> Entretien avec Javi Castillo Jiménez. À 25 ans, Javi est chômeur, il est militant d'IZAR (Izquierda anticapitalista revolucionaria) et de Podemos à Grenade en Andalousie.
Peux-tu expliquer dans quelle mesure les bons résultats électoraux de Podemos sont à comprendre en lien avec la situation sociale et politique dans l’Etat espagnol ?
Toutes les luttes qui ont été menées durant la crise (mouvement du 15M, « Marées » en défense des services publics, lutte des journaliers en Andalousie ou des mineurs aux Asturies, etc.) ont été très bien acceptées au niveau social et ont été perçues comme légitimes. La désaffection envers les deux grands partis et tous les événements de ces dernières années ouvrent une période très propice à l’émergence d’une force électorale comme Podemos. Une force politique qui s’autoproclame l’héritière de toutes ces luttes. Malgré cela, la verticalisation de l’organisation depuis un an environ, et les reculs programmatiques sur des questions comme, entre autres, les 35 heures, la position sur la dette ou encore les retraites, ont fait que Podemos a été « puni » sur le plan électoral, par rapport aux enquêtes qui avaient été faites il y a plusieurs mois et selon lesquelles Podemos apparaissait comme la première force politique au niveau de l’État.
Y a-t-il des luttes sociales importantes actuellement ?
Depuis le début de la crise, les luttes ne se sont jamais interrompues dans l’Etat espagnol. Il y en a deux qui sont particulièrement importantes dans l’actualité, du fait de leur aspect massif et de l’investissement dans la lutte.
La première, c’est celle des camarades de l’usine Coca-Cola à Fuenlabrada, près de Madrid, qui campent depuis de nombreux mois devant la porte de l’usine après un plan social qui a laissé 1000 travailleurs et travailleuses sans emploi. Ils ont gagné leur procès contre Coca-Cola et la justice a obligé le groupe à les réintégrer dans leurs postes, mais l’entreprise a rallongé le délai d’application de la décision de justice et les travailleurs/ses continuent à lutter pour celle-ci. Une autre lutte importante est celle des techniciens de Movistar dans tout l’État espagnol, qui étaient confrontés à des conditions de travail extrêmement précaires : embauchés comme faux auto-entrepreneurs, sans salaires fixes, etc.
Ces deux luttes ont eu beaucoup de répercussions. Nous espérons que la sentence contre Coca-Cola va enfin s’appliquer et que les travailleurs/ses de Movistar vont continuer à mettre la pression comme ils le font jusqu’à maintenant.
Quelle est la politique de Podemos depuis l’annonce des résultats, et plus concrètement, par rapport au PSOE ?
Il y a un rapprochement dangereux entre Podemos et le PSOE dans les votes d’investiture de ces dernières élections. Dans les territoires où le PSOE pourrait gouverner avec l’appui de Podemos, l’orientation de la direction de ce dernier est d’imposer une série de conditions politiques qui restent très éloignées d’un programme pour ceux d’en bas : rompre les contrats de l’administration avec les banques qui expulsent, limiter les salaires des élus, rendre les institutions plus transparentes, etc.
On dirait qu’ils veulent faire oublier les deux dernières réformes du droit du travail de Zapatero, la légitimation permanente de la monarchie par le PSOE, la réforme de la Constitution qu’ils ont conduite avec le PP et qui place le remboursement de la dette au-dessus du maintien des services publics, etc. Soutenir le PSOE signifie soutenir l’austérité et les politiques qu’ils ont menées et continuent à mener – en Andalousie, par exemple – contre les travailleurs/ses et la jeunesse.
Y a-t-il un risque d’institutionnalisation du mouvement à cause de l’orientation de la direction ?
Dans une certaine mesure, Podemos a cristallisé tout le capital des luttes qui ont eu lieu ces dernières années. Beaucoup de militants se sont rapprochés de Podemos, surtout après les élections européennes. Depuis, l’orientation de cette direction a été de construire, selon sa propre expression, « une machine de guerre électorale ». Le programme a subi un recul brutal depuis le lancement de Podemos, et le discours sur la dette en est un bon exemple : cela a commencé par la défense du non-paiement de la dette illégitime au moment de la naissance de cette organisation, et actuellement, cet élément a disparu de presque tous les programmes régionaux de Podemos. Le seul objectif de la direction actuelle est de gagner les élections générales à tout prix, tout ce qui fait un peu débat au niveau social étant mis de côté. Il y a un risque réel que tous les militants qui ont vu en Podemos une alternative soient absorbés ou dépassés par cette dynamique de la direction. Le fait que les grandes mobilisations aient été moins fortes durant la dernière année est lié à l’apparition de Podemos.
Comme soixante autres camarades, tu as été exclu d’Anticapitalistas pour t'être opposé à la direction de Podemos, ce qui vous a conduits à fonder IZAR. Quelles sont les perspectives de votre nouvelle organisation pour les prochaines semaines et les prochains mois ?
Nous avons franchi les premières étapes de la fondation avec succès. La prochaine échéance du calendrier, c’est une École d’été qui aura lieu du 6 au 8 août pour discuter de la situation politique actuelle, réfléchir à comment renverser le système capitaliste, et parler aussi d’internationalisme, de lutte de classes, de féminisme, etc. A moyen terme, il nous faut asseoir les bases de notre nouvelle organisation, renforcer notre intervention dans les luttes qui existent dans le pays, continuer à impulser la mobilisation et l’auto-organisation là où nous intervenons, présenter notre nouveau projet au reste des courants révolutionnaires dans l’État espagnol…