentrer sur ce qui aurait été le problème jusqu'à présent : les luttes internes et fratricides causées par une façon « dépassée » de faire de la politique. Mais il ne faut pas que l’arbre cache la forêt.

Lors de la présentation de Sumar, Yolanda Díaz a fait preuve d'une forte dose de cynisme. En essayant de nous expliquer à quoi sert la politique, la deuxième vice-présidente du gouvernement n'a pas hésité à dire que « la politique, c'est des choses simples : c'est avoir un système de santé publique de qualité dans lequel nous ne devons pas attendre un an pour un examen médical, c'est avoir des écoles publiques de qualité pour nos enfants afin que nous soyons égaux, c'est avoir un salaire décent, pouvoir payer un logement décent, qui est un droit fondamental, c'est ça la politique ». Une belle déclaration d'intention qui ne sert à rien si l'on observe simplement comment les prix et les loyers augmentent bien au-delà des salaires et comment la santé et l'éducation privées continuent de saper nos services publics. Et comme si tout cela ne suffisait pas, lorsque les travailleurs décident de se mobiliser pour une augmentation des salaires, la réponse de ce gouvernement est la répression au son des tanks et d’une loi du bâillon qui n'a jamais été abrogée1.

Le problème de Yolanda Díaz est essentiellement le même que celui de Pablo Iglesias. Ils n'ont pas été et ne sont pas disposés à affronter les intérêts des plus riches. Certains pourraient penser que les dernières mesures de juillet réfutent cette affirmation. Rien n'est plus faux. L'aide directe aux personnes les plus touchées par la crise se limite à la gratuité des cartes de transport Renfe et Cercanías et à une augmentation de 100 euros des subventions, toutes deux uniquement pour les quatre derniers mois de cette année. Cela représentera un léger soulagement temporaire pour ceux qui finiront par bénéficier de cette mesure, mais sans rien changer au problème de fond. Quant aux deux mesures supposées plus importantes, les taxes temporaires sur les banques et les entreprises du secteur de l'énergie, elles doivent encore être finalisées et risquent fort d'être immédiatement répercutées sur les usagers. Une chose que le gouvernement Sánchez n'est pas prêt à éviter, ni en contrôlant les prix, ni a fortiori en nationalisant des secteurs stratégiques. C'est le problème fondamental de ce gouvernement et de ceux qui le composent, qu'ils s'appellent Pablo Iglesias, Alberto Garzón ou Yolanda Díaz. Et comme ils ne veulent pas le faire, ils construisent des outils politiques qui ne cherchent pas à intensifier la mobilisation et le conflit social dans les rues, sur les lieux de travail et d’études pour améliorer les conditions de vie des travailleurs et des jeunes, et pour s’en prendre aux intérêts de ceux d’en haut. Nous avons déjà vu ce qui s'est passé avec les cercles Podemos, qui ont rapidement cessé d'exister et dont la vocation n'a jamais été d'être des cadres d'intervention politique, mais plutôt des cadres activés lors des campagnes électorales.

Podemos et maintenant Sumar ne visent qu'à atteindre des positions institutionnelles pour gérer le système capitaliste... avec une légère différence, bien sûr. Aujourd'hui, Sumar ne prétend même plus être autre chose que la béquille du PSOE dans un gouvernement de coalition. L'époque du « sorpasso » (l’objectif de dépasser le PSOE, NDLR) est révolue depuis longtemps et Yolanda Díaz l'accepte pleinement. Elle se sent apparemment « très à l'aise » dans le gouvernement Sánchez, malgré l'OTAN et le massacre d'immigrants à la frontière de Melilla. Quant à la création d'une plateforme politique pour renforcer et accompagner les mobilisations existantes et celles à venir (à ce jour, il y a déjà eu 47 % de travailleurs en grève de plus que l'année dernière), Yolanda Díaz le précise également dans la présentation de Sumar : « La politique, c'est écouter, écouter et écouter très calmement (…) La politique consiste à tendre la main et, après avoir écouté et dialogué, à être capable de conclure des accords, et pour quoi faire ? Pour changer la vie des gens. » Il n'est pas surprenant que la CEOE (équivalent du MEDEF, NDLR) elle-même se soit montrée très positive à l'égard de l'entrée de Yolanda Díaz dans le gouvernement, déclarant qu'il s'agissait d'une « bonne nouvelle qu'une personne qui valorise le dialogue social soit entrée dans les hautes sphères du gouvernement ».


Nous ne pouvons rester immobiles

La sympathie suscitée par Yolanda Díaz dans des secteurs importants du PSOE répond au fait qu'ils savent que pour continuer à gouverner ils auront besoin que l'espace électoral représenté aujourd'hui par Unidas Podemos ne disparaisse pas, car le PSOE n'est pas en mesure d'absorber tous ces votes. L'enjeu est de consolider une gauche à la gauche du PSOE qui évite une augmentation de l'abstention, mais reste subordonnée à Pedro Sánchez dans le but de former une nouvelle coalition gouvernementale. C'est la seule façon possible pour ce dernier de continuer à occuper la Moncloa (résidence du président du gouvernement, NDLR), car le PSOE est loin d'avoir la majorité absolue.

Cette ingénierie électorale ne sert et ne servira pas à répondre aux conséquences de cette énième crise, qui voit les licenciements et les prix s'envoler sans aucune augmentation des salaires, tandis que les guerres inter-impérialistes s'intensifient et que les effets désastreux du changement climatique deviennent chaque jour plus palpables. Pour changer nos vies et cette réalité, il faudra bien plus que de la plomberie institutionnelle et une simple proposition de gestion « amicale » du système capitaliste. Sinon, la voie continuera d'être ouverte à la droite et à l'extrême droite, tandis que les conditions de vie continueront de se dégrader.

Les organisations politiques, les syndicalistes et les militants qui posent ce diagnostic ont la responsabilité de converger et de proposer une autre feuille de route. Les explosions sociales dans des pays comme le Sri Lanka ou le Bangladesh, en lutte contre la hausse exorbitante des prix, ne sont qu'un avant-goût de ce qui pourrait arriver en Europe également, comme cela s'est déjà produit lors de la crise de 2009 avec les révolutions du monde arabe, prélude à un cycle de mobilisations très intenses dans l'État espagnol lui-même.

Ceux d'entre nous dont la boussole est d'imposer un programme d'urgence sociale par le biais de la mobilisation et de la grève, indépendamment de qui gouverne ou dirige les organisations syndicales, ont la responsabilité de converger et de rassembler tous ceux qui descendent dans la rue pour les services publics, les retraites, le droit au logement, l'augmentation des salaires ou les droits démocratiques, en partant du principe que défendre ces questions signifie en pratique se confronter aux intérêts de ceux qui ont le plus. Est-il possible d'augmenter les salaires au même niveau que le coût de la vie sans affronter les intérêts des patrons ? Ou de lutter contre le changement climatique sans affronter les cent entreprises qui, à elles seules, sont responsables de 71 % des émissions de gaz à effet de serre depuis 1988 ?

IZAR propose à toutes les forces politiques, indépendamment de leur tradition historique, à tous les secteurs syndicaux, à tous les militants qui défendent cette perspective, de chercher des formules de coordination afin d'intervenir conjointement dans la situation politique actuelle pour apporter des réponses unies au niveau de tout l'État, en maintenant la délimitation politique exposée dans cet article.


Article publié sur le site izar-revolucion.org, le 30 septembre 2022


1. La loi de protection de la sécurité publique, dite « loi bâillon », adoptée en 2015, est considérée par Amnesty International et Human Rights Watch comme une menace pour le droit de réunion et la liberté d'expression, NDLR.