Depuis 25 ans, La Poste est un véritable laboratoire de mise à sac du service public. Elle a d’abord diminué son nombre de fonctionnaires, puis carrément mis fin aux concours. Mais la charge de travail, elle, était toujours là, et c’est donc par la petite porte que peu à peu ont été embauchés des contractuels, puis des intérimaires. En quelques années, leur nombre a considérablement augmenté, et à la division des métiers s’est ajoutée celle des statuts.
Puis est venue la seconde phase, celle des réorganisations accompagnant le discours autour de la « nécessaire rentabilité » du service public. Pour y procéder, la recette n’est guère différente de celle appliquée dans les boîtes du privé : quand on veut engraisser les dirigeants et développer les services marchands, c’est la part mise dans le travail qui saute. Les réorganisations, ce n’est ni plus ni moins que cela : des suppressions de tournées, donc de postes, avec pour conséquence une augmentation de la charge de travail, et inévitablement une multiplication des accidents de travail liés à une pénibilité accrue. Le service rendu aux usagers se détériore faute de moyens suffisants pour faire face à l’afflux de courrier, dont le format change (davantage de colis) mais pas le flux.
La troisième étape en cours a lieu en ce moment même : il s’agit de rendre payants des services qui autrefois ne l’étaient pas – comme une simple conversation amicale avec une personne âgée – ou bien, sous couvert de simplification du service, d’introduire de nouvelles contraintes comme la distribution de publicité non adressée ou de petits colis.
Et comme ce repaire de DRH et de PDG est sous la coupe de cadres supérieurs issus des meilleures écoles de management, les réorganisations ne sont pas réalisées toutes en même temps.
Depuis plus de 10 ans maintenant, c’est avec une stratégie de regroupement des luttes contre les dérégulations de leurs métiers que les militants syndicalistes – et pour certains, politiques – de La Poste du 92 ont réuni autour d’eux une équipe de postières et de postiers qui mènent des grèves longues, offensives, dont les perspectives vont à la fois au-delà du département et de leur secteur, pour s’interroger sur la nécessité d’affronter ce monde qui nous exploite, nous opprime et nous déshumanise.
Trois conflits, parmi ceux menés depuis plus d’une décennie dans le département des Hauts-de-Seine, reflètent ces choix.
En 2009, la direction de La Poste a voulu mettre en place « Facteurs d’avenir », projet introduisant l’auto-remplacement en cas d’absence des agents, et ayant pour conséquence l’augmentation de la charge de travail. La grève, partie le 12 janvier d’un bureau (Boulogne-Billancourt), allait toucher 25 centres un mois et demi plus tard. Ce résultat a été obtenu par une politique consciente visant à tenter, à partir de la colère s’exprimant par la grève sur un centre, de chercher à étendre celle-ci à d’autres bureaux afin de rompre avec l’isolement et la stratégie du « bureau par bureau » que veut imposer la direction. C’était la première fois qu’autant de bureaux se mettaient en grève en même temps ; reposant sur la politique menée par les militants révolutionnaires, cette spécificité s’est évidemment accompagnée d’un refus des négociations au cas par cas. Cette grève a abouti à un protocole de fin de conflit départemental, avec l’idée qu’on ne pouvait pas arrêter la grève tant que chaque bureau n’avait pas obtenu satisfaction sur le report des différentes réorganisations (à l’époque, « Facteurs d’avenir »). Un tel résultat ne s’est produit nulle part ailleurs : dans d’autres régions, tous les conflits ont eu lieu bureau par bureau, et quand il y avait plusieurs bureaux en lutte, la direction a négocié séparément avec chacun et a donc pu disloquer le collectif qui était en conflit. Dans les Hauts-de-Seine, en revanche, un groupe militant a vu le jour, jeune, à une échelle départementale, avec toute la politique d’assemblées générales, de comité de grève et d’extension des mouvements qui est à la base de toute notre activité.
2014 : unir les métiers dans la lutte !
La grève de 2014 a permis de mesurer les gains de cette orientation. Avec une dimension explicitement politique, contre la précarité, elle est partie du refus du licenciement de quatre collègues précaires dans un bureau. Cette lutte n’a pas seulement été menée par les précaires concernés, mais par la quasi-totalité du bureau (87 % de grévistes le premier jour). À la politique d’extension de la grève – laquelle a duré plus de 6 mois – s’est ajoutée une politique d’alliance, de combat commun avec les intermittents du spectacle et les précaires, et également une grève reconductible commune pendant une phase d’une dizaine de jours entre deux métiers différents, facteurs et agents de plate-forme colis, ce qui était complètement inédit. Pour les grévistes de La Poste, l’union avec les précaires et les intermittents a été une expérience qui leur a fait réaliser que c’est grâce à l’action commune avec d’autres secteurs qu’il est possible de gagner.
2016 : consolidation des acquis et constitution du Front social
En 2016, cette même expérience a été élargie à la CGT Goodyear et Info’Com, à des secteurs issus de la jeunesse libertaire, « autonome », et a débouché sur la formation du Front social. Il s’agit de l’approfondissement d’une politique qui ne peut se limiter au secteur postal.
Depuis 10 ans, toutes les grèves menées par les postières et postiers des Hauts-de-Seine ont été victorieuses. Elles ont à chaque fois été confrontées à un haut degré de répression, la direction de La Poste et la police œuvrant main dans la main pour tenter de briser celles et ceux qui leur tenaient tête.
L’un des éléments fondamentaux a été de n’avoir jamais minimisé la question de la répression, et de la replacer toujours dans la lutte plus globale entre exploités et exploiteurs. Pour se donner les moyens d’une politique et montrer qu’elle était juste, il fallait aussi défendre bec et ongles celles et ceux qui étaient sanctionnés. Ainsi, les camarades qui sont aujourd’hui responsables départementaux de Sud Poste 92, syndicat majoritaire à La Poste dans les Hauts-de-Seine, ont toujours maintenu le salaire et surtout l’activité des militants mis à pied.
Au regard de cette décennie de luttes, de la constitution d’une équipe militante soudée et déterminée, de la création de liens interprofessionnels et interluttes, on prend toute la mesure de l’importance d’une issue victorieuse à la grève de 2018. C’est un enjeu majeur, pour les grévistes en particulier, pour les personnels de La Poste en général, mais aussi pour tous les travailleurs qui, en relevant la tête, se heurtent systématiquement à la violence et à la répression patronales et gouvernementales.
Correspondante