Espaces verts - Marseille : répression anti-syndicale chez Jardin service

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David a reçu sa lettre de licenciement. 

Un rassemblement est organisé 
devant l'entreprise ce jeudi 6 mars à 14h30 
(9 bis, boulevard de la Louisiane 
dans le 14ème arrondissement de Marseille).



Une entreprise florissante

Depuis presque 20 ans, le patron et sa famille se partagent le butin. Leurs affaires, après 20 ans de « jardinage », s’étendent maintenant à des investissements dans l’immobilier, de luxe notamment (plusieurs sociétés civiles immobilières), et aussi à une collection de voitures - de luxe également - d’une trentaine de véhicules paraît-il (a une époque, le patron venait même à l’entreprise en Ferrari...).

La famille, c’est son fils unique, qui après avoir suivi des études d’espaces verts et après avoir bossé quelques mois sur les chantiers de papa, est devenu contremaître aux côtés d’un oncle, qui a été débauché d’un emploi de carrossier. La femme de ce dernier et celle du patron sont soeurs et se partagent les tâches administratives. Mais leurs responsabilités sont bien plus importantes puisque la première est également gérante d’une entreprise de nettoyage (domiciliée à la même adresse) alors que la seconde est, quant à elle, gérante de l’entreprise d’espaces verts.
L’argent a coulé et coule donc toujours à flots dans un secteur somme toute récent et qui se développe sans cesse, notamment à Marseille où les résidences de standing équipées de jardin se multiplient à une vitesse exponentielle, en lien avec l’accession à la propriété à marche forcée et une certaine ferveur pour un « retour à la terre », à la nature, mais qui est prosaïquement contenu dans un petit ou grand carré urbain de verdure.

Des conditions de travail d’une autre époque

Les métiers des espaces verts ont suivi cette envolée. De lycées agricoles en formations et stages de reconversion, les métiers se sont professionnalisés, diversifiés (du jardin aux jardineries). Mais ils se sont aussi complexifiés avec des besoins techniques comme l’arrosage automatique et l’emploi de machines lourdes ou de produits phytosanitaires qui nécessitent des spécialisations, une expérience importante et/ou un certain niveau de scolarisation et de formation. Ces différents métiers sont aussi reliés maintenant à tout le processus qui se met en place sur la revalorisation des déchets et l’adaptation des déchetteries aux nouveaux enjeux économiques du capitalisme vert.

Pourtant les conditions de travail sont celles d’une autre époque, celle des travaux aux nombreuses tâches de manœuvre, peu ou pas mécanisés, dévolus historiquement aux cantonniers (largement déconsidérés socialement), aux travailleurs agricoles, en particulier aux immigrés. Pour ce secteur du prolétariat qui est isolé, surexploité - souvent brutalement conditionné à l’être - et surtout très peu organisé, cette époque pas si lointaine n’a pas réellement disparue.

La convention collective n’est donc pas très avancée, et la dernière version (2008) négociée avec l’Union nationale des entreprises du paysage (UNEP) a été ratifiée par la CFE-CGC, la CFDT, la CFTC, FO mais pas par la CGT.

Les sites où les travailleurs embauchent et débauchent sont peu avenants (dépôts insalubres dans lesquels les produits toxiques et industriels, les machines sont entreposés à proximité des douches - quand il y en a - à l’abandon ou dans des algecos, etc.). Le métier est dur et parsemé d’accidents plus ou moins graves, très rarement mortels, mais usant petit à petit. À chacun de soigner ses douleurs (troubles musculo-squelettiques) comme il le peut tout au long de l’année. Il n’est pas rare de voir des problèmes non déclarés et non soignés - pour ne pas manquer à l’appel du matin et ne pas subir les foudres du patron [1] - s’aggraver et finir par handicaper les ouvriers.

Les équipements individuels de protection et leur port sont négligés par les patrons. Cela explique que nombre de salariés n’en utilisent pas car soit il n’y en a pas (ou pas suffisamment), soit ils sont en mauvais état ou mal adaptés, soit tout simplement par fatalité face à des nuisances que les ouvriers pensent pouvoir affronter ou rejeter à long terme, sans en mesurer les réelles conséquences.

Les travailleurs s'organisent

Mais tout cela pèse et ne peut pas s’effacer, surtout au regard des richesses qui s’accumulent d’un côté (si l’on compte les quatre entreprises d’espaces verts dans lesquelles investit le patron, on peut compter presque 300 chantiers avec parfois des contrats qui suffisent à eux seuls à payer tous les salaires annuels des quarante ouvriers) et des situations financières toujours difficiles pour les ouvriers de l’autre (le travail est maigrement payé : 1450 euros net pour 39h de travail par semaine).

D’autant plus que les ouvriers se retrouvent sous la coupe d’un patron débonnaire, agitant le bâton à chaque instant, vociférant, insultant et menaçant. Les apprentis et des stagiaires sont là pour pallier le manque de personnel et travaillent régulièrement comme des salariés à part entière, voire même se retrouvent à « encadrer » seuls sur les chantiers des moins inexpérimentés qu’eux. Et comme, de plus, le patron n’est pas trop favorable aux vacances - celles des salariés, bien sûr - il y a continuellement des sujets de récriminations à son encontre.

L’accumulation de problèmes rencontrés par les salariés a donc permis d’engager assez aisément une discussion sur la nécessité de constituer une section syndicale CGT pour se défendre et en découdre. En quelques jours, trois ou quatre collègues ont suffi à intéresser l'ensemble des salariés à la nécessité de se faire représenter syndicalement, pour que la convention collective soit respectée, pour porter les revendications sur les salaires, les conditions de travail et le respect qui leur est dû, et pour se protéger.

Un des ouvriers s’est porté tout de suite volontaire pour être le représentant de la section, et c’est lui qui a été désigné comme responsable syndical, en attendant les élections de délégués du personnel (DP). Ayant bourlingué dans plusieurs boulots, il a déjà eu maille à partir avec les patrons et n’a jamais hésité à se défendre, sans pour autant se syndiquer. Mais c’est sur cette petite expérience qu’il est motivé à se battre, pour lui et pour les collègues.


Solidarité contre les méthodes patronales

Lorsque le patron a reçu la lettre de désignation, le choc a été terrible mais il a immédiatement convoqué le collègue pour le menacer, et l’a harcelé pour le faire reculer, lui signifiant de ne pas parler à « son » personnel, de « fermer sa gueule ». Il a fait le tour des salariés pour en faire de même, pour les interroger, en mentant, en manipulant. Et quand les salariés, toujours anonymement mobilisés, ont dit non à sa réunion bidon « pour se dire tout ce qui ne va pas », il a commencé à augmenter certains salaires, il a renouvelé les trousses de secours, il a commandé de nouvelles échelles, et tout dernièrement lancé des essayages pour des manteaux d’hiver…

Et puis une procédure de licenciement a été enclenchée contre un autre salarié, David, suppléant pour les élections des DP, qui est en fait soupçonné d’avoir donné l’idée de la création d’un syndicat, d’avoir entraîné ses collègues et d’avoir participé tout simplement. Alors qu'il était convoqué à un entretien préalable à un licenciement, les salariés ont pu en quelques jours organiser un rassemblement d’une trentaine de personnes le même jour devant l’entreprise, avec la section syndicale d’une autre boîte d’espaces verts, avec laquelle ils sont en lien, et des membres du NPA. Aucun dirigeant de la CGT n’était présent malgré l’information passée auprès de responsables de plusieurs unions locales, et même auprès des Fralib et des Moulins Maurel.

Toutefois, cette démonstration de force a quelque peu bousculé le patron et sa femme, inquiets sans cesse pendant l’entretien de cette solidarité bien concrète. Ce rassemblement est parti en fait d’un appel aux collègues pour rester ce jour-là, à la sortie du boulot, pour témoigner leur solidarité et leur indépendance vis-à-vis du patron. La chose n’a pas été aisée parce que la plupart subissent la pression du patron, qui pour l’instant semble avoir semé le doute, ou la peur mais aussi parce que cela n’allait pas de soi pour tout le monde. Le rassemblement a permis à six ou sept ouvriers de rester plus ou moins longuement, se sentant plus ou moins « à l’abri » dans le rassemblement. Toujours est-il que l’urgence à licencier ne semble maintenant plus être de mise, même si la chose est lancée et peut resurgir à tout instant comme un couperet et agir comme une menace sur l’ensemble des ouvriers. Il leur reste une vingtaine de jours pour signifier une sanction.

La mobilisation continue en essayant d’y associer d’autres équipes militantes, d’autres secteurs (postiers, collectif CAF) en lutte sur les questions des libertés syndicales, en continuant à passer l’information dans la CGT, la FSU et Solidaires. Il faut continuer de montrer au patron au patron que ce licenciement anti-syndical est inacceptable, que la section existe et perdurera, et que les salariés seront bien présents le 2 avril, jour des élections de DP que le patron a été contraint d’organiser. C’est le sens d’un rassemblement-meeting intersyndical non loin de l’entreprise qui pourrait avoir lieu dans les prochains jours mais en faveur duquel il faut encore convaincre, notamment dans la CGT. L’ensemble du mouvement syndical doit se mobiliser contre la répression patronale, et la relier aux attaques anti-sociales du gouvernement Hollande-Valls-Macron. Il doit aussi se mobiliser pour soutenir les travailleurs et les travailleuses qui partout sont prêts à se mobiliser, à se syndiquer et à défendre leurs intérêts contre la rapacité du patronat, grand et petit.

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[1] L’an dernier, un ouvrier qui s’était vu prescrire 15 jours d’arrêt suite à un accident à une main, est venu ramener sa feuille de Sécu à l’entreprise. Le patron lui est « tombé » dessus, lui disant qu’en Afghanistan les soldats français ne s’arrêtaient pas pour si peu, que le médecin devait être socialiste ! Le salarié sous la pression s'est quasiment excusé et a abondé dans le sens du patron, et est finalement revenu au bout d’une semaine… Le patron ne semble pas porter dans son cœur le socialisme, il est proche des idées du FN. Les vestes et tee-shirts de l'entreprise sont frappés du drapeau national, et son fils s’est déjà exprimé sur le « trop plein » d’Arabes dans la ville.