Cinéma : « My Beautiful Laundrette »

Film britannique de Stephen Frears (1985). Scénario : Hanif Kureishi. Avec Gordon Warnecke, Daniel Day-Lewis, Roshan Seth, Saeed Jaffrey, Derrick Branche, Rita Wolf, Shirley Anne Field. Doriane Films, combo DVD et Blu-ray, 25 euros.

Trente ans après sa sortie sur les écrans français, My Beautiful Laundrette vient d’être réédité en vidéo. Une occasion de (re)découvrir une comédie sociale qui, en dépit de son apparente légèreté, dépeint subtilement, avec précision, une société qui n’en finit pas de se lézarder.

Dans la banlieue londonienne, Omar vit avec son père Hussein, qui passe sa vie au lit à s’imbiber de vodka, devant le portrait de sa femme défunte. Son oncle Nasser, un patriarche jovial, l’embauche dans son garage, l’introduit dans la petite-bourgeoisie pakistanaise et le présente à Salim, son associé, un homme brutal aux activités louches. Quand Nasser évoque son frère Hussein, c’est avec dédain : jamais les Anglais n’aideront un « journaliste pakistanais extrémiste et communiste », de surcroît alcoolique. Il s’emploie donc à faire de son neveu un disciple de Margaret Thatcher, lui confiant la gestion d’un lavomatique à l’abandon.

Un soir, Omar retrouve Johnny, un ami d’enfance qui a mal tourné : de squat en squat, Johnny traîne avec une bande de paumés adeptes du « white power ». Les deux amis se revoient, décident de s’associer pour rénover la laverie de Nasser et, en secret, deviennent amants.

Johnny veut faire un trait sur son ancienne vie, mais sa bande n’aime guère qu’il fréquente un « Paki » ; la famille d’Omar non plus : le ressentiment est fort contre ces Anglais qui méprisent les étrangers. Pour autant, Nasser se voit comme « un businessman professionnel, pas un Pakistanais professionnel » : la solidarité communautaire disparaît bien vite quand il s’agit d’expulser un locataire, immigré comme lui, mais pauvre. Et si ce prolo anglais tient vraiment à travailler pour eux, il est prêt à le laisser faire ses preuves.

« Une laverie grosse comme le Ritz »

Omar et Johnny se constituent un capital en volant à Salim un stock de cocaïne : ils vont pouvoir faire de leur échoppe le « Ritz » des laveries ou, pour parodier le titre d’une œuvre de Francis Scott Fitzgerald, « une laverie grosse comme le Ritz ». Elle sera baptisée « Powders », allusion à la poudre de lessive autant qu’à la provenance de l’argent… Mais l’utopie « entrepreneuriale » tourne court : à l’instar du diamant de la nouvelle de Fitzgerald, la laverie ne serait-elle pas qu’une illusion, aussi fragile qu’une bulle de savon ?

Les deux amants devront apprendre à s’émanciper des pressions et des barrières qui leur sont imposées : la famille, dont tout doit dépendre, et qui est ici conçue comme une entreprise, le mariage étant un placement ; la « race », dont il ne faut pas se couper ; les chimères individualistes de réussite sociale : « Tu as raison, ce n’est pas mon monde », finit par confier Omar à son ami.

Peut-être devront-ils aussi écouter un peu le père d’Omar, agaçant quand il tient la classe ouvrière pour responsable de sa propre démoralisation, mais émouvant quand il déclare à Johnny, dans une belle scène nocturne : « Aide-moi. Je veux tirer mon fils de la blanchisserie. Je veux qu’il aille à l’université. […] Il a besoin du savoir. Comme nous tous. Si nous voulons voir ce qui se fait dans ce pays et à qui on le fait ».

On peut être gay et avoir la peau foncée, et même, ce qui n’est pas le moins courant, en étant un prolétaire : c’est un grand mérite du film que de révéler avec simplicité des évidences que cette société rend invisibles. L’homosexualité est montrée sans dérision ni sensationnalisme. À vrai dire, la relation entre Omar et Johnny est l’élément le moins insolite du scénario. Son caractère clandestin contribue au réalisme d’une histoire dont on se doute qu’elle s’achèverait avant même d’avoir commencé si les autres personnages étaient dans la confidence.

Un baril de Thatcher contre deux barils de Macron ?

Annonçant la diffusion du film sur Canal + en février 1988, Libération concluait ainsi son article : « Mais l’Angleterre va très mal ». Cocasse, venant d’un journal qui a toujours été un sponsor des politiques anti-ouvrières du PS au pouvoir ! Et dans cette Angleterre de 1985, il est permis de reconnaître la France des trois dernières décennies, celle du chômage de masse, des privatisations, de la montée des idées réactionnaires et du chacun pour soi…

Si My Beautiful Laundrette dresse un tableau très actuel d’une société lessivée par des politiques capitalistes de choc, ce n’est pourtant pas un film déprimant. Puisse-t-il faire entendre aux spectateurs d’aujourd’hui que trente ans de régression sociale, ça suffit largement, et que dans ce monde qui ne sent pas la rose, la lutte de classe et la solidarité seront toujours les meilleurs des détergents.

André Slava