Depuis quelques années, le principal débat qui traverse les Rencontres internationales de jeunes est celui sur le parti. Cette discussion entremêle les questions d'orientation, de la stratégie révolutionnaire aujourd’hui, et les expériences concrètes de construction de regroupements larges qui se sont déroulées depuis une vingtaine d'année partout à travers le monde, sous l'impulsion de l'orientation adoptée par la Quatrième Internationale (QI) à son congrès mondial en 1992 et résumée par le triptyque : « Nouvelle période, nouveau programme, nouveau parti ».
Pour sérier la discussion, nous nous concentrerons ici sur les expériences qui se sont déroulées à l'échelle européenne.
Des sections européennes de la Quatrième internationale en crise
Pendant longtemps, le camp n'a que peu discuté du bilan des positionnements politiques des partis larges dans lesquels étaient engagées de nombreuses sections de la QI en Europe. Les premières discussions ont commencé à émerger en 2006, après que les camarades de Sinistra critica se sont retrouvés dans une situation où leur sénateur élu dans le cadre de Rifondazione comunista avait voté pour la confiance au gouvernement Prodi (social-démocrate italien) et par là même, le vote se faisant en une fois, pour les crédits finançant la guerre en Afghanistan dans laquelle le gouvernement italien était embarqué.
Depuis, les partis larges dans lesquels sont impliquées de nombreuses sections de la QI se sont illustrés par des votes dans les parlements nationaux qui soutenaient les gouvernements bourgeois et leurs politiques. C'est le cas du Bloc de gauche au Portugal, qui a soutenu le plan « d'aide » à la Grèce décidé par le gouvernement portugais et qui avait comme contrepartie le premier plan d'austérité drastique qui s'est abattu sur les travailleurs du pays en 2009. L'argument des camarades était qu'il ne fallait pas jouer la politique du pire. En effet, mieux valait un plan d'ajustement via l'Union européenne (UE) que via le FMI, qui était l'autre option discutée par la bourgeoisie à l'époque. L'UE étant présentée comme plus démocratique... Les camarades de l'Organisation des communistes internationalistes de Grèce (OKDE-Spartakos) avaient écrit une lettre à la section portugaise pour exprimer leur désaccord et la nécessité d'au moins discuter. Un courrier toujours sans réponse.
L'Alliance rouge-verte au Danemark a également voté le budget national danois à plusieurs reprises, soutenant donc la politique du gouvernement en place. Pour le premier vote, l'argument du « pragmatisme » était utilisé à fond : le budget soumis ne contenait certes aucune avancée, mais il ne contenait à l'époque aucune coupe budgétaire non plus. Encore une fois, il fallait éviter la politique du pire. Par la suite, les camarades de la QI ont été minoritaires dans l’Alliance rouge-verte sur la question du vote du budget.
Il ne s'agit pas ici d'établir une liste de trahisons successives devant en soi démontrer quelque chose. Mais ces épisodes ne sont pas anecdotiques et ne peuvent pas être ignorés. Il s'agit donc de tirer le bilan de ces expériences car aujourd’hui la plupart des sections européennes de la QI sont en crise. À l'image des camarades italiens qui se sont séparés en deux organisations distinctes – Sinitra anticapitalista et Solidarietà internazionalista –, cette dernière ayant fait le choix de ne plus construire un parti.
De fait, nous n'avons pas assisté à un renforcement des courants révolutionnaires, mais plutôt à une influence accrue des pressions institutionnelles sur ces partis. Au Portugal, les camarades ont même été jusqu'à prendre la décision de dissoudre la section de la QI pour se fondre dans le Bloc de gauche.
Le bilan des expériences de recomposition politique à la gauche de la gauche (Portugal, Danemark, Syriza en Grèce, etc.) montre que ce type d'organisations évolue vers une intégration au système.
Quand les « partis anticapitalistes larges » deviennent
l'horizon stratégique remplaçant les partis révolutionnaires
La dernière résolution du congrès mondial de 2010 reprend à son compte cette politique de construction de nouveaux partis anticapitalistes larges dans les termes suivants : « Construire des partis anticapitalistes larges représente la réponse actuelle que nous faisons à la crise du mouvement ouvrier et de la gauche et à la nécessité de sa reconstruction. […] Cela est vrai à l’échelle de chaque pays et à l’échelle internationale. Sur la base de l’expérience de la lutte de classes, du développement du mouvement altermondialiste, des luttes de résistance et des mobilisations anti-guerre des dix dernières années, et en particulier sur la base des enseignements tirés de l’évolution du PT brésilien, de Refondation communiste en Italie, des débats de la gauche anti-libérale française, les marxistes révolutionnaires se sont engagés ces dernières années dans la construction du PSOL au Brésil, de Sinistra critica en Italie, du Nouveau parti anticapitaliste en France, de Respect en Angleterre. Dans cette perspective, nous avons aussi poursuivi les expériences de construction du Bloco de esquerda au Portugal et de l’Alliance rouge-verte au Danemark. L’objectif commun, avec des voies différentes, est celui de larges partis anticapitalistes. Il ne s’agit pas de reprendre les vieilles formules de regroupement des seuls courants révolutionnaires. L’ambition est de rassembler au-delà des seules forces révolutionnaires. Celles-ci peuvent être un point d’appui dans ce processus de rassemblement à condition qu’elles s’orientent clairement pour construire ces partis anticapitalistes. Même s’il n’y a pas de modèle, chaque processus de regroupement tenant compte des spécificités et rapports de forces nationaux, notre objectif doit donc être de chercher à construire des forces politiques larges anticapitalistes indépendantes de la social-démocratie et du centre-gauche, des formations qui rejettent toute politique de participation ou de soutien à des gouvernements de collaboration de classes : aujourd’hui, à des gouvernements avec la social-démocratie ou le centre-gauche. C’est sur la base d’une telle perspective que nous devons nous orienter. »
De 1992 à aujourd'hui, la construction de partis larges constitue la politique de la QI pour une période longue. Les expériences sont ici mises bout à bout, du NPA à l'Alliance rouge-verte, sans tirer de réel bilan. Car plus fondamentalement, il y a un glissement de la tactique conjoncturelle de construction de partis larges vers cette politique comme seul horizon stratégique. Or tout le problème est de savoir quel est l'objectif pour pouvoir tirer les bilans appropriés. Et la politique de la QI n'est plus de savoir comment faire des pas en avant vers la construction de partis révolutionnaires, en intégrant dans cet objectif stratégique de possibles médiations tactiques. Les détours tactiques deviennent une politique sur une longue période, sans bilan permettant de réajuster l'orientation. Et le problème qu'il faut bien affronter est que du point de vue du renforcement de courants révolutionnaires capables de jouer un rôle plus fondamental dans la lutte des classes, force est de constater que la politique dite des partis larges est un échec.
Mais si les partis larges deviennent progressivement l'horizon stratégique, cela ne doit rien au hasard. Car cela sous-tend une nouvelle vision de la stratégie révolutionnaire aujourd'hui, dans les pays capitalistes avancés comme ceux d'Europe de l'Ouest. La centralité de la classe ouvrière n'est plus d'actualité et l'hypothèse de la grève générale est présentée comme une utopie. Il s'agirait plutôt de comprendre que dans des pays à longue tradition démocratique, la rupture avec le capitalisme passerait par une combinaison de luttes massives et de processus électoraux. Et l'heure est donc à construire, au travers des partis larges, de « puissants référents électoraux » comme l'indiquait un rapport présenté lors de la réunion du Bureau exécutif de la QI en octobre 2012.
On comprend donc mieux comment, avec une telle perspective stratégique, l'orientation actuelle place au centre la nécessité de la construction d'un débouché politique dont les luttes seraient orphelines, une alternative crédible un peu différente, au fond, des mobilisations. Et d'ailleurs c'est le renforcement d'une telle alternative qui permettrait de redonner confiance aux luttes, pour qu'elles gagnent. D'où les tentations de raccourcis autour des formules devant en soi poser la question du pouvoir : « opposition de gauche », « gouvernement anti-austérité ». Cela conduit à minimiser les nécessaires ruptures dans la lutte des classes, notamment avec les réformistes. Et donc au quotidien, à relativiser les divergences avec eux pour construire des perspectives politiques communes en expliquant, comme François Sabado préparant le prochain congrès du NPA, que « l'unité » avec un grand U – comprendre l'unité politique – est l'axe central de la période. Pourtant les dernières luttes, comme à la SNCF, ont montré assez clairement la nécessité d'un affrontement avec la politique des réformistes pour faire gagner les mobilisations et par là même, œuvrer à la construction d'une alternative politique qui ne peut être qu'anticapitaliste et issue des mobilisations.
L'unité – des révolutionnaires – est un combat !
La direction majoritaire actuelle du NPA est la même que celle de la QI. Les débats autour du/des parti(s) aux Rencontres internationales de jeunes sont donc particulièrement éclairants en ce qui concerne nos débats français. Car on peut toujours insister sur les différences propres à chaque pays, et il y en a, mais les dynamiques politiques ne s'arrêtent pas aux frontières nationales et les points communs sont aussi légion. Ainsi, comment ne pas comparer (et comparer n'est pas assimiler) le phénomène Syriza et celui du Front de gauche, au moins en ce que cela exprime de commun sur la résurgence d'une offre politique réformiste. Dès lors, quand les camarades de la direction de la QI ont qualifié de « faute politique » le fait que la section grecque ait fait le choix de se présenter en toute indépendance de Syriza au travers d'Antarsya, on ne peut que s'inquiéter de savoir où tout cela nous mènera.
L'enjeu est donc de rompre avec cette politique qui n'a pas sauvé le NPA de sa crise et conduit dans le mur des sections européennes.
Sans épuiser ici le débat, nous pensons que le type de parti que nous devons construire doit combiner deux éléments principaux :
- être un outil pour l'intervention dans la lutte des classes quotidienne. Cela veut dire que le centre de gravité des organisations à construire doit être les mobilisations, leur développement, leur difficulté et la politique à avoir pour les faire gagner. Cela est en lien immédiat avec une politique volontariste d'implantation et de construction dans la jeunesse et dans le monde du travail ;
- développer un profil et une perspective révolutionnaires et être totalement indépendant des gouvernements au pouvoir et des organisations réformistes.
Il ne s'agit pas de proclamer ces éléments, mais bien d'articuler de manière étroite ce profil avec une intervention quotidienne dans la lutte des classes pour faire la démonstration que pour régler les problèmes concrets des travailleurs aujourd'hui, il faut le niveau de radicalité proposé par les révolutionnaires. Cela nécessite donc une politique de front unique qui vise à mettre en mouvement nos milieux, sur des objectifs de lutte pour tenter de dépasser dans l'action les réponses des réformistes. Car comme l'expliquait Daniel Bensaïd dans Stratégie et parti, le front unique est une méthode stratégique permettant aux révolutionnaires de faire rompre les travailleurs dans les meilleures conditions possibles avec les réformistes.
Pour faire émerger un parti de ce type, le combat pour l'unité des révolutionnaires a une dimension centrale. À l'inverse de la résolution du congrès mondial de 2010, cela veut dire assumer de vouloir regrouper les révolutionnaires et mener une bataille dans ce sens. Cela implique nécessairement d'arrêter de se situer à égale distance des courants réformistes ou révolutionnaires comme le fait par exemple la direction du NPA en interpellant pour une même politique le Front de gauche ou Lutte ouvrière. Comme si la discussion avec les uns était la même qu'avec les autres, comme si les objectifs pouvaient être identiques. Il ne s'agit pas de nier les difficultés mais d'avoir une politique d'interpellation spécifique et offensive à l'échelle nationale et internationale vis-à-vis des autres courants révolutionnaires. Cela veut dire aussi mener le débat et faire des expériences pratiques communes avec tous les courants qui sont disponibles pour avancer sincèrement dans cette direction. Et il en existe, dans le NPA et dans les différents courants internationaux.
Enfin, il faut essayer de faire des pas en avant vers une recomposition des internationales issues des débats du siècle dernier et des groupes révolutionnaires qui n'existent parfois qu'à l'échelle nationale. Une première étape serait de convoquer des réunions internationales sur des bases concrètes : reconstruire la gauche anticapitaliste européenne, refaire des rencontres euro-méditerranéennes, rencontrer certains courants en Amérique latine, avec la perspective de campagnes communes immédiates. De tels cadres ne seraient évidemment pas homogènes mais permettraient au moins débuter la nécessaire discussion entre anticapitalistes et révolutionnaires sur la situation et les tâches.
L’unité des révolutionnaires, ce n'est pas simplement l'addition mécanique des groupes existants, ce qui semble impossible et sans doute bien insuffisant. L'extrême gauche aujourd'hui, dans ses contours actuels, avec ses méthodes actuelles, ne peut réellement être changée boutique par boutique. Il faut chercher à la dépasser par la fusion de ce qu’elle contient de meilleur en termes d’expérience d'intervention pratique dans la lutte de classe et d'élaboration programmatique. L'objectif est de viser la construction d'instruments plus utiles pour notre classe partout à travers le monde. Ainsi, l'unité des révolutionnaires que nous défendons est d'abord une politique dynamique à mener pour chercher à opérer une fusion de diverses traditions du marxisme révolutionnaire, pour dépasser l'existant dont on voit bien qu'il ne répond pas aux enjeux de la période.