Le bras armé du Capital

Depuis quelques années maintenant, et notamment depuis le mouvement contre la loi Travail de 2016, les violences policières et la répression contre les mouvements sociaux sont devenues la règle. On ne compte plus le nombre de victimes de « bavures », ni les interpellations lors de manifestations. Les blessures graves infligées au jeune Théo, en 2017, rappellent également que les violences policières existent depuis longtemps dans les quartiers populaires. 

Opération de maintien de l’ordre… social 

Depuis novembre, la répression est encore montée d’un cran à l’occasion du mouvement des « gilets jaunes ». Le nombre de manifestants ayant perdu un œil, une main ou ayant été atteints par un tir de LBD – comme Jerôme Rodrigues, figure du mouvement, ou encore Louis Boyard, président de l’UNL – est impressionnant. 

La répression ne se limite évidemment pas aux « gilets jaunes » : ainsi, les lycéens qui se sont mobilisés en décembre contre la réforme du bac ont fait face à une stratégie répressive visant à terroriser pour enrayer les mobilisations. Les images de Mantes-la-Jolie, avec cette classe de lycéens à genoux les mains sur la tête, menacés par la police, ont choqué une large part de la population. 

Si elle devient systématique, cette politique répressive n’est pas nouvelle pour autant, et elle frappe partout où la contestation ose s’afficher. Les universités n’y ont pas échappé : lors du mouvement contre la sélection au printemps 2018, on a assisté à des évacuations brutales d’universités par la police. À Lille, le premier jour des partiels, les policiers n’ont pas hésité à asperger de lacrymogènes les étudiants ; et à Nanterre, début avril, sept étudiants qui se rendaient en AG ont été interpellés après une intervention des CRS. Les travailleurs grévistes doivent également y faire face, comme les enseignants toulousains attaqués à la lacrymo devant le rectorat, ou les postiers et postières des Hauts-de-Seine qui ne comptent plus leurs convocations au commissariat. Dans les entreprises, la répression patronale s’ajoute à la répression policière : à l’issue de la grève à la SNCF en 2018, de nombreux cheminots ont été visés par des demandes de radiations et des sanction disciplinaires notables. 

Première ligne de défense de la bourgeoisie 

Pour justifier ces exactions, les politiciens invoquent les lois de la République et l’état de droit, comme si le gouvernement, ses hauts fonctionnaires et ses organes répressifs – police, armée, tribunaux – étaient placés au-dessus de la société et n’étaient que la représentation fidèle de la population entière et de ses intérêts. Mais les faits quotidiens rattrapent bien vite cette propagande. La répression ne s’exerce pas au hasard. La police qui tire au LBD dans le visage des « gilets jaunes » n’a jamais passé au crible les beaux quartiers pour y trouver les fraudeurs fiscaux. Elle n’a jamais interpellé les patrons voyous qui ne respectent pas les droits des salariés. La justice condamne les manifestants et poursuit des travailleurs en lutte, comme les trois postiers des Hauts-de-Seine mis en examen sur la base d’un dossier bidon, mais elle a su faire preuve de clémence à l’encontre d’Alexandre Benalla, protégé en haut lieu, qui est aujourd’hui libre. Et ces exemples sont loin d’être des exceptions. 

Derrière les forces répressives auxquelles nous avons affaire lors des mobilisations sociales, il y a bien entendu des commanditaires. Mais au-delà de tel préfet ou de tel ministre de l’Intérieur, il y a tout un État au service de la classe dominante : une « machine destinée à maintenir la domination d’une classe sur une autre », comme l’expliquait Lénine. La police en est un rouage, un appareil répressif chargé d’imposer par la force les intérêts de la bourgeoisie. La tâche de la police et de la gendarmerie consiste à « encadrer » les manifestations et à mater la contestation sociale et les révoltes chaque fois que le gouvernement en place le juge nécessaire. Ces corps armés protègent la stabilité du pouvoir capitaliste contre tout ce qui pourrait provoquer une crise sociale ou politique, tout ce qui pourrait un tant soit peu menacer les affaires de la bourgeoisie. C’est ce dont témoigne la dérive autoritaire actuelle face au mouvement des « gilets jaunes » comme aux grèves et à tous les mouvements sociaux. Si le gouvernement met en œuvre une telle politique, c’est parce que la classe capitaliste sait que la peur pourrait très vite changer de camp si la mobilisation d’une fraction des classes populaires entraînait largement la classe ouvrière dans l’action. 

Il y a déjà plus d’un siècle que Friedrich Engels a défini l’État comme étant avant tout composé de « détachements spéciaux d’hommes armés », prêts à imposer le respect de l’ordre social par la force et disposant du monopole de la violence légale, sans lesquels la société capitaliste fondée sur l’exploitation d’une majorité par une minorité de parasites ne pourrait exister. 

Encadrement idéologique 

Mais la violence seule ne peut suffire pour maintenir une société inégalitaire. Les capitalistes cherchent à ce que les travailleurs acceptent comme étant juste ou au moins inévitable le fait qu’ils sont exploités. Pas besoin de matraques quand les pauvres restent à leur place. L’État rempli également des fonctions idéologiques, qui en dernière instance visent à nous empêcher de prendre conscience de notre situation et de nos intérêts réels. C’est ce qui explique que d’ordinaire, l’État apparaît comme une institution immuable se plaçant au-dessus de la société et jouant le rôle d’arbitre au nom de l’intérêt général. 

Aujourd’hui, l’encadrement idéologique est de plus en plus flagrant, avec des mesures comme la (re)mise en place d’un service national universel (SNU) pour les jeunes à partir de 16 ans. Ce SNU ne sera en réalité rien d’autre qu’un cadrage idéologique, avec port de l’uniforme et salut au drapeau. Dans le même ordre d’idées, avec l’obligation d’accrocher le drapeau tricolore et les paroles de la Marseillaise dans toutes les salles de classe, l’objectif est d’inculquer dès le plus jeune âge le respect de la « République », de ses « valeurs », et l’appartenance à la « Nation ». 

Dans la société bourgeoise, l’idéologie dominante présente les citoyens comme étant tous égaux devant un État impartial, garant du respect de la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité ». En réalité, il n’y a pas d’égalité possible entre le citoyen exploiteur et le citoyen exploité, et le pouvoir des citoyens se réduit à l’usage occasionnel du bulletin de vote. Les droits civiques sont limités par un droit supérieur, le droit de propriété de ceux qui possèdent les moyens de production et d’échange. 

Par et pour la classe bourgeoise 

L’État permet à la bourgeoisie d’accumuler les profits, en faisant la guerre aux quatre coins du monde, en pillant des pays et des continents entiers, et en accentuant l’exploitation des travailleurs. De nombreuses lois, comme les deux lois Travail en 2016 et 2017, et la réforme du rail l’an passé, ont été instituées au prétexte que l’économie est en crise. C’est toujours aux classes populaires, aux travailleurs et aux travailleuses, de se serrer la ceinture, d’accepter les réorganisations et les baisses de salaire, soi-disant pour le bien collectif... alors que ce sont toujours les mêmes qui s’enrichissent. Les caisses seraient vides pour financer les services publics utiles à la population, mais des milliards sont toujours disponibles quand il s’agit de faire des cadeaux aux grandes entreprises. Que cela soit sous la forme d’exonérations fiscales, de plans de relance ou de mesures antisociales contre les droits des salariés, l’État sert toujours les intérêts économiques du patronat. 

L’État, ses institutions, son appareil militaire et policier, ont été conçus par la bourgeoisie et pour ses seuls intérêts. C’est pour cette raison qu’il ne suffira pas de changer le conducteur de cette machine pour qu’elle se mette au service des classes populaires. Selon Lénine, « L’affranchissement de la classe opprimée est impossible, non seulement sans une révolution violente, mais aussi sans la suppression de l’appareil du pouvoir d’État crée par la classe dominante »

Loïe Florès