« Un enfant si je veux, quand je veux ! »

Les enjeux de la lutte pour l’IVG et les droits reproductifs des femmes

Le projet du gouvernement espagnol visant à supprimer droit à l’avortement illustre à nouveau l’offensive politique de la droite conservatrice. Mais cette agression n’est rendue possible que par la crise profonde du mouvement féministe en Europe et dans le monde.

L’IVG en danger dans le monde

La décision de la Cour suprême des États-Unis en date du 13 janvier 2014 – selon laquelle l’interdiction de l’IVG ou la réduction de son délai à moins de 20 semaines sont inconstitutionnelles – ne peut faire oublier les fermetures massives de centres d’IVG dans ce pays, ni le fait que dans 24 de ses États l’IVG ne soit pas remboursé par la sécurité sociale et que dans neuf d’entre eux les mutuelles aient interdiction de le faire. Ni les coupes budgétaires ayant éliminé les aides aux organisations humanitaires du Tiers-monde favorables au droit à l’avortement ou au développement des méthodes contraceptives.

En décembre 2013, au parlement européen, une majorité de députés a rejeté le rapport Estrela sur « la santé et les droits reproductifs et génésiques » (qui préconisait la reconnaissance au niveau de l’Union européenne des droits à l’avortement et à la contraception, à la PMA, à l’éducation sexuelle) au motif que ceux-ci relèveraient « de la compétence des États membres ». Nouvelle expression de l’influence des lobbies pro-vie, formés notamment par l’appareil mondial de l’Église catholique – avec au premier rang le pape François – et les intégristes de toutes les religions. C’est dans ce cadre que Rajoy a cru – à tort – qu’il pourrait regrouper la droite espagnole autour de son projet réactionnaire.

Conscientes que si ce projet était adopté, il ouvrirait la voie à des remises en cause des droits de femmes dans toute l’Europe, des milliers de femmes se sont mobilisées à travers l’Union européenne. L’immense manifestation du 1er février à Madrid, celles qui se sont tenues à Paris et dans 40 villes de France, dans les plus grandes villes d’Italie, à Amsterdam, à Londres, à Edinbourg et à Istanbul ont étés suivies le 8 février par d’autres manifestations à Madrid, Barcelone, Santander, León, Séville et Logroño en Espagne, ainsi qu’à Lisbonne et Dublin. En Espagne, les initiatives se multiplient un peu partout. L’objectif est qu’il ne se passe pas une semaine sans initiative de mobilisation. Le 8 mars, une grande manifestation est à nouveau convoquée à Madrid, avec un appel à réitérer le 1er février dans toute l’Europe.

Ces mobilisations montrent qu’en Espagne et ailleurs, surgit une nouvelle génération de femmes prête à défendre ses droits et qui comprend que sa lutte transcende les frontières. 

Parce que le droit à l’IVG est une question qui concerne directement l’ensemble des femmes, en particulier celles des milieux populaires, les mobilisations de soutien aux femmes espagnoles peuvent aider à relancer en France, sur des bases populaires, un mouvement féministe aujourd’hui divisé et bancal. Mais à condition de faire le lien entre leur lutte et la nôtre. Nous ne sommes pas au côté des femmes espagnoles uniquement pour une question de solidarité. Nous sommes à leur côté parce que nous avons devant nous une lutte pour que notre propre droit à l’avortement devienne un droit à part entière.

Et aussi en France

Ici, le danger n’est pas l’interdiction ou la restriction légale du droit à l’avortement. Même les dirigeants de l’UMP ont déclaré que le projet de certains de leurs députés, proposant le déremboursement de l’IVG, était déplacé. Mais il faut être conscient que, comme le dit dans son rapport le Haut-conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, « l’IVG demeure un droit ‘‘à part’’, non consacré expressément par les textes juridiques comme l’expression d’un droit » [1].

Ce rapport fait une série de critiques et recommandations, dont la seule qui a été retenue par le gouvernement est l’élimination du texte de loi du mot « détresse ». Sa conclusion est que le vrai danger pour l’accès à l’IVG provient d’une série d’obstacles objectifs et subjectifs qui limitent son plein exercice. Certains ont à voir avec la vision que la société porte sur les femmes qui avortent, d’autres sont inhérents à la loi Veil, d’autres encore découlent des plans d’austérité initiés par Sarkozy et poursuivis par Hollande.

a) La culpabilisation des femmes qui avortent. L’avortement est devenu un événement assez commun dans la vie d’une femme : près d’une femme sur trois aura au cours de sa vie recours à l’IVG. Pourtant, les anti-avortement – mais pas seulement eux – accusent les femmes qui avortent d’utiliser l’IVG comme méthode de contraception, ou de ne pas être assez attentives dans l’utilisation des méthodes contraceptives. Pourtant, sur les 220 000 femmes qui avortent chaque année en France, seules 3 % ne disposent d’aucune contraception et les deux tiers sont sous contraceptif régulier.

b) Les limites de la loi Veil. Il y a aussi des restrictions issues de la loi Veil, que le rapport cité dénonce, mais que le gouvernement PS se refuse à éliminer.
  • La semaine de réflexion : la période de 12 semaines de grossesse pour pratiquer l’IVG est déjà une des plus courtes en Europe. De plus, aux délais d’attente – parfois importants – s’ajoute le « délai de réflexion », pendant lequel la femme doit réfléchir sur le fait de savoir si elle veut vraiment avorter. Cette mesure stigmatisante n’existe pas dans nombre d’autres pays européens comme le Danemark, la Norvège, la Suède, la Suisse, l’Autriche ou l’Angleterre.
  • Les 12 semaines qui deviennent 10 : dans certains régions, des femmes se voient dénier l’IVG par des établissements qui refusent de le pratiquer au-delà de 10 semaines de grossesse, ce qui les oblige à se rendre dans d’autres régions ou à l’étranger.
  • La clause de conscience : Elle permet aux médecins de refuser non seulement de pratiquer des IVG, mais aussi de remettre aux femmes l’attestation de première consultation. Les femmes voulant avorter sont donc contraintes de prendre rendez-vous avec un autre médecin. Si l’on ajoute le fait que 37 % des gynécologues, pour beaucoup des militants/es pro-avortement, partiront à la retraite dans les quatre ans qui viennent, sans que des mesures aient été prises pour former des personnels capables de leur succéder, on voit bien que l’avenir de l’IVG est compromis.
c) La loi Bachelot. Le rapport du Haut-conseil est éloquent quant aux conséquences de la loi HSPT, plus connue sous le nom de loi Bachelot : « Les restructurations, en particulier des maternités, menées dans le cadre de la réforme portée par la loi du 21 juillet 2009 dite ‘‘Hôpital, patients, santé et territoire’’ ont abouti à la fermeture de nombreux établissements publics. Les maternités de petite taille faisaient pourtant souvent figure de bonnes élèves, notamment en termes de pratiques innovantes ; elles ont toutefois été fermées pour des questions de rentabilité financière, au détriment donc d’une prise en charge de qualité pour les femmes. La maternité des Lilas, pionnière en matière de prise en charge de la maternité mais aussi des IVG et dont l’avenir n’est aujourd’hui pas assuré, est un parfait exemple des conséquences actuelles des restructurations qui diminuent l’offre de soins en matière d’IVG. Alors que la demande reste stable, cette diminution de l’offre de soins a conduit à une très forte concentration de la pratique de l’IVG sur les établissements restants : 5 % des établissements réalisent 23 % des IVG. »[2]

Plus de 130 centres d’IVG ont été fermés sur tout le territoire. Il y a de vrais déserts médicaux, notamment en milieu rural. Tant que la loi Bachelot ne sera pas abrogée, les maternités et les centres d’IVG seront les premiers services hospitaliers à être fermés.

Le collectif du 1er février

Les femmes françaises ont été les premières à réagir en Europe. Le 27 décembre 2013 avait lieu la première mobilisation face à l’ambassade d’Espagne. Quelques jours plus tard, un collectif unitaire était organisé à l’initiative du Planning familial, de l’ANCIC (médecins), de la CADAC et du Collectif Tenon. Tout au long du mois de janvier, une cinquante de femmes issues des forces appelantes, de la Marche mondiale des femmes, de la Maison des femmes et de différentes organisations féministes et LGBTI se sont attelées à préparer la manifestation du 1er février, répondant à l’appel des féministes espagnoles.

Travailler ensemble, harmoniser les points de vue n’a certes pas été simple. Les féministes jeunes et moins jeunes attachées à une méthode de travail collective et au respect des décisions prises en commun ont dû s’affronter à des représentantes du vieux mouvement féministe, habituées à imposer leurs positions, même quand elles sont contraires aux décisions prises en l’assemblée, en utilisant leurs liens avec les appareils de la gauche politique (PCF, PG). Mais la dynamique apportée par des secteurs nouveaux a, dans une certaine mesure, empêché que la vieille direction contrôle totalement le collectif unitaire. Le résultat en a été la plus grande manifestation féministe dans notre pays depuis de longues années.

Le 11 février s’est tenue une réunion de bilan et de perspectives. Encouragée par le succès de la manifestation, la résistance aux méthodes bureaucratiques s’est exprimée à travers les membres du Collectif Tenon, de secteurs du Planning familial et de la Marche mondiale des femmes, ou encore la représentante de l’Alternative libertaire.

Pour la première fois ont pu être discutées des mesures qui, si elles étaient mises en application, rendraient le mouvement plus démocratique. On a également pu y débattre de propositions afin de poursuivre la lutte, comme le travail lancé par l’ANCIC et le Planning familial pour faire inclure le droit à l’avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux, ou une proposition du Collectif Tenon consistant à organiser un événement européen à Paris qui, en s’appuyant sur les mobilisations en Espagne et en Europe, ferait converger les féministes de tous ces pays pour discuter d’initiatives européennes afin de défendre et faire progresser le droit à l’IVG.

Cela n’a malheureusement pas été suffisant pour éviter que la vieille direction ne tente de reprendre la main, en lançant seule une manifestation pour le 8 mars qui divise le mouvement et en laissant l’activité du collectif unitaire sans continuité.

Face à cette situation, le Collectif Tenon a lancé un appel aux signataires de la manifestation du 1er février, à se réorganiser sur la base des méthodes démocratiques accordées lors de la réunion du 11 février, et à commencer à préparer les initiatives qui y ont été décidées. Une réunion est convoquée à cet effet pour le 11 mars.

Et maintenant ?

La première tâche est aujourd’hui de convaincre les camarades qui sont parties, démoralisées, ou qui sont sur le point de partir, qu’il vaut la peine de mener la bataille pour la démocratie au sein du collectif unitaire, en vue de construire un nouveau mouvement féministe. Ce mouvement ne pourra surgir que d’une synthèse entre les jeunes et les moins jeunes qui seront disposées à construire sur une base démocratique et unitaire afin de regrouper largement les femmes, en particulier celles des milieux populaires qui sont les premières à souffrir des restrictions posées au droit à l’avortement.

Le fait qu’il y ait le 8 mars à Paris, pratiquement à la même heure, deux manifestations différentes, dont les textes d’appel paraissent compatibles, est une chose incompréhensible pour toute personne normale. Surtout au moment où les féministes espagnoles appellent à répéter, ce jour-là, les manifestations du 1er février dans toute l’Europe.

Le mouvement féministe organisé reste dans notre pays en décadence, divisé sur des questions (prostitution, voile islamique) qui n’ont rien à voir avec les préoccupations de la grande majorité des femmes, alors même que la possibilité existe – comme le 1er février l’a montré – de construire un nouveau mouvement sur des bases de masse. Mais pour cela, il faut aussi ne pas refuser de s’affronter au gouvernement. On ne peut pas fermer les yeux devant les limitations au droit à l’avortement que le gouvernement Hollande impose de façon croissante, ni devant sa capitulation sur la PMA devant l’ordre moral réactionnaire.

Défendre les droits reproductifs des femmes

L’unité du mouvement féministe ne pourra se réaliser que sur la base d’un combat large en défense des droits sexuels et reproductifs de toutes femmes.

Car ce sont elles qui, en ayant ou non des enfants, assurent la reproduction de l’espèce humaine. C’est cela qui est totalement intolérable aux yeux des réactionnaires (et pas seulement des réactionnaires) qui se sentent agressés dans leur "masculinité".

Le mot d’ordre « Un enfant quand je veux, si je veux » décliné par ce nouveau mouvement naissant implique que la défense du droit à l’IVG et celle du droit à la PMA pour toutes les femmes, quelle que soit leur orientation sexuelle, font partie de la même lutte. C’est le point de départ et d’unité pour ce nouveau mouvement féministe qui devra, afin de s’affirmer et se développer, articuler et respecter les positions et préoccupations de toutes les organisations et associations partie prenante.

Abrogation de la loi Bachelot ! 
Non à la fermeture des maternités et des centres d’IVG ! 
Droit à l’avortement libre et gratuit ! 
Libre accès à la PMA pour toutes les femmes qui le demandent !

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Notes
[1] « Rapport relatif à l’accès à l’IVG », volet 2, « Accès à l’IVG dans les territoires » : Rapport n° 2013-1104-SAN-009 publié le 7 novembre 2013, page 5.
[2] Idem, page 51.

Lettre d'information du courant n° 3
25 février 2014