Brésil : les mobilisations et la gauche révolutionnaire

Le Brésil apparaît comme l’un des pays les plus inégalitaires. L’écart entre la minorité privilégiée et la majorité appauvrie est l’un des plus importants de la planète. La majorité de la population n’a pas accès à des services de transport, de santé et d’éducation décents. Les paysans qui arrivent en ville s’entassent dans les favelas. A cela s’ajoutent la corruption et un racisme d’État très violent.

Un gouvernement à bout de souffle

Les politiques libérales sont menées dans ce pays par le Parti des travailleurs (PT), au pouvoir depuis 12 ans. Ce gouvernement, à l’origine issu du mouvement social, s’est très vite mis au service du système capitaliste et soumis aux intérêts de la bourgeoisie. Les organisations syndicales se sont retrouvées liées au gouvernement, ce qui a entraîné des ruptures et notamment la création de la Central sindical e popular-Conlutas (CSP-Conlutas) en 2010, centrale syndicale indépendante du gouvernement.

La Coupe du monde de football qui s'est récemment tenue au Brésil est un véritable scandale : 11 milliards d'euros dépensés par l’État dans la construction des stades alors qu’il réduit de 6 milliards les dépenses publiques. Plus grave encore, une dizaine de travailleurs sont morts pendant les travaux de la Coupe du monde du fait de leurs conditions de travail…

Le rôle des luttes de la jeunesse

En juin 2013, ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres : contre l’augmentation des prix des transports, la jeunesse est sortie dans la rue et on a assisté à des manifestations monstres de plusieurs centaines de milliers de personnes (avec une manif de plus d'un million de participants répartis dans 438 villes du pays). Cela a débouché dans certaines villes sur un recul de l’augmentation des tarifs. Mais la colère qui s’est exprimée dans ce mouvement était bien plus profonde : les jeunes et les travailleurs se sont aussi battus pour l’investissement dans des services publics de qualité, accessibles à tous, et pour leurs salaires et conditions de travail.

La jeunesse, en tête du mouvement, s’est directement inspirée des processus révolutionnaires en Tunisie et en Égypte avec des occupations de places, des indignés en Europe et également de la révolte en Turquie autour de la place Taqsim… Elle a joué un rôle de trait d’union entre les différentes luttes.

Cette mobilisation a surtout embrassé les couches urbaines ou scolarisées de la jeunesse. Les jeunes pauvres des favelas ont peu participé au mouvement. Mais en descendant dans la rue, la jeunesse a redonné confiance et a montré la voie à suivre aux travailleurs. Partout dans le pays, ce sont les enseignants, éboueurs, employés communaux, travailleurs des banques, des universités, ouvriers du bâtiment, chauffeurs de bus, ouvriers de l’automobile, travailleurs du métro, etc., qui à leur tour se sont mis en grève à partir du début de l’année. La jeunesse, cette couche sociale particulière qui n’a pas le poids des défaites passées, a donc joué un rôle d'entraînement du monde du travail dans l'action.

La grève des balayeurs de Rio : des méthodes de lutte exemplaires

Parmi les nombreuses grèves du monde du travail, il y a celle, victorieuse et exemplaire, des balayeurs de Rio. Ils font partie de la couche la plus exploitée des travailleurs d’État, touchent des salaires de misère (moins d’un tiers du salaire nécessaire pour vivre au Brésil) et travaillent dans des conditions extrêmement pénibles. En mars, pendant le carnaval de Rio, ce sont des centaines de travailleurs qui ont décidé de se mettre en grève pour lutter pour leurs conditions de travail et l'augmentation de leurs salaires. Ils se sont d’abord retrouvés seuls face à leur direction syndicale qui a refusé de déposer un préavis de grève, face aux médias qui les ont qualifiés d’irresponsables, face à la justice qui a déclaré la grève illégale, et enfin face à la mairie qui n’a pas hésité à utiliser la répression et a commencé par licencier 300 d’entre eux puis, au bout de quelques jours, un millier ! Mais ils n’ont rien lâché et ont réussi à gagner le soutien de la population. Les balayeurs ont montré au monde entier devant les caméras que, sans eux, le carnaval n’avait pas la même couleur. La ville était en effet devenue une véritable poubelle.

Les balayeurs ont eux aussi défilé fièrement, dansé et chanté des « sambas de lutte » au beau milieu des ordures du carnaval. Par leur détermination et l’auto-organisation de leur combat, ils sont arrivés à dépasser les bureaucraties syndicales. Leurs représentants étaient élus par les grévistes : les premiers de ces représentants ont été révoqués lors d’une AG quand ils ont tenté d’accepter des compromis inacceptables.

Au bout de huit jours de bataille, la mairie a ouvert les négociations. Même si les travailleurs se sont battus au départ pour des augmentations de salaires plus conséquentes, la lutte a débouché sur une série de victoires significatives : réintégration de tous les licenciés, 37 % d’augmentation de salaire, 66 % de revalorisation de leur ticket repas, paiement de toutes les heures supplémentaires avec majoration, paiement de l’ensemble des jours de grève.

Les balayeurs de Rio font partie des secteurs plus périphériques de la classe ouvrière, et pourtant ils ont joué un rôle d’entraînement dans la lutte de classe, en redonnant confiance à leur camp social. Par leur détermination et leur forme d’organisation, ils ont renforcé l’espoir en la capacité des exploités et des opprimés à se battre contre ce système et à gagner, même pour les plus exploités d’entre eux.
 
Des organisations révolutionnaires 
qui n'exploitent pas assez la situation ouverte par les luttes

Le Partido socialismo e liberdade (PSOL) est un regroupement de différentes tendances, presque toutes issues ou expulsées du PT et dont certaines développent une intervention dans la lutte des classes. Ces tendances sont actives dans le mouvement syndical, une minorité d'entre elles participant à la CSP-Conlutas – principale centrale syndicale indépendante du Brésil – et au mouvement étudiant. Le PSOL a tenu son congrès il y a peu. Le processus du congrès était particulièrement antidémocratique et rempli d'irrégularités. Ainsi, c'est la tendance la plus à droite (Unidade socialista) qui est arrivée en tête et qui dirige actuellement l'organisation. Le bloc formé par les tendances révolutionnaires (Movimento esquerda socialista – MES – et Corrente socialista dos trabalhadores – CST – « morénistes », Liberdade, socialismo e revolução – LRS – liée au Comité pour une internationale ouvrière, et Insurgencia – liée à la Quatrième internationale-« Secrétariat unifié ») et une série de courants locaux et d'individus a obtenu, malgré les fraudes, environ 48 % des voix. Dans le parti réel, sans les fraudes, cette gauche est cependant nettement majoritaire.

L’autre organisation de la gauche révolutionnaire au Brésil est le Partido socialista dos trabalhadores unificado (PSTU), qui est une organisation très investie dans le mouvement ouvrier. Le PSTU assure la direction de Conlutas. Il dirige plusieurs syndicats nationaux, entre autres les syndicats des travailleurs métallurgiques de l’ABC – le noyau de l’industrie métallurgique brésilienne autour de São Paulo – avec leur dirigeant syndical Zé Maria, qui sera leur candidat aux élections présidentielles d’octobre 2014. La candidate à la vice-présidence sera Cláudia Durans, une femme noire, dirigeante du syndicat des instituteurs.

La question politique de fond est de savoir ce qui va se passer en octobre, dans trois mois, au moment des élections présidentielles. Le PT est très discrédité après les mobilisations, et la situation reste ouverte. La gauche révolutionnaire ira pourtant divisée aux élections : le PSOL d’un côté et le PSTU de l’autre. Lors du dernier congrès du PSOL, l'aile droite du parti avait imposé la candidature à la présidentielle du sénateur réformiste et corrompu, Randolfe. Mais face à des sondages catastrophiques, ainsi qu'à la résistance d'une majorité des militants du parti, elle s'est résignée à accepter son remplacement par Luciana Genro, ex-députée et dirigeante de l'une des tendances de gauche, le MES.

L’appel à une candidature commune PSOL-PSTU lancé par des tendances minoritaires de gauche du PSOL, contradictoire avec la politique de la direction de leur parti, n’a pas été entendu. Les responsabilités sont partagées mais il n'y aura donc pas de pôle révolutionnaire aux élections malgré une élévation du niveau dans la lutte des classes qui impose des responsabilités plus importantes pour les révolutionnaires.