Le système de santé en France : en crise permanente
L’hôpital public n’a pas souffert d’un désintérêt du pouvoir politique. Depuis 1995 les réformes se sont succédé, toujours dans le but cesser de creuser le déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale. Les transformations de l’hôpital, justifiées à base d’audit dans les services, vont systématiquement dans le sens de l’autonomisation des financements des hôpitaux (à coups d’emprunts et de partenariats public-privé) et des réorganisations. La logique qui prévaut est celle de l’impératif de résoudre un problème de type organisationnel et non de sous dotation budgétaire. Si l’hôpital public connaît un déficit budgétaire si important (1,5 milliard en 2017) ce serait, selon les réformateurs, à cause de plages de travail mal remplies et de temps gaspillé.[1]
Or le problème, mis en lumière tant par les syndicats que par le personnel hospitalier est bien un problème matériel et humain. Lors du passage aux 35h, il a été décidé par le ministère de la Santé que la baisse du temps de travail de 10 % serait compensée par une embauche de l’ordre de 5 % de personnels. En 2003 était introduite la Tarification à l’activité (T2A) pour financer les hôpitaux, il s’agissait de définir un tarif par type d’activité et d’allouer des financements aux hôpitaux en fonction du type d’activité et du volume pratiqués. Certaines activités se révélant plus rentables que d’autres, certains types de soins ont peu à peu été délaissés. Pour que les coûts de production ne dépassent pas le tarif, la recherche de gains de productivité a pris le pas sur les aspects relationnels qui lient le personnel aux patients et sur la qualité des soins. Le passage à la médecine ambulatoire (hospitalisation sans passer la nuit sur place) s’étant révélée plus rentable, ce sont 64 000 lits en hospitalisation classique qui ont été supprimés entre 2003 et 2016, quand 26 000 lits en hospitalisation ambulatoire ont été créés. Les multiples réorganisations ont également concerné le temps de travail des personnels soignants : gardes de 12 heures afin de tourner avec deux équipes et non trois, ce qui réduit le temps de transmission des informations, et permets aux établissement des économies de temps et d’argent…
De nombreuses études [2] ont montré que les réformes successives, particulièrement le passage à la tarification à l’activité comme mode de financement, et la course à la rentabilité ont considérablement dégradé les conditions de travail des personnels hospitaliers. Les cadences infernales et les salaires qui ne suivent pas entraînent des arrêts maladies (10,2 jours par an quand la moyenne des autres secteurs est de 7,9), l’arrêt anticipé des carrières, l’interruption des études, le départ vers le secteur privé. La crise sanitaire entraînée par la propagation du Covid-19 est apparue dans un contexte d’épuisement extrême du personnel hospitalier. Le manque de personnel structurel est encore aggravé par les conditions de travail et le manque de valorisation salariale - en terme de rémunération le personnel paramédical français est classé 26ème sur les 29 pays de l’OCDE [3] - qui poussent les travailleurs en dehors de l’hôpital. Le temps soi-disant gaspillé, c’est celui de la transmission des savoirs et de la construction d’un collectif. Empêcher les moments de discussion, rendre interchangeable le personnel, c’est considérablement freiner la possibilité de s’organiser pour contester les réorganisations et la pénurie financière dont chacun pâtit.
Les hôpitaux ont de plus en plus recours à la sous-traitance de services, tel que l’entretien, auprès des entreprises privées. Là encore c’est une logique d’efficacité qui prévaut et les responsables syndicaux dénoncent les cadences qui empêchent les travailleuses, car il s'agit très majoritairement des femmes, de procéder correctement à certains nettoyages nécessaires pour éviter la propagation de maladies nosocomiales. Le manque de moyen a donc non seulement des conséquences sur les conditions de travail de l'ensemble des catégorie de salariés de l’hôpital, mais également sur la santé même des patients accueillis. Concernant les services d'urgences saturées et les patients qui attendent des heures (quand ce ne sont pas des jours) sur des brancards, le gouvernement n’a pas cherché de solutions malgré la contestation grandissante des personnels.
La mobilisation des travailleuses et travailleurs hospitaliers
La mobilisation du personnel hospitalier se heurte à la difficulté d’opérer des grèves réelles des services, rendue difficile par la réquisition des soignants se déclarant grévistes. L’opposition aux différentes réformes a été audible en partie grâce à la médiatisation des positions critiques de personnels soignants. La réforme de l’AP-HP en 2015 a donné lieu à des manifestations dénonçant une charge de travail excessive et le manque de temps chronique pour accomplir leur travail. En 2019, la contestation face au manque de moyens dans les hôpitaux s'est amplifiée et matérialisée par la mobilisation des services d’urgences et la création des collectifs Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux : revendications, action locale et Assemblées Générales à l’échelle nationale. Des manifestations nationales, importantes pour ce secteur, ont lieu en juillet et novembre 2019 (10 000 personnes dans la rue à Paris) et février 2020. Les interpellations du pouvoir politique se sont multipliées, les tribunes sont apparues dans la presse. Et les réponses du gouvernement n’ont bien entendu jamais été à la hauteur de l’urgence de la situation. En 2018 ce sont les salariées du nettoyage d’Onet employées à l’hôpital de Valenciennes qui ont mené une grève. Aux mobilisations des personnels hospitaliers, la réponse du gouvernement a été, comme souvent, la répression : intervention policière contre les manifestations, mise à pied d’un référent du collectif Inter-Urgences etc.
COVID-19 : pandémie et catastrophe annoncée
Au regard de l'état du système de santé, il n'y a malheureusement rien de surprenant à ce que la pandémie actuelle provoque une crise majeure. Si cette crise est évidemment sanitaire, elle est aussi économique, sociale et politique. Pour arrêter sa propagation les gouvernements dans le monde ont pris plusieurs mesures qui montrent clairement ce qui leur importe : les profits plutôt que la santé des populations.
Le fait que le virus soit apparu en novembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine, a notamment déclenché une vague de racisme très importante. L'extrême droite s'est aussi saisi du Covid-19 pour développer sa politique démagogique et réactionnaire. Ainsi, le 9 février 2020, Valeurs actuelles affirmait que « la Chine fait régulièrement peser sur l'humanité de nouvelles menaces épidémiologiques », et désignait le coupable : les migrations consécutives à la « mondialisation ». Sa solution ? « Contenir » les migrations : « Face aux contagions, la fermeture du pays et le contrôle drastique sont la seule solution en attendant un éventuel vaccin. C'est cette fermeté, que l'on feint de dénoncer, qui permettra sans doute d'éviter de devoir choisir entre la peste et le choléra. » Marine Le Pen avait sauté sur l'occasion et parlait quant à elle d'une mesure de « bon sens ». Comme si les virus voyageaient avec un passeport. Mais l'Union européenne a elle-même fermée ses frontières extérieures, le 17 mars, alors que de nombreux pays avait déjà fermées les leurs, comme si cela pouvait permettre d'endiguer la propagation du virus. La quarantaine de la ville de Wuhan dès le 23 janvier, laissant ses 11 millions d'habitants confinés chez eux dans une ville fermée sans ressources et sans réponse sanitaire à la hauteur a démontré que la fermeture des frontières est tout sauf une mesure efficace pour endiguer la propagation du coronavirus.
Le problème est à l'intérieur : depuis des décennies le système hospitalier vit une crise profonde, avec des suppressions de budget qui entraînent une diminution de lits, de personnels et de moyens pour traiter les patients. Une situation dramatique visible pour toute la population dans la situation actuelle et dont les conséquences se calculeront en nombre de morts. Il est apparu assez rapidement que les hôpitaux ne pourraient pas gérer l'afflux de patient atteints des symptômes les plus graves du Covid-19. Le gouvernement, face au manque de personnel et de moyen, a proposé des solutions qui ne diminuent pas la crise : créer un hôpital militaire dans le Grand Est qui ne permettra pas une augmentation suffisante de lits de réanimation; un plan d’urgence fiscale qui débloque 45 milliards d’euros pour la crise sanitaire, avec seulement 2 milliards (5%) à destination de la santé ! Les 45 milliards d’euros vont servir à sauver les entreprises et tout ça sera payé par les contribuables comme en 2008.
L'état des lieux du système de santé en France montre un système tendu avec une capacité d’accueil insuffisante pour les patients qui doivent être hospitalisés. Et les hôpitaux manquent cruellement de masques, de blouses, de gels hydroalcoolique pour protéger les soignants et les patients. De plus les conditions d’accueil des patients avec la diminution de lits, le manque de respirateurs et de personnels formés pour les soigner entraînera une surmortalité que la mobilisation suffisante de moyens financiers et humains en amont de la crise aurait pu éviter, et qu’un effort immédiat et considérable pourrait limiter !
Le gouvernement français est plus préoccupé par le contrôle du moindre déplacement de la population confinée que par la création de places pour les malades ou la fabrication de plus de respirateurs. Depuis l’annonce du confinement le 16 mars, sous couvert de lutte contre le virus, c'est surtout une politique autoritaire qui est à l'œuvre. Le directeur général de la Sécurité civile a fait savoir que les 100 000 policiers et militaires déployés sur le territoire français avaient déjà près de 2 millions de contrôles et dressés 225 000 procès-verbaux pour non-respect des restrictions. Des contrôles qui visent d'abord les classes populaires et qui s'accompagnent souvent de violences policières notamment dans les quartiers populaires.
La propagation rapide du Covid-19 pousse les pays à appliquer les uns après les autres, des mesures de confinement. 1,7 milliard d'être humains sont appelés au confinement au quatre coins du globe. Ils y sont appelés car si bien des entreprises ferment, placent leurs salariés en télétravail ou au chômage techniques, bien d'autres poursuivent leur activité (et quand elles l'ont arrêtée, elles souhaite la voir reprendre au plus vite). Cette situation et affole les bourses du monde entier : le 16 mars la Bourse de Paris avait dégringolée de 5.75 % et le Dow Jones de 13 %, sa pire journée depuis 1987. Nous ne savons pas encore la profondeur qu’aura la crise mais une chose est sûre : les gouvernements feront tout pour protéger les profits des capitalistes. Aux États-Unis, les aéroports de New York ont déjà licencié 2 400 travailleurs sans indemnités. En France, où les intérimaires et les travailleurs précaires sont les premières victimes de cette situation, le chômage partiel permet de maintenir 83 % des salaires des travailleurs… financés par l'État donc par les contribuables. Gouvernement et patronat, n'ont qu'un objectif faire payer aux travailleuses et aux travailleurs la crise qui est le résultat de leurs politiques, la crise de leur système.
Notre santé, nos vies valent plus que leurs profits
En Chine, deux hôpitaux ont été construits en dix jours créant ainsi 2000 lits supplémentaires : ces deux hôpitaux ont coûté 39 millions d’euros. Voilà ce à quoi devrait servir en urgence les 45 milliards débloqués par magie par le gouvernement dans l'objectif d'arroser le grand patronat de cadeaux.
Face au manque de masques, de respirateurs, de gel hydroalcoolique, nous exigeons la reconversion d'usine vers la production de ce matériel de première nécessité. En temps de guerre au 20ème siècle, les gouvernements parvenaient très rapidement à faire produire des armes pour mener leur politique belliciste. Cette reconversion exige aujourd'hui à la classe ouvrière de défendre sa propre politique.
Le gouvernement répète qu'il a passé commande de masques, que du gel sera livré aux établissements de santé dont les manques perdurent. Nous exigeons la transparence et la publication immédiate des commandes réalisées !
Depuis 2018, les collectifs Inter-Hôpitaux et Inter-Urgences revendiquent plus de moyen dans la santé : notamment des embauches et une revalorisation de salaire. Appuyer ces revendications est bien le minimum. Il faut des moyens pour le personnel de santé : il faut des embauches massives, des postes de titulaires et pérennes. Les collectifs revendiquent au moins 10 000 soignants, ainsi qu’une augmentation des personnels administratifs, éducatifs, et techniques à la hauteur des besoins de chaque service. Les personnels déjà en poste doivent bénéficier d’une revalorisation immédiate de leur salaire de 300 euros par mois. Le renfort des personnels hospitaliers par des étudiants - souvent en remplacement des postes supprimées ces dernières années - doit faire l'objet de contrats de travail et de rémunérations.
Le système de santé après cette crise sera profondément modifié, dès maintenant nous devons exiger des moyens pour la santé sur long terme. Des constructions d'hôpitaux, avec des embauches massives, et le retrait des différentes réformes qui ont précarisé l’hôpital public, en commençant par la réforme T2A. Rien qu’en 2018, il y a eu 4 172 lits supprimés avec une baisse de près d’un milliards d’euros sur le budget ! Ce n’est pas dans ce sens que nous devons aller : nous devons augmenter les moyens pour l'hôpital public avec des budgets qui augmentent en faisant payer les actionnaires et en prenant sur les profits ! Toute réforme du système de santé doit améliorer son fonctionnement en augmentant les budgets avec un financement 100 % public.
Nous exigeons la production de tests et le de dépistage massif de la population. Le 22 mars, chacun pouvait apprendre qu’un troisième membre du gouvernement avait été testé positif au Covid-19. Ministres, parlementaires, présidents de collectivités, ou personnalités diverses n'ont manifestement aucune difficulté à se faire dépister puisque la presse publie régulièrement leur bulletin de santé. Ce régime spécial là est bel est bien un privilège… de riches. Car pendant ce temps, dans les hôpitaux, les EPHAD ou les cabinets médicaux, des soignants se voient chaque jour refuser le test, même lorsqu’ils sont malades. C'est pourtant massivement que la population devrait pouvoir être testée.
Droit de retrait, grève, organisation !
De nombreux travailleurs sont également menacés par les injonctions du gouvernement à continuer le travail dans des secteurs qui ne sont pas essentiels dans la situation de crise sanitaire actuelle. Il faudrait « rester chez soi » mais en même temps on nous intime l'ordre de poursuivre la production… Malgré l'aggravation de la situation sanitaire, les capitalistes n'ont qu'une idée en tête : maintenir leurs profits. Y compris dans des secteurs où la production s'étaient arrêtée la semaine dernière, le patronat cherche tous les moyens pour redémarrer les usines comme dans la sidérurgie, l'aéronautique ou l'automobile. Déjà dans plusieurs travailleuses et travailleurs qui avaient contracté la maladie sur leur lieu de travail en sont décédés. Voilà pourquoi nous devons nous saisir de toutes les possibilités de protéger notre santé, nos vies que la bourgeoisie est prête à jouer à la roulette russe. La première de ces possibilité est l'exercice du droit de retrait vers un mouvement de retrait général : de La Poste à l'industrie, du nettoyage au transport, du commerce à la garde des enfants de soignants, à chaque fois que notre santé est en jeu, les travailleuses et les travailleurs sont les seuls à pouvoir se défendre et se protéger. Ce combat immédiat est celui de millions de salariés ! Et nous devons contrôler collectivement les mesures de protection mise en œuvre par les employeurs.
Dans les secteurs non essentiels l'arrêt de travail doit être respecté et la totalité des salaires maintenus et intégralement payés par les entreprises. Nous exigeons l'interdiction des licenciement, y compris pour les intérimaires ou les vacataires. Dans les secteurs essentiels, tout les moyens de protection doivent être mis à la disposition des travailleurs (masque, gel, désinfectants) et les postes de travail adaptés si nécessaires. Les travailleurs n'ont à se sacrifier et à se mettre en danger pour aucun travail même s'il est fondamental pour les besoins de la société, de la population ou dans la lutte contre le virus. C'est aux travailleurs de contrôler quelle sont les missions et productions qui sont jugées indispensables dans le cadre de la crise sanitaire et c'est à eux de décider si les conditions de travail permettent de les effectuer en toute sécurité. Bien entendu imposer de telles forme de contrôle s'oppose au pouvoir des patrons et exige que les travailleurs se rassemblent, s'organisent et luttent collectivement.
Au manque de moyens pour l’hôpital s'ajoute aujourd’hui les mesures prises en faveur du patronat avec la « Loi Urgence Coronavirus » qui revient sur des acquis et des conquêtes du mouvement ouvrier. En Italie, les travailleurs des nombreuses entreprises notamment dans l'industrie se sont mis en grève et le 25 mars il étaient appelés à une grève générale, soutenue par le personnel paramédical. C'est dans ce sens qu'en France aussi nous devrions aller pour l'arrêt de la production non essentielle, pour des moyens pour les hôpitaux et contre les mesures antisociale du gouvernement notamment celles qui concerne le temps de travail et les congés.
Il est primordial de maintenir les cadres d’organisation qui se sont notamment développés pendant la lutte contre la réforme des retraites afin de construire des initiatives de ce type. Dans les secteurs professionnels, dans les villes nous devons maintenir des cadres d’auto-organisation dématérialisés, et continuer à réunir les cadres de coordination de nos luttes. La Coordination nationale des AG interprofessionnelles, comités et coordinations de secteurs, dont les travail se poursuit permet un échange sur la situation dans les différentes régions et lieux de travail tout en se fixant des objectifs communs.
Les consignes absurdes sur les lieux de travail et le manque de moyen d’une structure publique aussi vitale que l’hôpital sont dus, non pas à des dysfonctionnements ponctuels provoqués par la crise sanitaire que nous connaissons, mais bien au fonctionnement même, politique et économique, de notre société. Le gouvernement et le patronat sont en train de faire de cette crise un coup de force contre les travailleurs à coups de lois institutionnalisant une fois de plus la régression sociale. Le rejet du gouvernement est plus que palpable et sa responsabilité dans la crise sanitaire est relayée jusque dans la presse bourgeoise, mais c’est également toute une forme d’organisation sociale et économique, celle du profit primant sur la vie des travailleurs qui est très largement remise en cause.
Camille & Marine Azua
[1] JUVEN, PIERRU, VINCENT, La casse du siècle. A propos des réformes de l’hôpital public, 2019. Raisons d’agir.
[2] Voir https://www.cairn.info/revue-travail-et-emploi-2017-4-page-5.htm « Intensité et pénibilité au travail à l’hôpital. Quelles évolutions entre 1998 et 2013. » dans Travail et emploi. 2017/4
[3] Tribune de personnels hospitaliers. 8 septembre 2019 « Nier la crise des urgences ne les fera pas disparaître. »