Après les attentats de Paris : union nationale et état d'urgence pour museler toute contestation sociale

Le gouvernement cherche à profiter de l’effroi suscité par l’horreur des attentats de Paris. L’état d’urgence, et les mesures annoncées par François Hollande devant le Congrès, instrumentalisent l’émotion de la population pour mettre en œuvre un plan d’action sécuritaire, liberticide et guerrier. Un plan au sujet duquel Marine Le Pen a salué les « inflexions » du président…

Après la chemise déchirée, symbole de la colère ouvrière et populaire qui s’invitait au premier plan, le gouvernement a vu dans la nouvelle situation une occasion en or pour faire taire celles et ceux qui se préparaient à la mobilisation. Au nom de « l’unité » contre le terrorisme, du temps nécessaire au recueillement et au deuil, il serait malvenu de revendiquer quoi que ce soit ou de faire de la politique...

Le gouvernement interdit les manifestations, 
mais pas les attaques patronales et les licenciements

Décidément bien utile au gouvernement, l’état d’urgence lui a immédiatement permis de prendre des mesures pour interdire tout rassemblement ou toute manifestation en région parisienne, et même dans certains endroits en province : les mobilisations importantes qui devaient avoir lieu la semaine suivante en ont fait les frais, dans la santé, aux impôts, à Air France, etc. Officiellement, ce n’est bien sûr pas présenté comme une volonté d’empêcher l’expression d’une opposition populaire, que gouvernement et patronat redoutent tant : dans son arrêté du 18 novembre portant interdiction des manifestations sur la voie publique dans les départements de la région Ile-de-France, la préfecture précise que « les forces de sécurité intérieure » occupées à traquer les terroristes « ne sauraient être distraites de cette mission prioritaire pour assurer la sécurité spécifique des cortèges ou des grands rassemblements ». Car leur offrir une telle « distraction » reviendrait presque à faire objectivement le jeu de Daesh… Cet arrêté interdit déjà la manifestation unitaire contre les violences faites aux femmes prévue le samedi 21 novembre, et celle en faveur des migrants du dimanche 22. Le gouvernement a également annoncé sa décision d’interdire les manifestations contre le COP 21 à Paris des 29 novembre et 12 décembre.

Le chef de guerre Hollande prône la trêve, mais ni lui, ni les patrons n’ont reculé d’un pouce sur leurs sales coups. L’unité nationale désarme le monde du travail pendant que le MEDEF peut tranquillement avancer ses pions. Le dépeçage du Code du travail, les attaques sur les RTT et le temps de travail, les licenciements et les réorganisations en pagaille n’attendront pas. Et pour celles et ceux qui seraient jugés trop remuants, dans quelque secteur professionnel que ce soit, les pressions hiérarchiques, les commissions disciplinaires et les entretiens préalables au licenciement ne seront pas reportés. La lutte des classes ne connaît pas de pause, car quelle que soit la situation, les capitalistes défendront la dictature patronale. Puisque le patronat et son gouvernement ne suspendent pas leurs plans d’austérité, ne suspendons pas nos mobilisations ! Et c’est précisément maintenant qu’il ne faut pas baisser la garde, car les mesures d’austérité qu’ils veulent imposer au monde du travail et à la jeunesse vont redoubler pour financer leur guerre. D’ailleurs, le grand patronat en la personne de Pierre Gattaz a pris position pour que le gouvernement ne laisse pas « partir à vau-l’eau les dépenses publiques », et il a proposé de « faire des économies par ailleurs, faire mieux avec moins ».

Nous pouvons refuser leur « trêve sociale » à sens unique

Les organisations politiques « réformistes » affichent sans gêne leur ralliement à l’union nationale et leur collaboration avec le gouvernement. Et il aura fallu peu de temps aux dirigeants syndicaux pour annuler les grèves et manifestations prévues la semaine suivant les attentats : le 17 novembre à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le 18 aux finances publiques, le 19 à Roissy au moment du nouveau comité central d’entreprise d’Air France, le 19 toujours dans l’éducation nationale en Seine-Saint-Denis. Même la grève générale qui se développait à Mayotte a été interrompue.

Ainsi, à Air France, l’intersyndicale a vanté son « esprit de responsabilité » dans un communiqué, et a demandé à l’entreprise de faire « sa part du chemin pour construire un dialogue social apaisé » en renonçant au licenciement des travailleurs mis en cause suite aux événements du 5 octobre. « Si besoin, nous saurons tous nous mobiliser début décembre », a-t-elle tenu à préciser. Mais comment imaginer que sans mobilisation, le patronat renonce à sa politique répressive, lève les sanctions, revienne sur les licenciements prononcés et abandonne ses poursuites ? Comment imaginer que l’action du 2 décembre puisse ne pas être une nécessité ?

Mais il y existe aussi des points d’appui, car tous les travailleurs/euses ne l’entendent pas ainsi : « Certaines sections sont toujours sur un appel à la grève illimitée », expliquait le 15 novembre à l’AFP Mehdi Kemoune, le responsable de la CGT Air France. D’ailleurs, la CGT, SUD et FO ont lancé un appel à la grève et à se rassembler sur le lieu de travail, dans le secteur industriel, les 18 et 19 novembre. Par ailleurs, plusieurs structures de la CGT se sont rapidement exprimées contre l’union nationale et l’état d’urgence, comme la Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication (FILPAC), l’union départementale de Paris ou celle de la Seine-Maritime. La déclaration issue du comité confédéral national de la CGT, réuni le 17 novembre, va dans le bon sens malgré ses limites : elle s’éloigne en tout cas des premières réactions, qui plaçaient la confédération à la remorque de l’union nationale.

Malgré l’état d’urgence, des mobilisations se sont poursuivies : dans les transports (chauffeurs de bus de la RATP et de Béthune, chauffeur de poids-lourd à Chalon-sur-Saône), dans la santé et le secteur social (à Montauban, Auch, Brest, Basse-Terre en Guadeloupe, Thiers dans le Puy-de-Dôme), dans les collectivités territoriales (La Seyne, Blagnac, Nîmes, Pontoise), dans la formation professionnelle (Saint-Avold en Moselle), dans l’agroalimentaire (sur différents sites d’Euralis), à La Poste (voir page 13)… Ces luttes témoignent d’un mécontentement qui n’a pas été étouffé, même s’il ne domine pas la situation politique. Les divers appels à ne pas respecter l’interdiction de manifester lors de la COP 21, ou à manifester ailleurs, révèlent la même chose.

La CGT maintient son appel à la mobilisation du 2 décembre, même si son contenu et ses modalités paraissent vagues. Cette journée de mobilisation est de première importance. Le rassemblement à Bobigny lors du procès de cinq salariés d’Air France, de même que les rassemblements en province, doivent se tenir : nous devons agir pour qu’ils permettent d’exprimer une forte solidarité avec les travailleurs d’Air France, contre le plan de licenciement et la vengeance patronale. Mais au-delà, la mobilisation du 2 décembre doit aider toutes celles et tous ceux qui luttent depuis plusieurs mois, ou qui cherchent à exprimer leur rejet de la politique du front PS-MEDEF, à le faire ensemble.

Urgence contre l’État

C’est également la condition pour que se construise la riposte contre l’état d’urgence « permanent » et la remise en cause des droits démocratiques élémentaires : contrôles aux frontières, perquisitions en dehors de tout cadre judiciaire habituel, interdiction des rassemblements, possibilité de couvre-feu... Des mesures qui seront aussi inefficaces contre le terrorisme que ne l’a été le plan Vigipirate, mais qui pourraient être utilisées contre le mouvement ouvrier si le gouvernement en avait le besoin. Sur ce terrain et sur celui de la lutte contre le racisme et l’islamophobie, qui pourraient se développer rapidement, il est urgent de prendre des initiatives.

Les révolutionnaires et les équipes militantes combatives ont la responsabilité de s’exprimer en commun, de s’adresser à notre camp pour montrer qu’il existe une alternative à l’union sacrée, de chercher à organiser les mobilisations pour que la colère ouvrière et populaire puisse occuper le pavé. Le chemin est probablement étroit mais il faut s’y engager immédiatement, car il n’y en a pas d’autre pour faire entendre une voix indépendante du gouvernement et des capitalistes.

Gaël Klement