La violence des politiques libérales dans l’Union européenne a pris une toute autre dimension depuis la crise de 2008. Et bien évidemment, que le gouvernement élu par les peuples soit de droite, de « gauche » sociale-démocrate ou d’« union nationale », ce sont toujours les mêmes mesures antisociales qui ont été appliquées.
De la lutte contre l’austérité…
Mais il n’y a aucune fatalité à accepter le dogme libéral, et c’est dans les pays touchés de plein fouet que les travailleurs, les jeunes, les chômeurs, les retraités se sont levés pour dire « non » à l’austérité. La Grèce a ainsi connu une période de lutte de classes particulièrement intense, avec des journées de grève générale massives à répétition et des combats qui, dans certaines entreprises et dans certains services publics menacés, sont allés jusqu’à poser la question du contrôle par les salariés de la production. En Espagne, la recherche de la convergence des luttes a fait naître les « marées » (« verte » dans l’éducation , « blanche » dans la santé, « jaune » contre les expulsions de logements…). Des places de Madrid ou de Barcelone à celles d’Athènes, le mouvement des « indignés » a répondu aux soulèvements en cours de l’autre côté de la Méditerranée contre les régimes autoritaires.
… au « débouché politique » des mobilisations
Un autre point commun entre la Grèce et l’Espagne a été le rôle joué par les partis socialistes pour imposer l’austérité, avec des conséquences immédiates : la défaite électorale pour Zapatero et Papandréou, allant jusqu’à l’effondrement électoral dans le cas du Pasok.
Dès lors, la question du pouvoir a été posée dans les mobilisations : comment arriver à en finir avec la politique austéritaire ? Faire tomber les gouvernements en place, oui, mais pour quoi faire : les remplacer par d’autres tout autant libéraux ?
Cette question, pour nous comme pour tous les anticapitalistes et tous les révolutionnaires, est essentielle, si nous avons choisi de construire un parti, c’est parce que nous étions convaincus de son intérêt pour trancher la question stratégique de la prise du pouvoir par notre camp social.
Gouvernement Tsipras : négocier avec la Troïka ou refuser de payer la dette ?
Vainqueur des élections en Grèce, Syriza est arrivé au pouvoir en formant une alliance avec le parti de droite souverainiste ANEL. L’objectif était clair : rompre avec l’austérité et pouvoir ainsi appliquer toute une série de mesures économiques et sociales, le « programme de Thessalonique ».
Mais en signant l’« accord » du « 20 février », le gouvernement d’Alexis Tsipras, au lieu de choisir la rupture, s’est pourtant laissé enfermer dans un cycle de négociations en acceptant de discuter avec la Troïka du remboursement d’une partie de la dette, et donc des « réformes structurelles » pour y parvenir. Le projet alternatif du gouvernement consiste seulement à refuser d’annuler immédiatement les mesures sociales (comme celles en faveur des petites retraites) comme le demande la Troïka, mais de reporter leur suppression à plus tard...
La direction de Podemos : vers un accord avec le PSOE aux prochaines élections ?
Lors des élections espagnoles du 24 mai, Podemos s’est imposé comme la troisième force politique du pays en passant de 8 % des européennes de 2014 à environ 14 % dans les 14 communautés autonomes (régions) qui votaient. Mais ce qui a fait le plus de bruit, c’est évidemment le succès des candidatures « citoyennes » soutenues par Podemos dans plusieurs municipalités (dont Madrid et Barcelone), qui sont sorties en position de gouverner localement.
Mais les partis de la « caste » (selon l'expression de Podemos) – PP à droite et PSOE – se maintiennent avec 52 % des votes au plan national. Et surtout, contrairement au Pasok en Grèce, le PSOE ne s’est pas effondré avec 27 % des voix. La direction de Pablo Iglesias a donc dû revoir son objectif d’emprunter la même voie que Syriza et d’arriver en tête aux élections législatives de fin 2015. Les choix d’alliance opérés dans les mairies et dans les communautés autonomes donnent une idée de cette orientation.
À Madrid, c’est le PP qui est arrivé en tête au premier tour, et la nouvelle maire Manuela Carmena, issue de la liste « citoyenne » Ahora Madrid (union entre autres de Podemos, de secteurs d’Izquierda Unida et d’Equo), ne doit son élection qu’à un pacte avec le PSOE sur la gestion de la ville.
Dans l’autre sens, les alliances Podemos/PSOE fonctionnent aussi, par exemple dans la communauté autonome de Castilla-la-Mancha, où l’accord signé entre les deux partis a permis aux socialistes de prendre la direction de la région…
Evidemment, pour justifier ces accords avec ce PSOE de l’austérité et des scandales de corruption, Pablo Iglesias a dû recycler le bon vieux discours du « faire barrage à la droite » du PP, alors qu’il y a peu, il classait encore ces deux partis dans la vieille « caste » qu’il fallait virer du pouvoir.
Actualité du clivage « réforme/révolution »
Évidemment, ces évolutions actuelles de la direction de Podemos et de Syriza sont combattues par tous ceux qui continuent à se revendiquer des mouvements de masse contre les politiques libérales.
Dans Podemos, les révolutionnaires ont déjà dû subir le tournant « verticaliste » et antidémocratique de la direction de Pablo Iglesias pour mettre au pas les minorités lors des derniers votes internes, alors que cette direction prétend pourtant faire de la politique « autrement » (cf. l’entretien avec un camarade d’IZAR dans ce dossier).
En Grèce, la nationalisation du secteur bancaire était depuis longtemps au programme de Syriza. C’est juste avant de remporter les élections que sa direction a décidé de la retirer de son programme. On voit bien aujourd’hui à quel point c’était une erreur tactique : en se privant de l’arme bancaire, le gouvernement Tsipras a permis à la BCE de l’utiliser contre lui pour discréditer toute tentative d’échapper à l’austérité. On comprend là aussi comment les révolutionnaires peuvent jouer un rôle crucial dans la situation : pour rompre avec l’austérité, l’exemple grec montre à quel point il faut se préparer à affronter l’État et les institutions européennes. Les réformistes, en se limitant au cadre institutionnel, n’arment pas notre camp social pour ce combat.
Certains décrivent les directions de Podemos et de Syriza comme des « nouveaux réformismes ». De fait, leur point commun est bien de se limiter à un horizon strictement institutionnel, tout en se présentant comme le « débouché politique » des mobilisations contre l’austérité. Dans les deux cas, le bilan est clair : après une période de forte ébullition dans la lutte des classes, les succès électoraux de ces « nouvelles » forces politiques se sont accompagnés d’un recul des mobilisations. La contestation sociale semble donc s’être reportée sur l’espoir d’une « alternative politique » dans les urnes.
C’est pour cela que notre classe sociale a besoin, pour renverser ce système et accéder vraiment au pouvoir, de révolutionnaires qui assument et défendent leur politique. Car quand ce sont les réformistes qui l’emportent, comme aujourd’hui en Grèce, on ne peut que faire le même constat que Manolis Glézos, eurodéputé de Syriza : dès la fin février, il a déclaré que « changer le nom de la “troïka” en “institutions”, celui du mémorandum en “accord” et celui des créanciers en “partenaires” ne change en rien la situation antérieure », ajoutant que « la promesse n’est toujours pas transformée en acte » et demandant « au peuple grec de [le] pardonner pour avoir contribué à cette illusion ».
David 92 N