État policier : en marche contre la montée de la contestation sociale

Retour sur l'année 2018. Face au mouvement des Gilets Jaunes et à la mobilisation lycéenne de ces deux derniers mois, une impression d’inédit se dégage lorsqu’on fait le bilan de l’arsenal répressif utilisé par le pouvoir en place. C’est sans doute d’abord le terrible décompte des victimes physiques de la violence policière qui est sidérant. 

Une femme de 80 ans est morte à Marseille, touchée chez elle en pleine face par un tir tendu de grenade lacrymogène. Parmi les manifestants en gilet jaune, au moins quatre ont eu la main arrachée par une grenade GLI-F4, et au moins dix ont été éborgnés par un tir de flash-ball. Des centaines d’autres ont été blessés dans leur chair, souvent gravement, dont trois lycéens, à Grenoble, Garges-lès-Gonesse et Saint-Jean-de-Braye, aux tous premiers jours de la mobilisation, par des tirs de flash-ball en plein visage. Mâchoires fracassées, dents brisées, joues trouées pour ces jeunes de 16 à 17 ans qui ­manifestaient devant leur lycée ! 

Une police armée pour la guerre

La « grenade lacrymogène instantanée» GLI-F4 est mal nommée car elle est très peu lacrymogène mais surtout explosive et assourdissante. Depuis le retrait, en 2017, de la grenade F1 qui avait tué Rémi Fraisse à Sivens, elle est la grenade la plus puissante de la panoplie des gendarmes mobiles. Elle contient une charge explosive de 25 grammes de TNT, ce qui fait d’elle une arme de guerre. La France est le seul pays d’Europe à l’utiliser pour des opérations de police. Le flash-ball ou « lanceur de balle de défense », LBD 40, est lui aussi une arme mutilante, et le nombre exponentiel de mutilés au visage démontre que les policiers visent désormais délibérément cette partie du corps. À Paris, le préfet de police avait pourtant annoncé, en décembre 2017, avoir « pris la décision d’interdire l’usage du LBD 40 dans les opérations de maintien de l’ordre, au regard de sa dangerosité et de son caractère inadapté dans ce contexte ». Un an plus tard, cela n’a visiblement plus cours puisque, pour la seule journée du 1er décembre, le ministère de l’Intérieur annonçait le tir de 1 193 « projectiles en caoutchouc » dans la capitale ! 

Le flash-ball est né dans le cadre des guerres coloniales en Irlande du Nord et en Palestine. En France, il s’est d’abord répandu au début des années 2000 au sein de la BAC, ces unités « commandos » de la police chargée des quartiers populaires. Puis son usage s’est généralisé dans la répression des mouvements sociaux hors des quartiers populaires depuis les années 2010. Comme dans le cas de l’usage des grenades explosives, on assiste, avec l’avènement de l’ère sécuritaire assumée par les gouvernements successifs depuis une dizaine d’années, à une banalisation de la mutilation dans les arsenaux d’État. 

Un arsenal juridique au service de l’État fort

L’État violente, mutile et, en outre, contraint et condamne de manière de plus en plus disproportionnée toutes celles et ceux qui contestent l’ordre établi. La panoplie utilisée est, là aussi, large. Il y a ainsi toutes les procédures de restriction des libertés fondamentales décidées par l’autorité administrative, qui sont la conséquence directe de l’intégration de dispositions relevant de « l’état d’urgence » (donc censées être limitées dans le temps) dans la loi ordinaire depuis le 1er novembre 2017. Ainsi, le dispositif établi autour des Champs-Élysées lors des samedis de décembre est celui dit « des zones de sécurité », qui permet d’installer des contrôles renforcés sur une zone déterminée, comme des contrôles filtrants pour accéder à la zone en question ou encore la fouille au corps des individus souhaitant  y entrer. L’interdiction des manifestations et la criminalisation de celles et ceux qui veulent y participer sont également de plus en plus courantes. Ainsi à Nancy le 8 décembre, Florent Compain, président des Amis de la Terre France, a été arrêté, puis placé en garde à vue pour avoir maintenu la marche pour le climat, malgré un arrêté préfectoral d’interdiction. Denys Crolotte, militant du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN), a subi le même sort et fait lui aussi l’objet d’une enquête préliminaire. Ce sont des arrestations punitives ciblées. 

À une autre échelle, c’est l’utilisation de l’article 222-14-2 du Code pénal qui fait des ravages. Les milliers de personnes arrêtées de manière préventive avant les manifestations le sont sur la base de cet article, qui sanctionne d’une peine d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende le fait de « participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens ». Cette infraction a été introduite en 2010, sous Nicolas Sarkozy, dans le cadre de la lutte contre les « casseurs ». C’est ce que l’on appelle une « infraction-obstacle », dont le but est de permettre l’interpellation d’une personne avant qu’elle ne commette le moindre délit. Désormais, le simple fait de posséder un masque à gaz ou un casque justifie une arrestation… 

Et pour celles et ceux qui tombent dans le filet des comparutions immédiates pour la simple possession d’objets assimilés à des « armes par destination », c’est souvent la prison ferme ou avec sursis, même pour des personnes n’ayant jamais fait l’objet de condamnations antérieures. Un cas parmi tant d’autres : Jérôme, 26 ans, intérimaire, venu de la Nièvre manifester à Paris le 1er décembre, a écopé de 3 mois de prison avec sursis après avoir été interpellé en possession d’un masque de ski, d’un casque de vélo, de cinq fioles de sérum physiologique et d’un lance-pierres ! Et on peut désormais être condamné à de la prison pour avoir bloqué sa fac et participé à des assemblées générales, comme les deux étudiants de Nanterre, Victor et Roga, dont le procès en appel aura lieu dans quelques mois. Ou bien pour avoir aidé des migrants à franchir les cols des Alpes comme les 3 + 4 de Briançon !

La violence d’État, agent de la violence sociale

D’un côté, des lycéens forcés à rester agenouillés les mains sur la tête pendant plusieurs heures, de l’autre des policiers choyés par une augmentation de salaire, et toujours plus encouragés à la violence, à tel point que certains se mettent à sortir leur arme à feu en pleine manifestation. D’un côté une contestation sociale qui s’élargit, de l’autre un pouvoir au ­service des riches et des patrons, qui n’a plus que la répression comme réponse. La criminalisation de la contestation sociale est l’arbre qui cache la forêt de la criminalisation de l’exclusion sociale. La nombre de prisonniers en France vient encore de battre un nouveau record : plus de 71 000 ! Dont 1 500 dorment par terre car les prisons sont surpeuplées… L’État sécuritaire et autoritaire est décidément l’arme ultime de ceux qui veulent ­préserver le monde capitaliste pourrissant. 

Marie-Hélène Duverger
dans l'hebdo L'Anticapitaliste n° 457 (05/01/19)