> Entretien Christian Porta délégué syndical central CGT chez Neuhauser. Il a répondu à nos questions sur les conditions de travail, la politique du patronat et la résistance des travailleurs dans un secteur dit « essentiel ».
Anticapitalisme & Révolution - Peux-tu nous présenter ta boîte ?
Chirstian Porta - Neuhauser est une entreprise de boulangerie et viennoiserie industrielle, qui travaille surtout pour les grandes surfaces type Lidl et Carrefour. On réalise baguette, pain spéciaux, croissants, pains au chocolat, beignet, brioches ect.. La boîte appartient au groupe Soufflet qui est le plus grand céréalier en Europe et la plus grande malterie au monde avec un chiffre d'affaire de presque 5 milliards d'euros. Michel Soufflet fait partie des 100 plus grandes fortunes françaises. Il aime dire qu'il contrôle « de la fourche à la fourchette »... C'est une manière de dire qu'il exploite et profite de l'agriculteur jusqu'à l'ouvrier qui transforme les matières premières et ceux qui vendent les produits (il possède la chaîne de boulangerie-sandwicherie Pomme de pin).
A&R - Comment êtes-vous intervenus dans l'usine de Folchviller en Moselle ?
C. P. - Comme nous bossons dans l'agroalimentaire, nous faisons partie de ces entreprises dites « essentielles ». Malgré cela la direction n'a mis aucune mesure particulière en place. Nous avons dû, dès le premier cas de suspicion d'un collègue, utiliser collectivement notre droit de retrait. Plus de 80 % de salariés en production ont exercés leur droit de retrait - CDI et intérimaires confondus - sur certaines équipes c'était même 100 %. Ce retrait a duré une semaine. C'est comme cela que nous avons réussi à imposer à notre patron des mesures de sécurité minimales : distribution de masques, prise de température, gestes barrières. Bien entendu, c'est loin d'être parfait et nous avons dû déposer deux droits d'alerte pour danger grave et imminent (DGI) et maintenir une pression constante pour que cela soit respecté. Concernant les masques par exemple, la direction traîne des pieds pour en distribuer.
A&R - Quelle a été la réaction de la boîte vis-à-vis de votre droit de retrait ?
C. P. - La politique de la boîte a été de menacer les travailleurs de sanctions. Comme beaucoup de patrons, elle a tout utilisé pour que les ouvrières et ouvriers retournent sur les chaînes : menaces concernant des retenues sur salaires, courriers et notes internes pour nous faire peur. En réponse beaucoup de travailleurs se sont mis en arrêt maladie : plus de 50 arrêts en une semaine.
A&R - Pourtant après le maintien de l'activité coûte que coûte, Neuhauser utilise maintenant le chômage partiel...
C. P. - Oui... Nous avions demandé une fermeture de 15 jours du site de Folschviller lors du premier cas de suspicion de Covid-19, ce à quoi la direction nous avez répondu en nous disant que l'entreprise avez trop de commandes. Mais le 31 mars elle nous envoie un courrier nous disant qu'elle encaisse une baisse de commande de plus de 50 % et donc qu'elle allait mettre en place le chômage partiel sur tout les sites en France ! Les sites de Reims et Maubeuge sont déjà en chômage partiel comme de nombreuses entreprises, avec un maintien de salaire à 84 % du salaire net, financé par l'État bien sûr. Et Neuhauser a mis en place un « compte congés » afin que ceux qui travaillent (encore) puisse faire don de jours de congés aux collègues en chômage partiel pour éviter les pertes de salaire. Ils veulent que nous payions nous-mêmes ! Nous revendiquons un maintien de salaire à 100 %, intégralement financé par la boîte. Nous sommes en train de travailler avec les syndicats des autres sites en France pour faire une réponse commune avec comme revendications principales l'octroi du montant maximum de la prime de risques vantées par Macron et le maintien intégral des salaires. Il faut coordonner un maximum de sites et les travailleurs pour agir collectivement face au patron. C'est d'autant plus important que la conséquence de la crise pourrait bien être la fin de Neuhauser. Nous avons déjà subit deux plans de licenciements en deux ans avec la suppression de plus de 500 emplois. Depuis le rachat de Neuhauser par Soufflet en 2014, cinq sites ont fermés. La direction a prévenue qu'il y aurait à l'issue de la crise des « cadavres économiques »... Oui, elle a osé.
Propos recueillis par Gaël Klement