Au moment où nous écrivons ces lignes, une révolte très importante a éclaté dans la banlieue proche de la capitale sud-africaine, à Soweto. Les manifestants protestent contre les coupures d’électricité et ont même menacé de bruler la maison dans laquelle habitait Nelson Mandela. Cet épisode reflète bien la situation explosive qui s’est ouverte en Afrique du Sud depuis plusieurs années.
La révolte de Soweto et le ras-le-bol contre l’ANC
La récente révolte dans le quartier noir de Soweto représente tout un symbole. Les jeunes de ce quartier avait été les précurseurs en 1976 du mouvement anti-apartheid qui avait conduit Nelson Mandela au pouvoir en 1991. Pourtant 20 ans plus tard, les classes populaires entassées dans cette banlieue continuent de manifester car leurs conditions de vie n’ont pas vraiment évolué. Le racisme légal a effectivement était supprimé avec la fin de l’apartheid, mais la poigné de grands propriétaires blancs et étrangers continuent d’imposer sa loi sur l’économie et donc sur l’ensemble de la société. L’ANC, le parti de Nelson Mandela qui est resté au pouvoir depuis 1991, n’a jamais cherché à remettre en cause le système capitaliste. Au contraire il a permis de stabiliser une situation qui était devenus intenable. En échange, une minorité de noir a pu accéder à certaines parts du gâteau. Plusieurs dirigeants du mouvement ouvrier se sont même tout simplement fait acheter. Cyril Ramaphosa en est un bon exemple, en 1987 il dirige une grève de 368 000 mineurs pour l’augmentation des salaires, mais depuis ces relations dans l’appareil d’État et à l’intérieur de l’ANC, lui ont permis de constituer un véritable empire financier. Aujourd’hui il est milliardaire et possède même des actions dans certaines mines sud- africaines.
La classe ouvrière subit la crise de plein fouet
La classe ouvrière sud-africaine est sans doute la plus nombreuse et la mieux organisée de l’ensemble du continent africain. Le nombre des mineurs se compte en centaine de milliers, auxquels viennent se rajouter de nombreux ouvriers métallurgistes et travailleurs dans les services. Les ressources minières du pays et la surexploitation permise par le régime de l’ANC ont conduit beaucoup de capitalistes à développer l’économie au cours des années 90 et 2000 mais avec la crise de 2008, tous ces secteurs ont été touché par la surproduction mondiale. Les capitalistes ont alors tenté d’en faire payer le prix aux travailleurs. Rien que sur la première année de la crise, 780 000 emplois ont été supprimé et les conditions de vie et de travail de l’ensemble des salariés ont été tirées vers le bas. Les salaires des mineurs les plus qualifiés atteignent à peine 370 euros par mois alors que la plupart des produits sont seulement 25 % moins cher que dans les capitales européennes. Pour la plupart des travailleurs il s’agit donc avant tout de survivre au jour le jour.
Les grévistes de Marikana montrent la voie
La fin de l’apartheid n’a pas marqué la fin de la lutte, loin de là. Une des récentes grèves les plus emblématiques, car victime d’une répression meurtrière de la part du gouvernement, a été celle des mineurs de Platine à Marikana qui en aout 2012, ont été plus de 28 000 à faire grève pour réclamer le triplement de leur salaire. Cette revendication largement relayée dans les médias a été présentée comme excessive pour discréditer les grévistes. Elle était en fait bien maigre quand on la rapporte aux salaires des travailleurs. Un bras de fer de plus de 6 mois c’est engagé entre les mineurs et une direction crapuleuse qui menaça de licencier l’ensemble des grévistes. Les grévistes durent aussi faire face aux dirigeants syndicaux de la NUM, la fédération minière de la COSATU (principale centrale syndicale), qui à cause de leur intégration au système, ont combattu la grève de toute leur force. Les grévistes ne pouvaient donc compter que sur eux-mêmes, ce qui les poussa à mettre en place leurs propres structures d’auto-organisation au travers d’AG, de comités de grèves et de commissions qui organisaient les différents aspects de la grève. Face à ce mouvement très radical, le gouvernement apporta sont soutient entier à la compagnie en envoyant l’armée réprimer les grévistes en pleine lutte et en août 2012, 44 mineurs étaient assassinés. Cette tuerie provoqua un scandale international et d’autre mine rentrèrent dans la lutte en créant eux aussi leur propre comité de grève, ce qui força les compagnies et le gouvernement à faire quelques concessions.
L’explosion des grèves en 2014
Cette répression, loin de faire taire la contestation sociale a été à l’origine d’une remontée des luttes significatives dans les années qui ont suivie. Dès janvier 2014, les mineurs d’une autre région repartaient en grève, l’augmentation des salaires était toujours à l’origine de la colère. Au bout de 5 mois d’une lutte exemplaire, les travailleurs obtenaient satisfaction, et ce malgré de nombreuses difficultés posées par l’ANC, le parti communiste et le NUM qui essayèrent une nouvelle fois de casser la lutte. En juin c’était au tour des travailleurs de l’industrie de la métallurgie de stopper complétement la production avec plus de 40 000 travailleurs en grève. Cette grève joua même un rôle d’entrainement important, pour les travailleurs de PME qui sont parmi les plus exploités et qui ont les plus grandes difficultés à résister face au patronat. Là encore la lutte a été victorieuse, avec des augmentations de salaires de plus de 10 %.
Pour donner un aperçu du climat, voilà un extrait d’une déclaration, en date du 13 novembre 2014, signée par les sections syndicales de la province du KwaZulu-Natal : « Le nombre de manifestations par habitant est probablement le plus élevé au monde, avec 1 882 manifestations violentes selon les derniers chiffres de la police [en fait, il y en a eu 2 000 en 2014], dans lesquelles il semble que ce soit la police qui verse le plus souvent le sang de nos travailleurs. Dans ses trois dernières enquêtes annuelles le Forum économique mondial a classé nos travailleurs comme étant les plus furieux de la planète. Cette année, Price Waterhouse Coopers a estimé nos milieux d’affaires comme étant les plus corrompus du monde. »
Rupture syndicale et radicalisation des travailleurs organisés
Le paysage politique était jusqu’en 2012 polarisé essentiellement par le gouvernement de l’ANC qui réussissait à contenir et à limiter les bagarres sociales grâce aux soutiens de la centrale syndicale COSATU et du parti communiste. Après le massacre de Marikana, beaucoup de travailleurs ont refusaient d’accorder leur soutient électoral à l’ANC, ce qui provoqua des débats très importants dans la COSATU, à tel point que NUMSA, la principale force syndicale regroupant le secteur de la métallurgie, est sorti avec ses 340 000 membres de COSATU. Cette scission reflète les désaccords entre une ancienne couche de syndicalistes bureaucratisées et très liées à l’ANC et une nouvelle génération de jeunes travailleurs qui dans l’expérience pratique de leurs luttes ont été confronté à la politique anti-ouvrière du gouvernement de l’ANC.
Vers la construction d’un parti des travailleurs ?
NUMSA a impulsé la refondation d’un grand syndicat indépendant de l’ANC, un syndicat combatif parlant de classe sociale et de socialisme et se présentant même comme un syndicat « rouge ». Cette recomposition syndicale c’est également accompagné d’une recomposition politique, puisque NUMSA a annoncé son ambition d’impulser un nouveau parti des travailleurs. Une réelle dynamique entraine ces deux processus qui s’appuient sur des luttes très importantes. Des illusions continuent cependant de persister dans la direction de NUMSA qui défend par exemple toujours dans son programme l’idée que les travailleurs ne doivent pas se battre tout de suite pour le socialisme et qu’il faudrait d’abord passer par une étape « démocratique » de la société capitaliste. L’intervention de militants marxistes clairement révolutionnaires comme les militants du WASP (parti lié à l’internationale trotskiste du CIO) peut jouer un rôle sur le devenir de ses nouveaux partis et syndicats. Bien qu’aucune boule de cristal ne puisse nous révéler le devenir de la lutte des classes sud africaine, nous ne pouvons que saluer la combativité et la détermination des travailleurs, et faire confiance à leurs expériences pour ne pas se laisser duper et avancer vers le socialisme.
Mathias (Lille)
et Cassandra (Rouen)
dans L’Étincelle anticapitaliste n° 43 (mai-juin 2015),
journal des jeunes du NPA.