Mobilisations contre la loi Travail : les possibilités d'un mouvement d'ensemble

Parce qu’il a codifié les différents droits acquis par la classe ouvrière durant des décennies de luttes de classe, le Code du travail a toujours concentré la haine particulière de la bourgeoisie française. Les déclarations sur son « obésité », les diatribes sur son caractère « obsolète » ne reflètent qu’une seule chose : la volonté du patronat d’en finir avec ce Code qui les empêche d’exploiter comme ils le veulent les travailleuses et les travailleurs. Face à la nouvelle crise économique et financière qui se prépare, on comprend la hâte des bourgeois à le détruire.

Le gouvernement répond à une revendication historique du patronat

Le projet de loi El Khomri s’inscrit dans une lignée d’attaques précédentes contre les droits des travailleurs. La première brèche avait été ouverte par la loi Aubry de 2000 qui, tout en instaurant la semaine hebdomadaire de 35 heures, ouvrait la possibilité d’annualiser le temps de travail. En clair, moduler le temps de travail des salariés selon les carnets de commande de l’entreprise. D’autre part, cette loi devait se traduire par une série d’accords d’entreprises, aux dépens des accords de branche.

Les attaques du patronat se sont en effet particulièrement concentrées sur un point précis, le « principe de faveur » : jusqu’à présent, un accord d’entreprise ne pouvait pas, sauf dispositions particulières, être moins favorable aux salariés qu’un accord de branche. Après une décennie d’attaques sur ce plan (loi Fillon de 2004, loi du 20 août 2008, loi Warszmann), l’ANI de 2013 est allé jusqu’au bout de cette logique en supprimant le principe de faveur et en facilitant la mise en place des « accords de compétitivité ».

Le patronat de l’automobile a été le premier à appliquer cette politique. L’objectif est partout le même : amplifier la flexibilité et réduire les coûts de production en combinant blocage ou baisse des salaires avec une augmentation du temps de travail. Le cas des ouvriers de Continental à Clairoix, fin 2007, est symptomatique, la direction imposant le passage aux quarante heures payées trente-sept et demie, soi-disant pour sauver les emplois. Résultat : l’usine a fermé début 2010. De même, l’accord Renault signé le 13 mars 2013 par des syndicats complaisants a entériné la suppression de 8 560 emplois, l’augmentation de la durée du travail tant en rythme quotidien qu’en suppression de jours de congés, et la baisse du pouvoir d’achat. A chaque fois que de tels accords ont été acceptés par les syndicats, le résultat ne s’est pas fait attendre : nouvelles suppressions d’emplois, avec toujours plus de chantage du patronat pour baisser les salaires et augmenter les cadences…

La loi El Khomri est le parachèvement de toute cette politique, déclarant explicitement que ce que doit viser le Code du travail, c’est la « bonne santé » de l’entreprise. En clair, toutes les revendications des travailleurs doivent être conditionnées aux profits des capitalistes. Le cœur de ce projet de loi, c’est l’atomisation de la classe ouvrière : avec le « Compte Personnel d’Activité », la notion de « droits individuels » se substitue aux droits collectifs. Un des enjeux majeurs du gouvernement dans ce projet est de faire passer les prétendus « accords d’entreprise », contournant les syndicats, en lieu et place des conventions collectives. L’entreprise devient ainsi le niveau privilégié de définition de la norme sociale. L’enjeu est donc d’en finir avec tout ce qui fonde le mouvement ouvrier. C’est ce qui permet de faire passer le reste des mesures anti-ouvrières : augmentation du temps de travail, fractionnement du repos quotidien de 11 h, attaque contre les prud’hommes…

Ce projet n’est donc ni amendable, ni négociable. La revendication de retrait pur et simple de la loi est centrale ; et nous devons combattre toute tentative de négocier le texte à la marge.

Organiser la riposte de la jeunesse et du monde du travail : une tâche immédiate

Cet ensemble de mesures concentrées dans un seul projet de loi a immédiatement provoqué une énorme indignation dans la population. En témoigne l’ampleur historique de la pétition « Loi travail, non merci ! » qui, en quelques semaines, a atteint le million de signatures, du jamais vu. 70 % des Français se disent « opposés » à la loi. 57 % des sondés disent « soutenir » les manifestations prévues pour le retrait du projet de loi.

L’appel à la mobilisation du 9 mars des organisations de jeunesse a ouvert une brèche. Il crée une possibilité de mobilisation massive de la jeunesse et, par contrecoup, la possibilité d’un mouvement d’ensemble, 10 ans après le CPE. L’affluence aux manifestations (450 000 personnes dans toute la France, plusieurs dizaines de milliers à Paris), la présence massive de la jeunesse (des AG dans la plupart des facs, une centaine de lycées bloqués selon l’UNL…) mais aussi d’une frange significative de militants syndicaux, montre que la revendication du retrait de la loi El Khomri devient le catalyseur de la colère ouvrière et populaire contre ce gouvernement. Avec ce début de mobilisation, c’est la possibilité de défaire ce gouvernement qui se profile.

Face à cette mobilisation massive, le gouvernement a commencé une série de manœuvres pour faire passer son projet. La place de la CFDT, soutenue par Martine Aubry, est centrale pour lui. Il est vital pour Hollande et son gouvernement d’emporter l’adhésion de ce secteur du PS pour pouvoir faire voter sa loi. C’est le sens des annonces faites par Valls le 14 mars, qui lui ont permis de se rallier la CFDT. En réalité, ces annonces ne règlent rien : contrairement à ce que déclare Laurent Berger, le plafonnement des indemnités prud’homales n’est pas supprimé mais devient « indicatif ». La définition du licenciement économique reste élargie, même si le périmètre a été un peu revu. Mais surtout, le cœur même de la loi subsiste : l’inversion de la hiérarchie des normes, c’est-à-dire le renvoi de toutes les négociations au niveau local, entreprise par entreprise.

La meilleure manière de mettre en échec ces manœuvres est de développer l’auto-organisation des secteurs mobilisés, avant tout dans la jeunesse. Il est important d’œuvrer à la construction des AG, ainsi qu’à celle d’une coordination nationale étudiante, afin de s’émanciper des appareils syndicaux. Nous devons développer nos argumentaires pour que chaque étudiant soit en capacité de contrecarrer ces manœuvres. Pour cela, la question de la grève étudiante devient une question clé. Il s’agit, dans les AG les plus avancées, de convaincre les étudiants qu’il est nécessaire de ne plus aller en cours pour pouvoir consacrer du temps à faire des tournées d’amphis, de boîtes des alentours...

En 2010, les secteurs du salariat les plus mobilisés étaient ceux qui l’étaient également sur leurs propres revendications. Il faut donc combiner les revendications sectorielles à celle du retrait de la loi. La lutte contre la réforme El Khomri peut ainsi devenir le catalyseur des mobilisations existantes dans différents secteurs. Par conséquent, il convient d’attacher une importance particulière à la lutte des cheminots contre le décret-socle ; le succès de la grève à la SNCF le 9 mars et la perspective d’une grève reconductible dans les semaines à venir (malgré les difficultés) font des cheminots un secteur en pointe, aux côté de la jeunesse. Mais les autres branches qui ont été mobilisés ces derniers mois – les enseignants contre la réforme du collège et les suppressions de postes, les postiers contre les restructurations, etc. – peuvent également jouer un rôle. Partout, c’est la même politique qui sévit : tentative de briser les cadres collectifs pour atomiser les résistances, volonté d'émietter les droits des salariés… C’est donc dans une perspective d’ensemble que nous devons aborder chaque mobilisations sectorielles.

Une lutte politique contre le gouvernement et le capitalisme

Dans les discussions sur le projet de loi, un rejet de toute une politique anti-ouvrière et xénophobe est palpable dans une partie de la jeunesse et du monde du travail. Un état d’esprit de remise en cause plus globale de la politique du gouvernement et même de la société actuelle, qui était présent de manière sous-terraine dans toute une série de luttes. Notre rôle, c’est de donner une expression à ce rejet plus général. Ainsi, nous devons combattre le discours selon lequel il serait nécessaire de « faire des propositions » pour « améliorer » le Code du travail. En effet, expliquer qu’il faut faire des propositions à ce gouvernement, c’est faire croire qu’il serait capable, d’une manière ou d’une autre, de répondre positivement aux attentes des travailleurs et des jeunes. Loin d’être l’ami des travailleurs, c’est un gouvernement de combat au service du patronat. Nous devons le dire clairement dans notre propagande : il faut défaire ce gouvernement.

Nous devons mettre en avant notre programme d’urgence : la semaine de 32 heures, seule mesure permettant de régler le problème du chômage ; la fin des contrats précaires ; l’ouverture des livres de compte, afin de contrecarrer le discours des capitalistes sur la « compétitivité ». Nous devons être capables d’expliquer en termes simples, à une échelle de masse, que de telles mesures sont incompatibles avec le maintien du régime capitaliste. Ce qui signifie de poser non seulement la question du « tous ensemble », mais aussi de lutter contre la politique sécuritaire et raciste de ce gouvernement. En effet, avec l’état d’urgence, le gouvernement a non seulement la possibilité d’interdire les manifestations, mais également de dissoudre toute organisation représentant une « menace pour la sécurité ».

La lutte contre la loi, est ainsi à la fois un combat contre le gouvernement et contre le régime capitaliste qu'il gère loyalement. Dans les mobilisations nous pouvons défendre ouvertement une politique anticapitaliste. C’est toute cette société en crise, avec son cortège d’horreurs, que nous pouvons dénoncer,c’est l’aspiration à une autre société qu’il faut exprimer.

Aurélien Perenna