Lutter contre l'islamophobie et l'antisémitisme

Un débat existe dans les milieux militants sur l’importance à accorder à la lutte contre les différentes formes de racisme. Si notre antiracisme « lutte de classe » implique de combattre frontalement tous les racismes par principe, comprendre leurs formes actuelles est indispensable pour ne pas être paralysés face à leurs nouveaux développements.

Une amplification de l’islamophobie dans le sillage de l’offensive impérialiste 

L'islamophobie connaît un regain lié à l'offensive impérialiste qui a suivi la fin de l’URSS et le 11 septembre 2001. En France, elle s’appuie sur la position de cette grande puissance vis-à-vis des pays dominés, en particulier ses anciennes colonies.

Après les attentats de janvier, les actes islamophobes ont été multipliés par six. Valls a appelé les musulmans à faire leur « examen de conscience », et l’extrême droite mène campagne « contre l’islamisation » de la France. Fin avril, une collégienne musulmane a été exclue à cause d'une jupe longue censée être un « signe ostentatoire d’appartenance religieuse »... Cette discrimination est assumée au sommet de l’État : la ministre de l’Éducation nationale considère que « l’équipe pédagogique a fait preuve du discernement nécessaire »

L’islamophobie donne une dimension « culturelle », plus acceptable, au vieux racisme anti-immigrés, anti-Noirs et anti-Arabes. Le fichage des écoliers de Béziers en fonction de leur prénom illustre la logique d’amalgame Arabe=musulman. Forme la plus courante du racisme, l’islamophobie est aussi, par le biais des institutions policière, judiciaire et scolaire, la plus relayée par l’Etat. Ce qui n’empêche pas celui-ci d’avoir recours à des responsables musulmans pour encadrer la jeunesse des quartiers populaires...

Les racines du renforcement de l’antisémitisme 

Meurtre d’Ilan Halimi, tueries de l’école juive de Toulouse et de l’Hyper Cacher, slogans de la manifestation « Jour de colère », dégradations de sépultures, essor des courants « complotistes », succès des vidéos de Soral et des spectacles de Dieudonné, propos récurrents lors de discussions au travail : la recrudescence de l’antisémitisme est à prendre au sérieux. Il s’exprime aujourd’hui principalement parmi nos collègues ou voisins, et son renforcement correspond à des mécanismes en partie différents de ceux de l’islamophobie. Ce phénomène touche toute l’Europe – de manière très virulente en Hongrie, par exemple –, et loin d’être l’apanage des musulmans ou supposés tels, il concerne des milieux divers. Les classes dirigeantes ont une responsabilité notable : l’antisémitisme se nourrit de la politique pro-sioniste des principales puissances. L’Etat français, en légitimant le CRIF et l’Etat d’Israël, en réprimant la solidarité avec la Palestine, nourrit les amalgames entre Juifs et sionistes.

L’aggravation de la crise, de la précarité et du chômage offre un terrain propice à la renaissance d’un antisémitisme comme dérivatif à la colère sociale. Les reculs du mouvement ouvrier et la faiblesse relative des révolutionnaires laissent un espace à Dieudonné et Soral, qui ont su s’adresser aux franges populaires – en particulier à celles qui subissent l’islamophobie –, avec un discours soi-disant « anti-système » mais clairement antisémite, homophobe et nationaliste. Valls leur a facilité la tâche, en faisant de Dieudonné un « martyr ». Dénoncer, comme certains, un « philosémitisme d’État » ne peut que conduire à relativiser la lutte contre l’antisémitisme actuel.

Que faire ?
 
L’antiracisme sélectif est un piège, et un antiracisme « moral » serait comme un couteau sans lame. Il faut s’opposer au racisme chaque fois qu'il s'exprime, quelle que soit la forme qu’il prenne selon le contexte et le milieu, et dénoncer sa logique d’ensemble : c’est un obstacle à la lutte commune contre ceux qui exploitent et oppriment. Cela suppose de lutter tout à la fois contre ceux qui assimilent l’Arabe au musulman et le musulman au terroriste, contre ceux qui présentent les Juifs comme les « rois du monde », mais également contre le racisme anti-Roms ou anti-Asiatiques.

Combattre l’islamophobie d’État nécessite une campagne unitaire de masse (affiches, meetings, manifestations, luttes locales), avec le souci d’impliquer les syndicats et les associations musulmanes progressistes. Mais l’organisation d’une telle campagne est inséparable d’une politique explicite contre les préjugés antisémites et complotistes dans notre classe, d’une opération de « désintoxication » auprès de nos collègues, par exemple par le biais d’argumentaires ou de brochures.

Enfin, il faut garder à l’esprit que quand le patronat et ses politiciens paraissent hors d’atteinte, certains travailleurs sont tentés de faire de leur voisin un bouc émissaire : seules des luttes sociales victorieuses peuvent donner de la force à nos arguments antiracistes !