Une crise dans une organisation aux contradictions aiguës
Nous ne reviendrons pas sur l'histoire de la CGT ; disons en deux mots que bien que, comme les autres grandes confédérations, elle soit complètement intégrée au système depuis longtemps, elle garde encore quelque chose de son passé et reste au cœur du mouvement ouvrier.
Au moment où le gouvernement veut faire passer avec la loi Macron une des pires attaques contre les salariés et le mouvement ouvrier, la crise à la CGT reflète à sa manière, tout à la fois les résistances des exploités contre les reculs sociaux et en même temps ses propres contradictions internes entre ses sommets toujours plus intégrés et une base rétive à cette intégration.
Dans cette situation, si nous savons nous appuyer sur les courants les plus lutte de classe de la CGT, en leur donnant une expression pratique contre la loi Macron, nous pourrons peser sur la situation sociale et politique générale, faire avancer la cause et la conscience ouvrière et, peut-être même, faire quelques pas vers un véritable parti ouvrier.
Une crise au double déclenchement...
L'écume médiatique a retenu que la crise actuelle a été déclenchée par des querelles de clans de bureaucrates au sommet dont il est difficile de connaître les tenants et aboutissants, tant ce qui se passe à ce niveau est opaque et ses dirigeants tous aussi pourris les uns que les autres. En fait, cette crise au sommet est latente depuis longtemps mais est devenue particulièrement visible avec la crise de succession de Thibault ; l'affaire du train de vie de Thierry Lepaon n'est que la dernière fuite ou critique publique venant d'en haut depuis cette date.
Mais si ces fuites ont eu un tel effet aujourd'hui, avec de multiples protestations de fédérations, d'UD, d'UL, de syndicats et de militants, c'est qu'il y avait un terrain favorable.
En effet, l'affaire du train de vie de Lepaon a occulté une autre contestation, publique aussi, mais moins médiatisée, qu'on a vu apparaître à partir du 13 novembre au cours des négociations entre patronat et syndicats sur le « dialogue social ». En effet, c'est la CGT qui a proposé de porter le seuil à partir duquel il peut y avoir une représentation syndicale dans les entreprises, de 11 salariés à 50 salariés. Ce qui signifierait, selon la presse, la liquidation de 90 000 délégués (tous syndicats confondus) dans ces petites entreprises. En échange de ce recul avéré, la bureaucratie syndicale pourrait disposer d'une représentation régionale externe aux petites entreprises.
Cette proposition de la CGT a provoqué un tollé dans la CGT pour ceux qui ont vu l'information.
C'était en effet la première fois dans l'histoire de ce syndicat qu'il prenait l'initiative d'un recul d'une part aussi important, d'autre part concernant directement l'affaiblissement du syndicat. Il a déjà accepté et signé bien des reculs mais en prendre l'initiative était un fait nouveau.
De plus, jusqu'en septembre, la CGT jurait qu'elle défendrait bec et ongles le droit à la représentation syndicale dans les petites entreprises. Il n'y avait pas un site internet d'une UL ou UD qui ne portait pas en première page la dénonciation de cette attaque contre les « seuils sociaux ».
Puis, l'affaire du train de vie de Lepaon, a recouvert dans les médias et les déclarations des sommets bureaucratiques, cette contestation contre la politique de collaboration de classe de la confédération, autrement dangereuse.
Mais c'est pour ça que dans de nombreuses protestations, on trouvait avec la dénonciation du train de vie de Lepaon, celle de la suppression des seuils sociaux en même temps qu'une volonté de retour à une politique de lutte de classe et à un fonctionnement plus démocratique pour permettre cette orientation. Cela est dit de différentes manières suivant le niveau de l'instance d'où ça provient mais le nombre de ces protestations a atteint un niveau jamais vu. Et ce qui apparaît clairement, c'est que plus on se rapproche de la base, moins les protestations sur le train de vie de Lepaon ne masquent celles sur l'absence de politique lutte de classe de la CGT face aux attaques actuelles.
...Et qui recouvre trois mouvements internes
Ainsi se mêlent trois grands types de protestations qui correspondent en gros à trois niveaux de situations dans l'appareil et définissent autant de niveaux de conscience.
Tout d'abord, il y a celle des sommets bureaucratiques où le PS est sur-représenté, pro ou anti Lepaon, qui ne portaient que sur l'affaire Lepaon et sa démission et celle du bureau confédéral (les pro-Lepaon voyant qu'ils ne pouvaient empêcher la « démission » de Lepaon voulaient en profitent pour dégager les « fuiteurs » opposants). On pourrait presque dire que plus ils tempêtaient contre le train de vie de Lepaon, plus ils voulaient occulter la protestation contre la politique du syndicat.
Puis, il y a celle des structures intermédiaires, en combat pour leur survie depuis un certain temps contre les sommets de la bureaucratie, qui insistaient aussi d'abord sur le train de vie de Lepaon et réclament des solutions internes par le retour à plus de démocratie et une politique plus lutte de classe, mais en général ; ce qui se résume à la démission des instances supérieures et à l'exigence d'un congrès extraordinaire.
Enfin, il y a celle des structures et militants de bases qui outre la démission de Lepaon, réclamaient aussi plus de démocratie, un congrès extraordinaire mais, surtout, centrent concrètement leurs protestations sur l'absence de politique de lutte de la CGT à propos de l'ANI, des accords compétitivité, du Pacte de Responsabilité... et exigent maintenant, au fur et à mesure qu'on en sait plus sur la loi Macron, de se battre contre ce projet. Cela, notamment, depuis la déclaration de la CGT PSA Mulhouse et l'adresse de la CE de l'UD CGT 75 qui appelle à faire du 26 janvier, journée initialement de lutte des salariés du commerce contre le travail du dimanche, une journée de lutte interprofessionnelle contre la loi Macron.
Bien sûr, les choses se mêlent : on voit des militants et syndicats de base reprendre le premier type de protestation, probablement sans arrière pensées mais seulement par inconscience et, inversement, des fédérations (mais plutôt petites, Inspecteurs du travail, Recherche, Imprimerie...) défendre le troisième type ou s'en rapprocher et là, plus probablement, par conscience. Mais c'est au renforcement de cette troisième tendance que nous devons travailler.
Il ne faut pas que le mécontentement des militants CGT se fourvoie dans le seul remplacement de Lepaon (ou quelques autres) par un autre bureaucrate qui mènera la même politique ; ni même seulement dans un congrès extraordinaire dans un an – bien qu'il faille en défendre la nécessité - ; mais qu'il s'exprime dés aujourd'hui et converge dans la rue avec tous les militants des autres confédérations - qui ont les mêmes problèmes – et tous les salariés et exploités ou opprimés contre la politique du gouvernement/Medef et notamment sa loi Macron. Or, là, nous pouvons jouer un rôle. De ce point de vue, le fait que la candidature de Martinez et la composition du bureau confédéral préparée par Lepaon aient été rejetées par le CCN du 13 janvier est une bonne nouvelle.
Dans ce contexte, l'importance du combat contre la loi Macron
Le projet de loi Macron présenté au Conseil des ministres du 10 décembre 2014 devrait être examiné par le Parlement à partir du 25 janvier 2015.
Ce projet entérine bien des reculs légaux déjà inscrits dans le droit ou la vie réelle et les complète par toute une série de dispositifs dont celles, visant le monde du travail, qui tendent toutes à démanteler les droits des salariés et des militants syndicaux. Mais au lieu de faire du petit à petit, Macron a cru possible de cumuler en une seule fois toute une série de mesures, qui, prises ensembles, permettent ainsi de voir clairement la logique de ce que font le patronat et le gouvernement : disloquer totalement à terme le Code du travail pour permettre une exploitation sans entraves. Tout y passe, depuis la mise à mort des Prud'hommes à celle de l'Inspection du travail en passant par celle de la médecine du travail, l'autorisation au travail de tous les dimanches et la nuit, la diminution ou suppression des suppléments de rémunération pour cela, la suppression des protections contre le travail des mineurs ou des handicapés, la plus grande facilité à licencier, à faire travailler au noir, la dégradation des protections des militants...
En plus, on ne peut pas séparer ce projet de loi des négociations entre patronat et syndicats incitées par le gouvernement qui se tiennent en même temps au titre du « dialogue social » et ont commencées le 30 octobre pour finir le 16 janvier 2015.
La délégation patronale y a proposé de fusionner les instances de représentation du personnel (CE, DP, CHSCT) au sein d’un unique conseil d’entreprise dans les entreprises de plus de 50 salariés en supprimant les droits des CHSCT et diminuant probablement les heures et le nombre de délégués de base afin de « mieux associer les représentants des salariés à la gouvernance des entreprises ». Une démarche qui va vers une espèce de cogestion à l'allemande. En même temps, la CGT proposait de liquider la représentation syndicale dans les entreprises de moins de 50 salariés au profit de quelques bureaucrates supplémentaires.
C'est dire que les grandes confédérations syndicales sont complètement impliquées dans les deux aspects de ce projet global qui liquiderait ce qui peut rester de revendicatif dans les organisations syndicales à la base au profit des sommets bureaucratiques ! C'est pourquoi on ne les entend pas dire ce qu'elles font dans les négociations du « dialogue social » ni protester contre la loi Macron... Sauf sur le travail du dimanche, parce que les salariés du commerce sont descendus dans la rue... Mais cette « protestation », aidée des députés frondeurs du PS et de quelques autres,a alors servi à occulter l'ensemble de la loi Macron et de ce que font les confédérations.
C'est dire combien nous avons intérêt à mener une campagne d'information sur ce qu'est réellement la loi Macron en même temps que ce qui se trame dans le « dialogue social ».
Le combat des militants/es CGT concerne et renforce tous les salariés, et nous devons le dire
Mais nous pouvons faire plus que de l'information. Nous ne devons pas dire que ce qui se passe à la CGT ne concerne que les militants CGT.
Il y a dans ce qui se passe au sein de la CGT un mouvement qui cherche le chemin concret de la lutte de classe. Nous pouvons l'aider à trouver ce chemin contre tous ceux qui essaient de l'occulter ou de l'engager dans des voies de garage. A cette fin, nous devons explicitement nous féliciter de ce mouvement de dizaines de milliers de militants CGT ; nous devons nous appuyer clairement sur son désir de retour à une politique lutte de classe. Pour cela nous ne devons pas centrer sur l'affaire Lepaon, surtout quand on n'est pas à la CGT, afin de ne pas susciter de réflexe de solidarité avec l'appareil. Mais nous devons dire que cette aspiration claire à un retour à une politique lutte de classe nous renforce tous, militants du NPA, d'autres organisations syndicales ou simples salariés qui n'en pouvons plus de subir sans rien dire et aspirons aussi à cette orientation. Et que pour nous, ce retour à la lutte de classe signifie concrètement, aujourd'hui, de lutter tous ensemble contre la loi Macron et, donc, dans un premier temps, d'appeler à faire du 26 janvier une journée interprofessionnelle de lutte contre ce projet de loi.
Les semaines à venir seront propices pour cette politique. Le 16 janvier se finissent les négociations du « dialogue social ». A partir du 25 janvier, la loi Macron sera discutée au Parlement.
En même temps, il est possible, au vu des débrayages et grèves en décembre autour des NAO et des salaires, plus nombreux et plus importants que d'habitude, qu'on ait une nouvelle flambée en janvier contre le blocage des salaires, avec, déjà annoncé une journée de grève le 18 janvier pour les routiers.
Ce qui sera un appui pour les convergences du 26 janvier – et au delà - contre l'austérité et les attaques anti-ouvrières et anti-syndicales.