Du gouvernement PS-MEDEF au gouvernement MEDEF tout court…

Lundi 15 février : Manuel Valls se fâche. Le gouvernement a offert 41 milliards d’euros au patronat pour qu’il puisse créer des emplois, et puis rien au rendez-vous. Le Pacte de responsabilité a fait pschitt. Jeudi 18 : la sanction tombe. Le gouvernement offre au patronat le droit quasi illimité de licencier, sous le doux nom de « loi pour de nouvelles protections et de nouvelles libertés pour les entreprises et les actifs ». Logique, non ? C’est que ce gouvernement est fort en logique : faciliter les licenciements pour « débloquer l’embauche », casser le Code du travail pour « protéger les salariés », être de droite, c’est ça être de gauche aujourd’hui !

Hollande et Valls viennent donc d’engager une nouvelle bataille contre les classes populaires et les travailleurs, sans doute la plus dure et la plus grave depuis le début du quinquennat. On était d’ailleurs prévenu. Partout en Europe, les partis de droite et les partis socialistes ressassent en chœur qu’il faut « réformer le marché du travail ». Mais il est vrai que depuis 2012, Hollande tournait autour du pot avant de faire ce que les socialistes allemands Schröder et Hartz avaient fait en leur temps. Nous y voilà.

« Clarification »

Or la bataille à peine commencée a peut-être déjà fait un mort : le Parti socialiste lui-même. Aubry et ses proches sont entrés en résistance ! « Trop c’est trop ! » « Pas ça, pas nous, pas la gauche ! » Valls lui, se félicite d’une « clarification » : les Modernes contre les Anciens, la gauche « du réel » contre la gauche « du rêve ». On croit rêver, effectivement, d’entendre Aubry se faire traiter de « gauche qui rêve ».

Pourtant, il faut peut-être donner raison à la brute Valls. Pour un dirigeant socialiste conséquent, c’est-à-dire toujours désireux de ne pas aller contre les intérêts du patronat et soigneux d’éviter toute rupture avec les règles du capitalisme, quand on est actuellement au pouvoir, cette fuite en avant ultralibérale est la seule voie. Relever à tout prix le taux d’exploitation des travailleurs pour relancer le capitalisme. Même la très hypocrite « synthèse jospinienne » d’il y a quinze ans, quand Jospin-Aubry-Strauss-Kahn disaient « oui à l’économie de marché, non à la société de marché », paraît aujourd’hui dérisoire. Depuis les enchères ont encore monté : le patronat, enhardi par les surenchères de réformes en sa faveur, d’une alternance à l’autre, en réclame toujours plus. En plus c’est la crise. Secoués dans le haut de gamme par l’Allemagne et les Etats-Unis, secoués dans le bas de gamme par l’Europe du sud et de l’est, les groupes français exigent toujours plus haut et fort le scalp du code du travail.

Et voilà donc Valls et Hollande, lestés d’une bonne grosse démagogie sécuritaire et identitaire, fin prêts pour participer aux primaires de la droite... si les places n’étaient déjà prises ! A défaut, ils concourent aux primaires du Medef : qui sera le meilleur ami de Gattaz (l’homme qui promettait un million d’emplois ), Hollande, Valls, Macron, Juppé ou Sarkozy ? Nous avions un gouvernement PS-Medef. Il est désormais Medef tout court, maintenant que Valls et Hollande font pousser leur politique sur le cadavre du PS.

La riposte

La bataille est cruciale et pourrait marquer une défaite majeure pour les travailleurs... ou pour le gouvernement et au-delà le patronat lui-même et tout leur bazar libéral. L’ennui, c’est que comme souvent, une bonne partie des forces politiques et syndicales censées s’opposer au massacre du code du travail sont loin d’avoir la détermination de l’adversaire. Face à la colère, Hollande a commencé à zigzaguer, mais c’est par ruse. Il a la ferme intention d’aller jusqu’au bout. Mais que d’hésitations en face ! La CFDT, l’UNSA et consort trouvent des vertus aux projets gouvernementaux et veulent comme d’habitude négocier les chaînes. La direction CGT, hostile à la loi (comme FO et Solidaires), a d’abord différé et dilué l’appel à la mobilisation, sous prétexte, on connaît la chanson, de garder l’unité avec la CFDT. La grande date à l’horizon, à l’heure où nous écrivons, c’est le 31 mars ! Heureusement, les organisations de jeunesse ont réussi à inscrire le 9 mars dans le calendrier.

Si la pétition « Loi Travail non merci » a dépassé le million de signatures, symptôme, parmi d’autres, de la colère montante, il faut passer du numérique au réel. C’est dans la grève et dans la rue que cette affaire se conclura. Et pour cela, il faut bien que dans les entreprises, la jeunesse, parmi toutes les victimes de ce sale coup, la mobilisation s’organise sans attendre que ça vienne seulement du haut des organisations syndicales, pour dénoncer, partout, patiemment, cette loi infâme, pour construire une mobilisation sans doute de longue haleine. Une mobilisation capable de rassembler toutes les victimes du gouvernement Medef, chômeurs menacés dans leurs allocations, précaires, salariés du privé, cheminots agressés dans leur statut, fonctionnaires à la moulinette de l’austérité, jeunesse étudiante ou travailleuse. Comme il y a dix ans, face au CPE.

Yann Cézard
dans la revue L'Anticapitaliste n° 74 (mars 2016)