Du nouveau du côté des luttes et des grèves de travailleurs sans-papiers

L’été dernier, l’occupation de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et du Panthéon par les « gilets noirs » a été un signal : la détermination qui avait animé la mobilisation contre la loi Travail et les manifestations des « gilets jaunes » se retrouve également dans les luttes des travailleurs et des travailleuses sans-papiers. 

Les « gilets noirs » entrent dans la danse 

Leurs luttes témoignent d’une volonté explicitement politique de s’attaquer à l’État et pas seulement à tel ou tel employeur, de faire la démonstration que malgré leur condition de travailleurs parmi les plus précaires, ils n’ont pas peur de s’affronter aux forces de répression et de viser les plus hauts niveaux de responsabilité en s’adressant au Premier ministre… Une telle détermination est admirable. Cependant, en termes de résultats concrets, peu de régularisations ont été obtenues pour le moment ; mais si les « gilets noirs » n’ont pas été en mesure de bousculer d’un coup le rapport de force, il ne s’agit pourtant pas d’un coup de colère sans lendemain. 

Chronopost en grève 

À la même période a débuté un mouvement qui présente des caractéristiques originales : une quarantaine de salariés de Chronopost – épaulés sur leur piquet par plusieurs dizaines de salariés d’autres entreprises, par le Collectif des sans-papiers de Vitry et par Solidaires 94 –, sont entrés en grève le 11 juin. Situés tout en bas d’une cascade de sous-traitants, parmi lesquels le groupe Derichebourg, ils sont employés par Chronopost, filiale hautement rentable du groupe La Poste. C’est une grève qui s’attaque donc à l’État, propriétaire de ce dernier, et qui révèle que la surexploitation des travailleuses et des travailleurs sans-papiers est organisée de manière institutionnelle, et non par tel ou tel employeur « voyou ». Les liens entre grévistes de plusieurs entreprises constituent une force potentielle d’extension du conflit, qui a d’ailleurs essaimé à la Compagnie Parisienne de Nettoyage – sous-traitante de la mairie de Sèvres – dont les employés sont entrés en grève le 5 octobre. Et le mouvement regroupe non seulement des salariés actuellement employés par Chronopost, mais aussi des anciens salariés injustement licenciés, qui sont soit au chômage, soit ont abandonné leur emploi actuel pour s’impliquer dans la grève. La préfecture du Val-de-Marne et les dirigeants de La Poste, parfaitement conscients des enjeux, misent sur l’isolement des grévistes de Chronopost. 

Grèves coordonnées CGT 

Le déclenchement de 12 piquets de grève de travailleurs sans-papiers coordonnés par la CGT le 1er octobre a créé l’opportunité d’un regroupement des conflits. La force numérique des grévistes et leur coordination ont constitué une force indéniable, qui a contraint les pouvoirs publics à entrer en négociation sur des régularisations. La grève a aussi permis de réintégrer des travailleurs licenciés pour avoir demandé des papiers, de faire passer des temps partiels en temps pleins ou des emplois saisonniers en CDD longue durée, d’obtenir le paiement d’heures supplémentaires non payées, etc. 

L’utilisation de la grève, « arme fatale des travailleurs », pèse de manière décisive. Les grèves de 2008-2009 étaient parvenues à faire accepter sur le papier différents critères qui harmonisent les pratiques des préfectures (circulaire Valls de 2012), facilitant la régularisation d’un nombre significatif de sans-papiers. 

Les grèves CGT de 2018 et 2019 ont permis d’obtenir des régularisations au-delà des critères Valls. Mais tous les salariés sans-papiers des entreprises ciblées ne participent pas à la grève : ils sont « sélectionnés » à l’entrée sur des critères établis par la CGT en fonction de ce qu’elle estime être « gagnable ». Certes, du point de vue des résultats, cette façon de procéder est efficace pour celles et ceux qui ont été retenus. Mais comment construire une mobilisation d’ensemble des salariés sans-papiers, si dès le départ on divise les collectifs de travail qui veulent entrer en lutte, et si l’on décide des modalités et des objectifs de la lutte à la place des travailleurs eux-mêmes ? 

Et maintenant ? 

Les grèves menées par Solidaires et la CGT suivent des chemins séparés, avec évidemment des niveaux de responsabilités différents dans cet état de fait. 

Organisé à la Bourse du Travail de Paris par un cadre unitaire comprenant Solidaires et la CNT-Solidarité Ouvrière, le meeting du 22 octobre 2019 a fait salle comble, rassemblant 400 travailleurs sans-papiers. Que pourrait donner une grève coordonnée de l’ensemble des sans-papiers d’un nombre significatif d’entreprises, qui effacerait les divisions syndicales et la logique de « tri » des grévistes ? Une telle grève équivaudrait à la constitution d’une force sociale puissante, qui pourrait poser la question de la solidarité et de la grève auprès des salariés qui ont des papiers. Elle placerait l’État et les employeurs face à leur propre hypocrisie, qui consiste d’un côté à favoriser la démagogie raciste et anti-immigrés, et de l’autre, à avoir recours systématiquement à une main-d’œuvre dépourvue de droits car sans-papiers. 

Carlita Garl & Hosea Hudson