HARRIS Frank, La Bombe, éd. La dernière goutte, 2015, 300 p. (20 €). |
Pour obtenir la journée de travail de 8 heures, un rassemblement de 3000 personnes est organisé au Haymarket Square à Chicago le 4 mai 1886. A la fin du meeting, une bombe éclate en direction des policiers, faisant sept morts.
Huit leaders anarchistes de Chicago sont arrêtés, accusés du meurtre des policiers et condamnés à mort. Quatre d’entre eux sont pendus le 11 novembre 1887, un se suicide dans sa cellule et les trois autres restent en prison. C’est l’histoire du présumé lanceur de la bombe, Rudolf Schnaubelt, jamais arrêté, qu’a choisi de nous conter Frank Harris dans son roman La Bombe, publié en 1908 aux USA mais resté jusqu’à présent inédit en France.
Dans ce roman, le narrateur est Rudolf Schnaubelt lui-même, qui raconte sa propre histoire pour expliquer les raisons de son geste. Au fil des pages, nous suivons son parcours : d’abord obligé de travailler comme ouvrier pour survivre, il obtient ensuite des piges pour différents journaux de la ville.
Cette expérience, mais aussi sa rencontre avec l’agitateur Louis Lingg, sont le moteur de sa prise de conscience, le menant jusqu’à l’anarchisme et à l’action individuelle violente. D’ailleurs, cet acte invite à la réflexion, car il révèle deux problèmes qui se posent au mouvement ouvrier américain d’alors : comment réagir face aux brutalités policières et aux milices patronales, et comment rendre visibles les revendications du mouvement ouvrier aux yeux des Américains, dans une société où existe une ségrégation raciale.
Au-delà du parcours individuel d’un homme pris dans les tourments de l’Histoire, ce récit dépeint les conditions de (sur)vie des ouvriers immigrés en proie à la violence systématique de la police. Il nous fournit également des éléments sur la construction du mouvement ouvrier américain et les débats qui traversaient alors l’anarchisme. La Bombe fait partie de ces romans qui sont capables de rendre l’Histoire plus vivante , et moins austères les froides descriptions des historiens.
Victor Griot