Le jour même où le gouvernement Macron présentait son projet de
loi « pour redonner confiance dans la vie démocratique », un de ses
ministres les plus emblématiques, Richard Ferrand, était visé par
l’ouverture d’une enquête préliminaire suite au dépôt de plainte de
l’association anti-corruption Anticor...
«Cette enquête
aura pour but de recueillir tout élément permettant une analyse complète
des faits et de rechercher si ceux-ci sont susceptibles ou non de
constituer une infraction pénale en matière d’atteinte aux biens, de
manquements au devoir de probité et aux règles spécifiques du Code de la
mutualité ».
Rien d’illégal...
Ferrand,
député socialiste depuis 2012, a fait acheter à crédit en 2011 par sa
compagne un local afin de le louer aux Mutuelles de Bretagne, société
dont il était le directeur général. Une fois le crédit remboursé, la
valeur de la SCI était estimée à 3 000 fois le montant du capital
initial de 100 euros, soit 300 000 euros, le prix du local. Une très
bonne affaire... Et tout à fait légale, dit Ferrand. Gagner beaucoup
d’argent en investissant dans l’immobilier, grâce à des facilités
bancaires accordées sur la garantie d’une rentrée d’argent régulière et
fiable, effectivement, quoi de plus banal pour toute une frange de la
bourgeoisie ! D’ailleurs Ferrand est visiblement un adepte des
opérations immobilières puisqu’il a revendu au PS le local qu’il avait
acheté pour sa campagne de député.
Quant au fait qu’il soit resté
chargé de mission des Mutuelles de Bretagne, rémunéré 1 250 euros par
mois, pendant toute la législature 2012-2017, rien d’illégal non plus.
Quant à l’emploi de son fils comme assistant parlementaire en 2014, rien
d’illégal non plus. Et qu’il ait embauché comme assistant
parlementaire, le compagnon de sa successeure à la direction des
Mutuelles de Bretagne, rien d’illégal non plus... Quant à la morale, ce
qu’il y a d’encombrant avec elle, c’est que c’est toujours celle des
autres !
Les arroseurs arrosés
« C’est une difficulté, qui alourdit quelque peu la campagne »,
a lâché Bayrou dimanche dernier à propos de l’affaire Ferrand. En
effet, celui-ci faisait figure de chevalier blanc au moment de l’affaire
Fillon. Très proche de Macron et figure de proue des ralliements
socialistes, Ferrand met son ami président dans un bel embarras, lui qui
a pilonné pendant toute sa campagne sur la « moralisation de la vie politique ».
Pour l’instant Macron soutient Ferrand comme la corde le pendu, en
traçant la ligne rouge sur la mise en examen, et Ferrand tresse lui-même
la corde en affirmant que « seul le suffrage universel sera son juge ».
Si
on se réfère au cas Fillon, cela risque de s’avérer fatal pour lui.
Mais il peut au moins se consoler avec les mésaventures de sa collègue
ministre Marielle de Sarnez et membre du Modem, visée par une enquête
pour abus de confiance et emploi fictif, ainsi que 19 autres
eurodéputés. François Bayrou, ministre de la Justice et président du
Modem, s’est du coup permis de relayer « sur son compte Twitter personnel »
un communiqué de sa collègue ministre, affirmant qu’il n’y a jamais eu
d’emplois fictifs au Modem ! L’indépendance de la justice ne vaut
visiblement pas pour De Sarnez !
Une morale soluble dans le capital
Plusieurs mesures sont annoncées dans le projet de loi présenté par Bayrou, dont le terme « moralisation »
a d’ailleurs disparu du titre : l’interdiction pour les parlementaires
d’embaucher des membres de leur famille, la fin de la Cour de justice de
la République pour juger les ministres (ils ne seront quand même pas
jugés en correctionnelle, mais par les magistrats de la Cour d’appel de
Paris), la fin de la réserve parlementaire (ces sommes d’argent
distribuées sans justification, au feeling de l’élu), l’interdiction
d’emprunter à une banque extra-européenne, entre autres.
Mais
l’obligation d’avoir un casier judiciaire vierge pour se présenter aux
élections, de publier les noms des gros donateurs, de publier son
patrimoine pour les parlementaires, n’ont pas été retenues... de même
qu’aucune contrainte à l’égard des opérations de lobbying des grands
groupes capitalistes. Il ne faut quand même pas exagérer ! Les plus
grosses affaires, celles du capital, vont pouvoir se poursuivre tout
tranquillement car quand on regarde la liste de toutes les sociétés
privées par lesquelles ont transité nombre de membres du gouvernement :
Dassault, Schneider Electric, Danone-Nestlé, Crédit Agricole, Thalès,
Havas, etc. On se dit que ce sera plus pratique pour signer les
contrats !
Marie-Hélène Duverger