D’avril à juin 1994, 800 000 Rwandais tutsis étaient massacrés par le régime au pouvoir, allié de la France. Vingt ans après, Hollande décidait de boycotter les commémorations à Kigali. Il s’indignait des propos du président rwandais Paul Kagamé dans Jeune Afrique, invoquant « le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même. » Les faits sont pourtant accablants.
Avant le génocide
Depuis 1975 la France soutenait la dictature, ouvertement raciste contre la minorité tutsie, de Juvénal Habyaramana. En 1990, pour sauver le régime, le président Mitterrand décidait « l’opération Noroît » et envoyait un contingent militaire français, des fournitures d’armes massives et 80 conseillers militaires pour encadrer l’armée rwandaise. Le régime intensifiait alors sa propagande anti-tutsie haineuse et commençait la planification d’un massacre de masse. En octobre 1990 des milliers de personnes, tutsies ou liées à des tutsies, étaient arrêtées, torturées, exécutées. Le 13 octobre l'ambassadeur Georges Martres informait l’Elysée que « les paysans hutus organisés par le MRND [parti du président] ont intensifié la recherche des Tutsis suspects dans les collines. Des massacres sont signalés dans la région de Kibilira. » En 1993, l'ambassadeur écrira que le chef de l'État rwandais a intimé « l'ordre de procéder à un génocide systématique en utilisant, si nécessaire, le concours de l'armée et en impliquant la population locale dans les assassinats. » Le 18 février 1993, la DGSE note à propos de « véritables massacres ethniques » en cours : « il s'agirait d'un élément d'un vaste programme de purification ethnique dirigé contre les Tutsis. »
Pourtant l’aide militaire, financière et diplomatique française s'est accentuée. La France n’est pas « aveugle » ou « piégée » par un allié vicieux et dissimulateur. Ses dirigeants sont informés. Les soudards français sont en contact permanent et fraternel avec les assassins. Avec quel degré de complicité ?
Pendant le génocide
En mai 1994 Mitterrand et Balladur lancent l’opération, dite « humanitaire », Turquoise. L’armée française ne sauve à peu près personne, mais crée une « zone tampon » au sud-ouest du pays qui bloque l’avancée des forces rebelles et sauve les derniers débris du régime génocidaire.
Après le génocide
La France a-t-elle vraiment changé sa politique africaine ? L’a-t-elle moralisée, civilisée ? De 1995 à 1997, elle barbouze dans la guerre qui déchire le Zaïre, elle est la dernière à lâcher Mobutu, puis elle prend sa revanche en 1998, au Congo-Brazzaville : Elf et le gouvernement français (président Chirac, premier ministre Jospin) aident le dictateur Sassou Nguesso à reprendre le pouvoir au prix d’une guerre civile sanglante. L’ami de la France « nettoie » les zones peuplées par des ethnies supposées favorables à ses adversaires. Des dizaines de milliers de morts…
Alors certes, l’État français n’a pas décidé de massacrer près d’un million de personnes au Rwanda. Mais il a toujours réagi, en réadaptant ses moyens, pour défendre sa zone d’influence africaine. Mitterrand a osé le dire : « dans ces pays-là, un génocide ça n’a pas trop d’importance ». Le vieux politicien socialiste raciné dans l’extrême-droite nous dit tout à la fois que « les Noirs on s’en fout » et qu’après tout, là-bas, on peut bien tremper dans toute sorte de crimes. Pour la juste cause de l’impérialisme français.
Le génocide rwandais est secret défense en France, dans la classe politique, dans les médias. On sacrifie au mythe d’une France innocente, qui aurait eu la grandeur d’intervenir, hélas un peu tard, mais la première. On accepte à la rigueur d’entendre que la France fut un peu cynique, ou très aveugle. On peut alors revenir, tranquillement, à la bonne conscience coloniale et raciste, et se désoler de l’incompréhensible sauvagerie des Africains-qui-se-massacrent-entre-eux. La politique de la France, l’impérialisme, peut continuer avec le même cynisme.
Que veut dire alors cet acharnement des actuels dirigeants socialistes de la France à nier et donc à endosser ces crimes ? Ce fanatisme de Valls, qui aboie dans son discours d’investiture à l’assemblée : « je n’accepte pas les accusations injustes, indignes, qui pourraient laisser penser que la France ait pu être complice d’un génocide au Rwanda, alors que son honneur c’est toujours de séparer les belligérants » ? Leur fidélité à la tradition coloniale de la France. Leur stricte identité avec la droite en matière d’impérialisme. Leur volonté commune de défendre encore et toujours les intérêts de la bourgeoisie française à travers le monde.
Le génocide rwandais n’est donc pas un « tragique accident ». C’est un révélateur terrifiant de la nature de l’appareil d’État français et de la classe politique qui s’y identifie.
Yann Cézard
dans la revue de L'Anticapitaliste n° 54 (mai 2014)