La Révolution russe et la guerre

Trotsky à Brest-Litovsk
Après la défaite de la Révolution de 1905, les luttes des ouvriers russes connurent une période de recul. Un grand nombre de militants ouvriers furent assassinés ou jetés en prison, et le revers que réussit à infliger le tsar démoralisa une large partie des ouvriers. Ce recul fut de courte durée, car les travailleurs allaient vite reconstituer leurs forces. 

Alors qu’en 1910 et 1911, le recensement du nombre de grévistes pour des raisons politiques était descendu en dessous de 10 000, ce nombre remonta déjà à 500 000 en 1912 et 1913. Les fabriques et les usines russes entrèrent de nouveau en mouvement. Les services secrets et la police tsariste furent dépassés par toute cette armée industrielle qui se mettait en grève pour obtenir des augmentations de salaire ou la baisse du temps de travail. La violente répression du régime donna immédiatement à ces grèves des objectifs politiques contre le pouvoir en place. Cette lame de fond trouva son apogée durant le premier trimestre de l’année 1914, quand un million d’ouvriers – sur les deux millions que comptait alors la Russie – arrêtèrent le travail. Le spectre de la grève générale hantait à nouveau le pays. Cette expérience accumulée durant des mois de lutte, durant lesquels les révolutionnaires jouèrent un rôle de premier plan, ne pouvait que donner lieu à une nouvelle vague révolutionnaire. En juin et juillet 1914, des affrontements eurent lieu dans les rues des principales villes russes. C’est alors qu’éclata la guerre… 

Une montée révolutionnaire interrompue par la guerre… 

La Première Guerre mondiale trouva ses origines dans le développement inégal du capitalisme à l’échelle internationale. Les deux premières grandes puissances capitalistes – la France et l’Angleterre – s’étaient partagé le monde au cours du XIXe siècle ; elles avaient conquis la quasi-totalité du globe, y installant des colonies. Quand l’Allemagne connut à son tour un développement économique à la fin du siècle, il lui fut impossible d’exporter massivement ses capitaux et ses marchandises dans un monde déjà partagé. Cette situation était inacceptable pour les capitalistes allemands, et elle ne pouvait être résolue que par un repartage violent du monde. La guerre fut déclarée en juillet 1914, et le jeu des alliances qui unissait les grandes puissances à leurs pays satellites provoqua un conflit généralisé. La Russie tsariste ne resta pas à l’écart de cette guerre ; très liée aux capitalistes français et anglais, qui avaient massivement investi dans son industrie et qui contrôlaient la dette de L’État, elle entra en guerre contre l’Allemagne, en espérant récupérer une part du gâteau en cas de victoire. 

Pour le tsar Nicolas II, c’était aussi l’occasion de mettre fin à la vague révolutionnaire... La déclaration de guerre fut ainsi l’occasion de lancer une campagne nationaliste propre à dissimuler les antagonismes de classes, de briser les grèves et d’envoyer des millions de paysans et d’ouvriers se battre pour les intérêts des capitalistes. Dans un premier temps, la diversion fonctionna. Les manifestations ouvrières furent remplacées par des marches patriotiques. Un certain nombre de travailleurs tombèrent dans le piège du nationalisme et la vague de grèves s’arrêta net. Le pouvoir en profita pour envoyer au front une partie des ouvriers grévistes. À Petrograd, près de 40 % de la main d’œuvre ouvrière furent remplacés par des paysans qui n’avaient aucune tradition de lutte. 

Malgré la pression patriotique, le Parti bolchevik s’opposa à la guerre et refusa l’union nationale, et il fut l’un des seuls partis socialistes en Europe à le faire. Les députés bolcheviks à la Douma, et avec eux l’ensemble du parti, menèrent une campagne militante de masse contre la guerre. En réaction, en novembre 1914, le pouvoir tsariste ordonna leur arrestation et le démembrement du parti. Cette répression ne provoqua pas de réaction massive parmi les ouvriers, mais les idées que les bolcheviks avaient commencé à faire germer allaient prendre de plus en plus de force. 

… avant de connaître une puissante accélération 

Si la guerre avait d’abord mis un couvercle sur la montée en puissance de la colère populaire, le pays devint vite une marmite en surchauffe, prête à exploser. La gigantesque armée tsariste, qui avait mobilisé 15 millions de paysans, était complètement obsolète : la Russie pouvait aligner des millions d’hommes, mais elle n’avait ni l’équipement, ni l’organisation pour que son armée soit efficace au front. Dès les premiers mois, les soldats russes allèrent de défaite en défaite face aux troupes allemandes, en laissant derrière eux des centaines de milliers de morts et de prisonniers. L’économie russe dut concentrer tous ses efforts sur l’industrie de guerre ; le tissu, la nourriture et le charbon furent utilisés en grande partie pour l’armée. Dans les villes, la population manquait de tout : à la fin de l’année 1916, la consommation générale avait été divisée par deux. Le consensus national commença alors à se fissurer, et la jeune génération d’ouvriers à se réveiller. 

Les premiers rassemblements se déroulèrent d’abord sous la bannière nationaliste et dégénérèrent le plus souvent en pogromes contre des Juifs ou contre des pseudo-traîtres au service de l’Allemagne. Au cours de l’année 1915, les revendications ouvrières connurent un nouvel essor, des grèves commencèrent à éclater pour exiger de meilleurs salaires face à la hausse du coût de la vie. Dès 1916, les grèves politiques contre le pouvoir en place prirent même le dessus, en réaction à la répression féroce. Dans ces multiples conflits, les militants bolcheviks jouèrent un rôle important pour faire en sorte que les travailleurs défendent leurs propres intérêts. Le comité central de l’organisation avait été dissout, mais les militants étaient des révolutionnaires professionnels, formés pour continuer clandestinement leur travail d’agitation. D’abord isolés, les bolcheviks rétablirent peu à peu des liens avec les ouvriers et les soldats qui les entouraient, et ils parvinrent à reconstruire leur organisation à l’échelle du pays entier au fur et à mesure que leurs idées progressaient dans la population. Au début de l’année 1917, le mouvement de grève retrouva le même niveau d’intensité et de combativité qu’avant-guerre, à la différence près que plus rien ne pouvait arrêter la révolution. Le 23 février (8 mars, selon le calendrier grégorien), à l’occasion de la Journée internationale des femmes, des ouvrières de Petrograd descendirent dans la rue pour réclamer du pain, et elles entraînèrent derrière elles le reste des ouvriers de la ville ainsi que la garnison, qui refusa de tirer sur la foule. La révolte gagna les autres villes, et le régime tsariste finit par s’écrouler. La guerre, loin d’être terminée, allait rythmer la suite de la dynamique révolutionnaire. 

Mutins russes à La Courtine, 1917
La révolution vit au rythme de la guerre. 

Après la Révolution de Février, la Russie connut une situation de double pouvoir : d’un côté, les ouvriers et soldats avaient mis en place des conseils de délégués élus, les « soviets », qui prenaient en charge une partie du fonctionnement de la société ; de l’autre, la bourgeoisie russe avait commencé à reconstituer son propre pouvoir à travers un nouveau gouvernement provisoire. Dans les soviets, les délégués mencheviks et socialistes-révolutionnaires étaient majoritaires, et ils refusaient de remettre en cause le pouvoir de la bourgeoisie ; ces partis expliquaient qu’un développement capitaliste du pays était nécessaire avant qu’une révolution socialiste ne soit à l’ordre du jour. Les bolcheviks qui, à partir d’avril 1917, proclamaient que les soviets devaient s’emparer de la totalité du pouvoir, étaient minoritaires. 

La guerre eut une incidence déterminante sur la poursuite de la révolution. Le nouveau gouvernement bourgeois était incapable de répondre aux aspirations de paix qui existaient au front comme dans les villes. Les industries de guerre n’avaient rien à gagner à mettre fin à un conflit qui leur permettait d’écouler leur production, et qui plus est, l’économie russe était toujours dominée par les capitaux anglais et français, qui avaient tout intérêt à maintenir la Russie en guerre. Ce fut sans doute surtout la volonté de briser la dynamique révolutionnaire et de paralyser l’effervescence des masses qui poussa la bourgeoisie russe à continuer la guerre. La crainte d’une invasion allemande lui donna un prétexte pour imposer de nouveau l’autorité des officiers dans l’armée et pour discipliner les ouvriers d’usine au nom d’un patriotisme paré des habits de la révolution ; les mêmes journaux bourgeois qui avaient appelé à la guerre en 1914 pour soutenir le régime tsariste, exhortaient désormais à la continuer pour sauver la liberté conquise contre le tsar. 

Cette stratégie fonctionna dans un premier temps, et la vague de désertions fut ralentie. Cependant, si les soldats acceptaient de tenir leur position, ils refusaient de partir à l’assaut des tranchés adverses. La supercherie du gouvernement provisoire fut une première fois démasquée par les classes populaires en avril 1917 : Milioukov, le ministre des Affaires étrangères, mit le feu aux poudres en écrivant une note aux gouvernements alliés pour leur garantir la fidélité du nouveau régime dans la guerre ; dans cette note, il expliquait que les vainqueurs « trouveraient les moyens d’obtenir les garanties et les sanctions indispensables pour prévenir, dans l’avenir, de nouveaux conflits sanglants ». La bourgeoisie russe affirmait ainsi le véritable but de la guerre : la conquête de territoires comme les détroits en Turquie, la Galicie ou l’Arménie, pour satisfaire ses appétits économiques. Cette note était une véritable injure pour les soldats qui pensaient se battre pour sauver la révolution. Elle provoqua d’impressionnantes manifestations de soldats et d’ouvriers à Petrograd et à Moscou, qui forcèrent Milioukov à démissionner. Les mots d’ordre bolcheviks pour la paix – notamment, la publication de tous les traités secrets et la paix immédiate avec tous les pays belligérants –, rencontrèrent une adhésion grandissante dans la population. 

L’année 1917 était meurtrière pour les armées française et anglaise, qui s’épuisaient à l’ouest dans des assauts inutiles ; l’écho de la Révolution russe commença également à provoquer des mutineries dans les tranchées. Les alliés exigeaient de plus en plus ouvertement du gouvernement russe une nouvelle offensive pour soulager le front à l’ouest. Mais les journées d’avril avaient montré à la bourgeoisie russe qu’elle ne contrôlait toujours pas la situation ; elle dut faire entrer dans son gouvernement des ministres mencheviks et socialistes-révolutionnaires pour tenter de retrouver une crédibilité. Le nouveau ministre de la Guerre Kerenski, qui appartenait au groupe des socialistes-révolutionnaires, fit le tour des tranchées pour inciter les soldats à préparer l’offensive ; les Alliés envoyèrent aussi des socialistes français, comme Albert Thomas, pour encourager les soldats à se battre pour la liberté et contre l’autoritarisme allemand. L’offensive débuta donc en juin, mais l’état d’esprit des soldats et des ouvriers s’était déjà profondément modifié. La propagande patriotique n’avait plus autant d’effet. Si quelques régiments obéirent, une large partie de l’armée refusa de monter au front. Dans son Histoire de la Révolution russe, Trotsky cite ce courrier qu’adressa au gouvernement provisoire un colonel qui commandait le 61e régiment : « Il ne nous reste, à moi et aux officiers, qu’à nous sauver, étant donné que, de Petrograd, est arrivé un soldat de la 5e compagnie, un léniniste… Beaucoup des meilleurs soldats et officiers se sont déjà enfuis ». À Petrograd, le quartier ouvrier de Vyborg était en ébullition. Son soviet adopta une résolution qui déclarait : « Nous... protestons contre l’aventure du gouvernement provisoire qui mène l’offensive pour de vieux traités de pillage… et nous rejetons toute la responsabilité de cette politique d’offensive sur le gouvernement provisoire ainsi que sur les partis qui le soutiennent, mencheviks et socialistes-révolutionnaires ». En juillet, l’offensive se solda par un échec cuisant, et elle finit de convaincre les troupes au front de l’inutilité de cette guerre et de ses millions de victimes. 

Depuis leurs premiers tracts diffusés clandestinement en 1914, en passant par l’agitation ouverte après la Révolution de Février 1917, le chemin avait été long pour les bolcheviks, mais ils étaient finalement parvenus à faire progresser la conscience que cette guerre avait pour seul but d’enrichir quelques capitalistes. Dans les mois qui suivirent, ils gagnèrent à leurs idées la majorité des ouvriers et des soldats du pays. Les ouvriers comprirent que pour faire face au sabotage par la bourgeoisie, ils devaient imposer leur contrôle sur l’économie. Du coté des paysans, une partie importante d’entre eux commençait à soutenir les bolcheviks, car c’était le seul parti qui soutenait le partage des terres des grands propriétaires terriens. En octobre 1917 (novembre), les bolcheviks, devenus majoritaires dans les soviets, firent tomber le gouvernement provisoire et remirent le pouvoir aux mains du Congrès panrusse des soviets. La première déclaration de ce Congrès concernait la guerre et proclamait : « Le gouvernement ouvrier et paysan, créé par la révolution des 24-25 octobre et s’appuyant sur les soviets de députés, ouvriers, soldats et paysans, propose à tous les peuples belligérants et à leurs gouvernements d’entamer dès immédiatement des pourparlers pour une paix juste et démocratique »

Une fois la déclaration sur la paix votée, il fallait la mettre en application : ce n’était pas une mince affaire pour le nouveau gouvernement soviétique. Parmi les institutions de l’État bourgeois, celles qui ne s’étaient pas totalement effondrées étaient clairement hostiles au pouvoir des soviets. Quand Trotsky, nommé commissaire du peuple aux Affaires étrangères, voulut rendre publics les traités secrets conclus avec les Alliés par le gouvernement du tsar puis par le gouvernement provisoire, il trouva un ministère fermé où les hauts fonctionnaires s’étaient mis en grève, et les documents secrets avaient été emportés et cachés. De la même façon, la plupart des officiers de l’armée refusèrent d’appliquer les décisions du nouveau gouvernement. Les bolcheviks ne pouvaient compter que sur l’initiative des classes exploitées ; quand le Conseil des commissaires du peuple exigea du général en chef Doukhonine qu’il engage des négociations d’armistice avec les Austro-Allemands, celui-ci refusa : le gouvernement adressa alors un message aux soldats pour qu’ils destituent leur général. Les soldats se révoltèrent contre leur état-major et remplacèrent Doukhonine par un sous-lieutenant bolchevik, Krylenko. 

Chercher le soutien des exploités et des opprimés de tous les pays 

L’esprit d’initiative et l’énergie des soldats et des ouvriers russes étaient immenses, mais ils n’étaient pas à eux seuls capables d’imposer aux pays impérialistes l’arrêt de la guerre. La bourgeoisie allemande savait que l’armée russe tombait en lambeaux et qu’elle pouvait tirer de cette situation un accord de paix désastreux pour le nouveau pouvoir soviétique. Les bolcheviks avaient également conscience qu’ils n’allaient pas pouvoir résister aux pressions militaires et économiques du monde capitaliste sans se trouver des alliés, lesquels ne pouvaient être les gouvernements des autres pays ; ils firent alors appel à l’initiative et à l’action directe des ouvriers et des soldats, mais cette fois-ci du monde entier. Les révolutionnaires russes étaient convaincus que la révolution n’allait pouvoir survivre sans s’étendre à d’autres pays plus développés. Trotsky déclarait, au lendemain de la révolution : « Si les peuples d’Europe ne se soulèvent pas pour écraser l’impérialisme, c’est nous qui serons écrasés. Ou bien la révolution russe va déclencher une cascade de luttes en Occident, ou bien les capitalistes de tous les pays vont étouffer notre lutte »

La perspective d’une extension était donc clairement à l’ordre du jour : la Révolution russe devait jouer le rôle d’étincelle dans cette poudrière qu’était l’Europe de 1917. Dès le mois d’avril, l’Allemagne avait connu sa première grande grève depuis le début de la guerre : 300 000 ouvriers s’étaient mobilisés pendant plusieurs jours pour réclamer du pain et défendre certaines revendications politiques, comme la fin de la guerre ; l’armée française fut confrontée à d’importantes mutineries tout au long de l’année ; en août, en Italie, la ville de Turin connut une série d’émeutes ouvrières. Les bolcheviks mirent donc toute leur énergie pour encourager ces révoltes et faire émerger dans le prolétariat européen une conscience communiste et internationaliste. 

Ainsi, ils utilisèrent les pourparlers avec l’Allemagne pour s’adresser directement aux soldats allemands. Trotsky, désigné pour mener ces pourparlers, décida d’en faire une tribune internationale pour dénoncer la guerre et prouver aux travailleurs qu’ils n’avaient aucun intérêt à se faire tuer pour leur bourgeoisie. Quand il arriva à Brest-Litovsk, où avaient lieu les négociations, il commença par distribuer des tracts aux soldats allemands, les appelant à faire la révolution dans leur propre pays, avant même de s’adresser aux officiers. Par la suite, le refus systématique des généraux allemands de signer une paix immédiate et sans annexion lui permit de faire la démonstration, aux yeux des ouvriers allemands, hongrois ou turcs, que leur sacrifice ne servait qu’à satisfaire l’appétit des capitalistes allemands. Cette stratégie trouva toutefois sa limite lorsque l’Allemagne rompit les négociations et décida de relancer l’offensive contre la Russie. En quelques jours, le front russe se morcela et l’armée allemande pénétra profondément dans les terres. Lénine avait compris que la révolution allemande n’était pas encore assez mûre pour arrêter cette offensive militaire : il mit tout son poids pour que le nouveau gouvernement soviétique signe un accord très désavantageux avec l’Allemagne, afin de permettre à la Russie révolutionnaire de tenir en attendant la révolution européenne. 

Les bolcheviks ne se contentaient pas d’écrire des déclarations ou de faire des discours, ils menaient aussi un véritable travail d’agitation en direction des tranchées allemandes. Ils éditaient par exemple un journal quotidien en langue allemande, Die Fackel (« La Torche »), qu’ils diffusaient massivement chez les prisonniers allemands et par largages aériens au-dessus des tranchées. Ce travail d’agitation permit de convaincre jusqu’à 10 000 prisonniers allemands et autrichiens, qui se constituèrent en organisation sociale-démocrate des prisonniers de guerre en Russie ; ils formèrent même un soviet des prisonniers de guerre internationalistes, qui rassemblait 400 délégués. Les révolutionnaires russes octroyaient la nationalité et les mêmes droits à tous les étrangers qui décidaient de rester en Russie. 

Cette politique internationaliste en direction de soldats finit par porter ses fruits : en novembre 1918, les marins de la flotte allemande furent les premiers à se révolter contre le régime impérial. En quelques jours, la révolution se propagea dans tout le pays, entraînant la chute du pouvoir impérial et la fin de la guerre. La révolution s’étendit aussi en Europe de l’Est. La Hongrie connut une éphémère république soviétique en 1919, dirigée par Béla Kun, un militant gagné aux idées communistes dans les camps de prisonniers en Russie. L’année suivante, l’Italie se couvrit aussi de conseils ouvriers. 

La vague révolutionnaire fut assez forte pour ébranler les gouvernements impérialistes européens et les empêcher d’envahir directement la Russie des Soviets, mais pas assez pour renverser le capitalisme à l’échelle du continent et du reste du monde. Dans tous ces pays, les partis social-démocrates de la IIe Internationale jouèrent le rôle de chiens de garde de la bourgeoisie et menèrent les masses de soldats et d’ouvriers dans des impasses. Durant les années qui suivirent la Première Guerre mondiale, aucun parti communiste en Europe ne fut assez puissant et expérimenté pour entraîner les ouvriers et les soldats vers la révolution communiste. La Russie des Soviets resta donc isolée, dans un contexte de sous-développement et d’arriération hérité de l’ancien régime. Elle dut encore subir une guerre civile jusqu’en 1921, les anciens généraux tsaristes ayant reconstitué des armées avec l’aide des pays impérialistes. À la fin de cette période, la révolution était épuisée, ce qui permit à une minorité de bureaucrates contre-révolutionnaires, avec à leur tête Staline, d’enlever le pouvoir des mains de la classe ouvrière.

Mathias Grange