Puisée dans l'arsenal des mesures prônées depuis toujours par l'extrême droite, l'annonce de l'inscription dans la Constitution de la déchéance de nationalité pour les « binationaux nés français et condamnés pour terrorisme » fait la joie du Front national...
Philippot, le numéro 2 du FN, trouve que « François Hollande a été touché par la grâce »... et affirme que celui-ci a pris cette décision suite à l'entrevue qu'il a eu avec Marine Le Pen à l’Élysée au lendemain des attentats du 13 novembre. Du côté des Républicains, on votera pour, c'est Sarkozy qui l'affirme, même si une partie de la droite trouve la mesure trop timorée ou inutile, ou la dénonce comme un coup politique. Comme le dit un proche de Sarkozy, finalement débordé sur sa droite par Hollande, « si on veut pouvoir brocarder François Hollande sur son naufrage idéologique, lui qui jugeait la déchéance indigne en 2010 et qui la défend coûte que coûte aujourd’hui, alors il nous faut nous aussi être cohérent et voter aujourd’hui ce que nous proposions hier ».
Mais les votes de la droite et de l'extrême droite ne suffiront pas à Hollande et Valls pour avoir la majorité des 3/5 au parlement nécessaire pour toute révision de la Constitution. Les parlementaires du Front de gauche et d'EELV ont annoncé qu'ils voteraient contre, les déclarations de leurs principaux dirigeants ne laissent aucune ambiguïté sur leur opposition à cette mesure nauséabonde. C'est tant mieux ! Après avoir voté pour l'état d'urgence en novembre dernier, il semble qu'à la gauche du PS on reprenne en partie ses esprits.
Une partie de la gauche fait de la résistance
C'est donc du côté des députés socialistes que le gouvernement ne ménage pas ses efforts pour convaincre, car il semble qu'à l'heure actuelle une majorité d'entre eux ait l'intention de ne pas voter cette mesure. Un argumentaire leur a même été envoyé dans lequel on peut lire, entre autres horreurs que ne renieraient pas les lepénistes, que « dans l’absolu, il faudrait pouvoir déchoir tout auteur d’un crime terroriste de la nationalité française, qu’il soit bi-national ou non. Mais les principes internationaux que la France a reconnus interdisent de rendre une personne apatride »... On pourrait presque entendre une nuance de regret !
Ce genre d'arguments donne envie de vomir. Espérons qu'ils consolideront plutôt dans leur opposition une partie des socialistes. Ça rue de fait fortement dans les brancards puisque des figures comme Martine Aubry, Jean-Marc Ayrault, Benoît Hamon, la maire de Paris Anne Hidalgo, ainsi qu'un des proches de Hollande, Jean-Pierre Mignard, ont martelé leur opposition à cette disposition. Quatre cadres du Parti socialiste, dont deux membres de son « parlement », le conseil national, Mathieu Pouydesseau et Gérald Elbaze, et un vice-président de sa commission nationale des conflits, Arnaud Delcasse, ont annoncé le 28 décembre qu'ils avaient saisi la Haute autorité éthique du parti, jugeant que « Manuel Valls, par ses propos réitérés sur le fond et la forme, s'était mis hors des principes mêmes du Parti socialiste ». Un vice-président du Conseil départemental de Gironde, Jean-Marie Darmian, s'est mis en congé du parti, estimant que la déchéance de nationalité était « une des gouttes successives accumulées ces derniers temps dans un vase qui vient de déborder et que le liquide ressemble à de la ciguë pour (sa) conscience ».
On se prend à rêver : et si 2016 marquait le réveil de la conscience d'une partie des dirigeants socialistes ?
Marie-Hélène Duverger
dans l'hebdo L'Anticapitaliste n° 318 (07/01/16)