La Poste - Neuilly-sur-Seine (92) : une victoire sans appel... qui en annonce d’autres ?

La grève de Neuilly est intervenue dans un contexte particulier. La direction a tenté de concentrer plusieurs réorganisations au même moment, à savoir sur la fin de l’année. Elle savait qu’il était difficile pour les facteurs et les factrices de faire grève à ce moment-là, novembre-décembre étant la période dite des « calendriers » pour les facteurs. Le calendrier que propose le facteur en décembre permet de compenser le 13ème mois qui n’existe pas à La Poste. La direction a donc tenté de passer en force.

Pour cela, elle s’est appuyée sur la CFDT qui l’a aidée à mettre en place la réorganisation en refusant de voter une expertise lors du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Après la tenue de cette instance, l'équipe militante de SUD est tombée sur une correspondance édifiante entre la direction du centre et le responsable courrier de la CFDT 92, un échange de mails qui ne laisse pas la moindre ambiguïté sur la collusion entre ce « syndicat » et la boîte. Le directeur écrit au secrétaire départemental : « Monsieur Deprost veut être expert au CHSCT... j’espère qu’il ne va pas vouloir refaire le monde... je crains le pire... il me demandait tous les documents et les dates des plénières !!!! ça promet... si j’ai lui et Quirante [1] je ne suis pas sorti... Bonne soirée ». Ce à quoi le secrétaire départemental de la CFDT a docilement répondu : « Il est hors de question que Serge Deprost soit expert au CHSCT de Neuilly. Il y a déjà assez de possibilités de se faire démonter par Quirante, sans en rajouter ».

La mise en œuvre de la réorganisation, prévue le 2 novembre, a obligé les agents à réagir. Il n'y avait plus le choix : soit il fallait accepter la délocalisation des tournées motorisées (service de remise du courrier aux entreprises) à La Défense, la suppression de 7 tournées vélos et la mise en place de sécabilité [2] structurelle le lundi, mardi et samedi en plus de la partie sécable intégrée au casier [3] toute la semaine, soit il fallait faire grève. Le mouvement de grève a donc débuté le jeudi 29 octobre 2015, il est resté majoritaire jusqu’à la reprise, le mercredi 20 janvier 2016.

Une grève peut en susciter d'autres

Pendant ces 82 jours, les grévistes ont mené une politique d’extension de la grève sur l’ensemble du département. Cette extension s’est faite autour de revendications locales, le maintien d’un paiement des heures supplémentaires plus favorable et le refus de leur imposition. Ce sont les bureaux de Clichy, Puteaux et Chatenay qui se sont saisis de la grève reconductible pendant plus d’une semaine et ont obtenu satisfaction sur leurs revendications locales, ainsi que sur le report jusqu’à 2016 de problèmes liés aux heures supplémentaires. Plusieurs journées de grève ponctuelles ont également été suivies majoritairement à Asnières, Malakoff, Courbevoie, La Garenne-Colombes et Nanterre. Ces deux aspects se sont combinés avec deux appels à la grève départementale, qui ont été massivement suivis. La direction a donc dû faire face, de mi-novembre à mi-décembre, à une mobilisation continue et soutenue sur tout le département. Une fois de plus, c’est la confirmation que ce que la boîte craint le plus, c’est que les bureaux se soudent et tapent ensemble sur un même clou, tout en défendant leurs revendications spécifiques.

Le rôle des prises de paroles et des liens entre travailleurs

Comme lors des grèves de 2009 et 2014, les postiers et postières des Hauts-de-Seine ont montré qu'ils ne connaissent pas de « frontières ». En effet, la visite du bureau de poste de Paris 15, un peu avant la distribution des plis électoraux, a montré que des prises de paroles peuvent donner confiance dans la force que représentent les postiers, ce qui a permis de sortir de l’enfermement où voudrait nous laisser la direction et où certains syndicalistes se laissent cloisonner. Ces liens sont une véritable bouffée d’oxygène. Ils prouvent que les salariés ne sont pas seuls à se poser certains problèmes, et dans le cas présent, qu’en fonction du rapport de forces La Poste applique les directives de façon tout à fait différente. Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, par crainte d’une extension, les plis électoraux ont été payés, alors qu'à Paris, les facteurs ont dû les distribuer gratuitement.

L’une des particularités de cette grève, c’est la forme qu’a prise cette politique d’extension, en allant jusqu’à Saint-Germain-en-Laye dans les Yvelines. Là encore, le déclic a été une prise de parole commune SUD 92-CGT 78 sur ce bureau qui venait de subir une réorganisation extrêmement violente. C’est la première fois qu’une grève entre différents bureaux, sur deux départements et avec des syndicats différents, a été menée à ce point conjointement. Nous sommes sortis des simples actions de coordination ou des déclarations ponctuelles, pour entrevoir la possibilité d’une direction commune, malgré l’éloignement. Durant ces 11 jours de grève à Saint-Germain, cela s’est manifesté par la présence des grévistes de Neuilly pour aider les collègues des Yvelines à débrayer, mais aussi par la mise en place d’au moins deux véritables AG communes (une dans les Yvelines et une seconde dans les Hauts-de-Seine) ou d’une première fête de soutien à laquelle ont participé, bien que de façon limitée, des facteurs des deux départements. Une autre particularité : les grévistes ont réussi à retourner graduellement en leur faveur l’embauche massive de facteurs visant à casser la grève de Neuilly. La politique en leur direction, durant les prises de paroles, a fini par payer. Ils sont passés d’un total désintérêt à une écoute polie, pour finir par sortir du casier et participer à l’AG lors de la reprise du travail le 20 janvier.

Une stratégie gagnante

Au final, cette stratégie a permis d’obtenir une victoire très nette pour les postiers de Neuilly. La délocalisation est annulée, deux tournées supplémentaires ont été injectées, le lundi est le seul jour de sécabilité structurelle, la partie sécable intégrée au casier est retirée, le samedi sur deux est maintenu. La direction est même revenue sur le licenciement d’un collègue qui avait eu des problèmes avec une chef d’équipe. C’est bien sûr la démonstration que la lutte sert à quelque chose, mais surtout, qu’une orientation lutte de classe dans les grèves (caisse de grève, AG quotidienne, comité de grève, extension et convergence, refus des suppressions d’emplois...) permet de les faire gagner.

Correspondant


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[1] Gaël Quirante, sectrétaire départemental du syndicat SUD Poste 92.
[2] Organisation du travail qui permet d'assumer la même charge de travail avec moins de facteurs, pour le même salaire, en pratiquant l'auto-remplacement. 
[3] Le facteur trie toute la semaine le courrier dévolu aux journées de sécabilité (d'auto-remplacement). Cette forme d'organisation permet de pouvoir faire basculer n'importe quel jour de la semaine, en fonction des présents, en sécabilité.